Quelques mois suffisent amplement aux grands hommes pour marquer de leur empreinte à tout jamais l'histoire. Abane Ramdane fait partie de ces inoubliables de l'Histoire. Les trois années qu'il a passées avec ses compagnons d'armes avant son assassinat lui ont suffi pour être indéniablement l'un des révolutionnaires incontournables de la guerre de libération nationale. L'épopée de cet homme, épousant celle de son peuple, rapportée par son cousin Belaïd Abane dans son livre l'Algérie en guerre… Abane Ramdane et les fusils de la rébellion, n'est qu'une preuve de plus sur son rôle central dans l'organisation de la révolution. Conter Abane Ramdane n'était certes pas une tâche facile pour son proche, auteur du livre. Comment peut-il en être autrement ? Raconter l'engagement et l'action de l'architecte du congrès de la Soummam est loin d'être une sinécure. L'auteur, qui a connu les affres de l'occupation et «les bienfaits» de la colonisation, s'est fait un devoir de rendre justice à ce grand homme mais aussi au long combat du peuple algérien depuis le débarquement des troupes françaises un certain juillet 1830. Les répressions sanglantes, les «enfumades», les camps de regroupement et les campagnes d'extermination qui ont jalonné l'histoire de l'Algérie depuis l'occupation française sont le prélude de l'action armée de 1954. La révolution est le décor dans lequel l'auteur plantera son héros. Le héros de la Soummam. Un regard inédit sur l'homme et le martyre qu'a été Abane Ramdane. Divisé en quatre parties, le livre, qui compte 529 pages, tente de restituer fidèlement la révolution, ses forces, ses incertitudes, le courage des hommes et des femmes qui l'ont animée, la trahison des uns et les doutes néanmoins humains des autres. Abane Ramdane et les fusils de la rébellion conte les moments forts du soulèvement des «enfants de la Toussaint». De Cortès à Bugeaud, l'auteur qui révèle une vraie passion pour l'Histoire s'adonne à raviver les injustices, les prisons, les guillotines, les déportations, les massacres, autant d'atrocités qui suffiront à éclipser et démystifier à jamais les lumières de la révolution française prônées par «les civilisateurs» de l'Algérie. Belaïd Abane rappelle les circonstances de l'occupation française et toutes les conséquences de la mission civilisatrice des héritiers de la révolution française. «La conquête de l'Algérie et l'épopée de Bugeaud et de ses colonnes infernales rappellent à maints égards la folle équipée de Cortès et des conquistadors au Mexique, et le sort des tribus algériennes, celui des petites “nations” indiennes», n'hésitera pas à noter l'auteur. Dans cette partie de l'ouvrage, il énumérera la longue guerre de conquête française, faite de massacres, de razzias et de spoliation. Dans la seconde partie de l'ouvrage, Belaïd Abane raconte les crimes coloniaux et l'éveil de la conscience algérienne. Les colonisés n'attendaient que leur heure. Car, comme l'affirme si bien Albert Memmi, «lorsqu'un opprimé a entrevu la possibilité d'être libre et qu'il accepte d'en payer le prix, il est vain d'espérer la paix pour longtemps». Le déclic du 8 mai 1945 et la répression de Sétif, Guelma et Kherrata ont fait le reste. Que restait-il à faire pour les Algériens ? Ce que la Déclaration de l'Homme et du citoyen de 1793 (article 35), issue de la Révolution française préconi sait : «Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs.» Mostefa Lacheraf le soulignera d'ailleurs bien : «La révolution, le plus grand nombre la ressentait dans les faits comme un drame nécessaire hérité de très loin avec l'énergie du désespoir et de l'espérance mêlés ; un destin entrevu tout ensemble, à travers un passé de luttes obscures, de malheurs sans nom, de frustrations aiguës et dans la perspective d'un avenir à réaliser au prix du sang et des sacrifices de toujours afin de voir naître ou renaître, au-delà de la nation qu'ils incarnaient par instinct, la société concrète, objectif ultime de ce vaste mouvement.» Une citation qu'utilisera l'auteur pour entamer la troisième partie de son livre. Une partie dans laquelle entrera en scène Abane Ramdane. Il y retrace la conceptualisation de la révolution et la part de Abane dans la prise de décision. Belaïd Abane expose minutieusement le lent cheminement des révolutionnaires contraints à la clandestinité et à une vie de constante pression. Des hommes qui ont cru à la justesse de leur cause et au triomphe certain de leur entreprise. Nombreux sont les artisans de l'insurrection armée qui n'assisteront pas à l'indépendance du pays, à l'instar de Abane Ramdane, beaucoup ont été tués par leurs propres compagnons d'armes, mais ceux qui ont fait le serment de poursuivre le chemin jusqu'à la victoire n'ont jamais perdu la conviction de recouvrer un jour la liberté. L'auteur rappellera qu'Abane Ramdane fut la cheville ouvrière du congrès de la Soummam qui donna l'embryon de l'Etat algérien. L'auteur, dans un français limpide, s'attellera à apporter les précisions et les informations utiles sur les circonstances de la tenue du congrès, ceux qui y ont participé, leur choix et la constitution du Conseil national de la révolution algérienne (CNRA). L'occasion pour l'auteur de rappeler que c'est à l'occasion