L'équipe Obama soutient les aspirations démocratiques sans lâcher le régime. Face au réveil du volcan égyptien, la diplomatie américaine a franchi un palier, dimanche, en appelant de ses vœux «une transition démocratique». Sans aller jusqu'à «lâcher» Hosni Moubarak, l'Administration Obama a clairement donné la priorité au changement en Egypte : «Nous souhaitons voir une transition en bon ordre. Nous demandons instamment au gouvernement Moubarak, qui est toujours au pouvoir (…), de faire ce qui est nécessaire pour faciliter ce genre de transition», a déclaré la secrétaire d'Etat, Hillary Clinton. Les changements de personnel politique annoncés au cours du week-end sont «à peine le début de ce qui doit se passer», a insisté la chef de la diplomatie américaine, en demandant «un processus menant à des mesures concrètes pour aboutir aux réformes démocratiques et économiques» par le biais d'un «dialogue national». Pour l'instant, Washington ne remet pas en cause son aide à l'allié égyptien et assure «ne pas faire campagne pour quelque issue politique que ce soit». Mais le discours officiel va désormais au-delà des appels à «la retenue» des forces de l'ordre et stipule clairement que l'avenir du président Moubarak réside «entre les mains du peuple égyptien». Semblant exclure un retour rapide à la normale, les autorités américaines ont dissuadé leurs ressortissants de se rendre en Egypte et prévu d'évacuer ceux qui s'y trouvent à partir de ce lundi. Peur du «vide politique» Dans cette crise, c'est peu dire que l'équipe Obama avance sur le fil du rasoir. Comment concilier le soutien instinctif de l'Amérique aux revendications démocratiques d'une population qui veut secouer la chape d'un régime autoritaire, sans pour autant précipiter l'Egypte dans l'inconnu, le chaos ou l'islamisme ? Le dilemme a donné lieu ces derniers jours à des numéros d'acrobatie diplomatique au sommet du pouvoir, Hillary Clinton ayant commencé par vanter la «stabilité» du régime égyptien, avant d'appeler à des élections libres et à la libération des moyens de communication. La prudence de Washington s'explique par un souci majeur : ne pas répéter les erreurs de Carter. Derrière l'appel de Barack Obama à la «retenue» des deux parties, se profile la hantise américaine d'une répétition du scénario iranien de 1979, quand la chute de la dynastie Pahlavi avait accouché d'une révolution islamiste violemment anti-occidentale. Le secrétaire à la Défense, Robert Gates, un ancien membre de l'Administration Carter, est bien placé pour mettre en garde la Maison-Blanche. Si le président n'a pas appelé au départ de Moubarak, c'est qu'il a peur «du vide politique», not ait dimanche le New York Times, après la réunion du Conseil de sécurité tenue samedi autour du chef de l'Etat. La perte de l'Egypte serait un cauchemar pour une Amérique en manque de relais dans une région stratégique pour ses besoins en pétrole. Depuis quarante ans, l'Egypte a été le pivot de la politique étrangère américaine au Moyen-Orient, le vecteur de toutes les tentatives de négociations israélo-palestiniennes. Le régime d'Hosni Moubarak est aussi un allié incontournable face au terrorisme islamiste. Sa chute pourrait déclencher un effet domino potentiellement dévastateur parmi les alliés arabes des Etats-Unis, de l'Arabie saoudite au Yémen en passant par la Jordanie ou l'Algérie. L'Administration américaine a été prise à contre-pied sur le «front égyptien». Le grand discours d'Obama au Caire avait engagé un dialogue avec l'islam, qui se voulait un nouveau départ après les leçons de démocratie de George Bush. Mais «parce qu'elle voulait montrer que la démocratie ne peut être imposée de force, l'Administration Obama s'est interdit de parler droits de droits de l'homme, regrette Daniel Calingaert, de Freedom House. Obsédée par la stabilité, la Maison-Blanche n'était pas prête» pour la revendication de liberté qui déferle. Deux points de vue s'affrontent désormais à Washington. Certains préconisent de sortir de l'ambiguïté en soutenant les manifestants. Ce groupe relativise le danger islamiste, qui serait surtout un «épouvantail» agité par Moubarak pour s'accrocher. Mais un autre groupe, proche notamment d'Israël, insiste pour soutenir plus clairement le régime, afin d'empêcher les Frères musulmans, seule force organisée du pays, de ramasser la mise. «Washington a une approche trop naïve, il ne faut pas trop lier les mains du pouvoir car le chaos ne profitera pas nécessairement aux forces laïques», note le chercheur Tawfiq Hamid, ex-islamiste radical repenti, originaire d'Egypte. Le vœu d'une passation de pouvoir démocratique supervisée par une armée toujours populaire, semble cadrer avec les souhaits prudents de Washington.