Ce péché originel n'a pas été commis en 1957, avec l'assassinat de Abane Ramdane, mais en 1830-31, lorsque la France a non seulement envahi l'Algérie, mais détruit dans ce processus l'infrastructure de gouvernance ottomane. A la suite des différents soulèvements populaires contre l'occupation et l'expansion française, la France coloniale opta pour l'administration directe de l'Algérie en s'appuyant sur divers intermédiaires religieux et tribaux. Durant les campagnes de la terre brûlée lancées en 1840 par le maréchal Bugeaud et jusqu'à la Première Guerre mondiale, les élites traditionnelles locales furent anéanties, ou discréditées pour leur association avec le colonisateur. Les nouvelles élites algériennes éduquées dans les écoles françaises apparurent au début du 20eme siècle. Mais elles ne purent jouir de leur liberté professionnelle et sociale dans l'Algérie française sauf a quelques rares exceptions. La formation politique de ces nouvelles élites algérienne fut élitiste, sans contact avec la base et le peuple. Tout rapprochement entre élite et peuple fut inacceptable pour les autorités coloniales. Dans les années 1930, même les écoles religieuses en Algérie dont Ben Badis fut le précurseur, étaient restreintes par l'occupant français dans leur rapprochement avec les masses algériennes. Les premières rencontres entre élites militantes et algériens allaient se faire au cœur même de l'empire colonial. Ces organisations nationalistes algériennes virent le jour parmi les travailleurs algériens en France. La situation coloniale raciste a aussi empêché les élites de souche française de prendre attache avec les algériens à l'intérieur du pays. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, la classe politique issue des élites algériennes hybrides acquis une représentation symbolique dans les institutions françaises de la quatrième république. Les massacres de Sétif du mois d'avril-mai 1945 signifièrent la fin de tout espoir d'un compromis politique entre les nationalistes algériens et les autorités coloniales. Ce n'était pas l'élite algérienne d'instruction française, mais plutôt d'algériens démobilisés de l'armée française et autres qui prirent l'initiative en 1954, de lancer la lutte armée. Durant la révolution, l'ALN coopta certains intellectuels algériens, y compris les politiciens traditionnels comme Farhat Abbas ainsi que des étudiants représentés fin des années 1950 par UGEMA. Mais ces intellectuels, qu'il s'agisse de politiciens comme Abbas ou de leaders d'étudiants comme Belaid Abdesselam, n'ont été que de simples outils dans les mains de la révolution dont les dirigeants s'entre-déchiraient pour l'accaparement du pouvoir politique. L'intensification de la guerre et la répression sauvage contre la population ont déjà éliminé tout possibilité de négociation, mais allèrent aussi broyer a jamais l'élite algérienne. A l'indépendance, c'est l'armée organisée des frontières qui écrasa les différents factions issues de la révolution et domina le nouvel Etat algérien, dans les coulisses jusqu'en 1965, puis plus ouvertement. Le point essentiel de cette lecture comprimée de histoire algérienne est qu'il n'a jamais eu de possibilités pour les élites instruites algériennes de tisser des liens avec le peuple et de définir avec lui un projet de société issu de ses conditions sociales, historiques et religieuses. L'élite algérienne a subit l'Histoire a défaut de la faire. Les conséquences de cette situation sont entre-autres: la non-existence d'intellectuels organiques, la non-existence d'intermédiaires autonomes, et une société civile réduite a sa plus simple expression s'exprimant en privé, et activant a travers des liens informels, entre familles et amis. De ce fait l'ANP détient le pouvoir et continuera a le détenir tant que la classe intellectuelle dans l'ensemble de son spectre politique désertera le champs du militantisme.