du congrès de la Soummam et sur recommandation d'Abane Ramdane qu'il a été décidé de la primauté du politique sur le militaire. La dernière partie du livre sera consacrée au rôle d'Abane dans l'organisation de la bataille d'Alger. Une partie où il dressera «les soldats de la civilisation» contre «les guerriers barbares». Il y relatera aussi «l'immense usine de torture que fut Alger à cet époque pour déboucher sur la prétendue accélération de la guerre et la bataille d'Alger qui sonne le glas du système colonial». Somme toute, une vraie prouesse que réussira le professeur de médecine, Belaïd Abane, dans l'Algérie en guerre… Abane Ramdane, les fusils de la rébellion, publié chez les éditions L'Harmattan en juin 2008. Loin de tout regard biographique, le médecin a analysé le travail titanesque accompli par l'architecte du congrès de la Soummam. G. H. L'Algérie en guerre …Abane Ramdane et les fusils de la rébellion, 529 pages. Editions l'Harmattan Extraits du livre «Le général Tubert, ancien maire d'Alger, un libéral qui milite à la Ligue des droits de l'Homme, est chargé d'enquêter sur les événements du 8 mai 1945. Son travail n'est pas terminé qu'il reçoit l'ordre de tout stopper, émanant du général de Gaulle lui-même. Il rédige un rapport qui ne sera jamais rendu public. Un voile épais recouvre la “tragédie de Sétif”.» r «Tout s'enclenche donc comme si, après la méthode politique, essayée vainement, après la parole méprisée et dédaigneusement rejetée, il n'y a plus place que pour le langage des armes. Pour les activistes de novembre, désenchantés par des années de lutte légale sans résultats, le credo est désormais : “L'indépendance ne se donne pas, elle s'arrache.” La violence érigée en valeur sacrée disqualifie le politique, le tient en suspicion ou le relègue au rang de vulgaire “politicaillerie”, lboulitik, ce mot que les activistes prononcent toujours avec la prosodie du mépris, du sarcasme et de la raillerie.» r «Réaliser l'unanimité nationale, évincer le MNA rival, organiser et généraliser la guerre sous toutes ses formes, voilà la mission titanesque que s'assigne désormais ce front de combat que prend en main Abane en ce début d'année 1955.» «Abane ne se fait cependant pas d'illusions. Car le projet est immense et les moyens si dérisoires : pas d'argent, pas d'armes, pas de soutien logistique ; un encadrement politique insignifiant, qualitativement et quantitativement. Certes, les bonnes volontés ne manquent pas. Partout dans les Aurès et le Constantinois, en Kabylie, dans l'Algérois et l'Ouarsenis, des hommes sont prêts à se battre et ont “juré de vivre libres ou de mourir”. Mais chaque zone, chaque région joue sa propre partition, et certaines actions peu ou mal préparées politiquement font à la cause plus de mal que de bien. Que faire pour remettre de l'ordre dans l'imbroglio et relancer l'insurrection ?» r «Certes, sous la direction d'Abane Ramdane, l'équipe d'Alger, puis le congrès de la Soummam du 20 août 1956 tenteront de réhabiliter le politique, de redresser ce travail originel, cette malfaçon congénitale, en donnant à la rébellion armée la dimension puis la direction qui en feront un mouvement politique et une résistance structurée. Mais cette mise sur rails ne fait pas long feu. Dès la fin de l'été 1957, le ”vrai pouvoir” redevenu exclusivement militaire relègue l'élément politique à la fonction de faire-valoir d'hommes qui détiennent les vrais leviers de commande. Ce nouveau pouvoir ne tiendra lui-même que par l'équilibre des rapports de force entre les chefs qui le composent. L'assassinat d'Abane, quelques mois plus tard, consacrera définitivement la suprématie de l'élément militaire et le recul, prélude à l'innovation, de l'esprit de la culture politique dans les sphères dirigeantes de la résistance et de la République algériennes.» «Certes, bien avant “la bataille d'Alger”, Abane Ramdane avait décidé d'impliquer les villes dans la guerre. Non pas comme le suggère l'Histoire, dans le but de jeter la population musulmane à l'assaut des quartiers européens, ce qui équivaut à l'envoyer aux abattoirs, mais pour “la maîtrise de la ville politique”, comme le note si justement René Galissot. Abane vise en effet à donner à la guerre de libération une audience. En manifestant sa présence politique dans les villes, surtout à Alger où est concentrée la presse française et internationale, le FLN cherche à prouver qu'il n'a pas usurpé cette représentativité que le gouvernement français lui conteste.» «La guerre dirigée de l'extérieur est désormais l'affaire d'une troïka de colonels [Krim Belkacem, Abdelhafid Boussouf et Abdallah Bentobal] dont le seul terrain d'entente est leur hostilité à l'égard des politiques et tout spécialement à l'encontre d'Abane Ramdane. Ce dernier est le premier à payer le prix de leur puissance montante. Sa mise à l'écart leur permet d'imposer une domination sans partage sur l'ensemble des rouages et des appareils politiques et militaires de la résistance algérienne. Cette dérive achève de reconfigurer les primautés de la Soummam. Avec l'assassinat de l'ex-numéro 1 du FLN soummamien, l'hégémonie du militaire installé à l'extérieur trône désormais dans l'effacement et la soumission totale du politique.»