Les derniers évènements qui ont secoué l'Egypte, et les soi-disant affrontements entre population, ont laissé perplexe l'opinion publique arabe et internationale. Seulement un petit retour en arrière nous éclaire sur l'acharnement d'Israël à maintenir coûte que coûte le régime en place. Peu importe le moyen. En effet, Condoleezza Rice et Tzipi Livni ont signé en janvier 2009 à Washington un accord bilatéral destiné, disent-elles, à empêcher « la contrebande d'armes » vers Gaza. Rice a indiqué avoir téléphoné aux ministres des Affaires étrangères britannique, David Miliband, allemand, Frank-Walter Steinmeier et français, Bernard Kouchner, « pour les informer » de sa démarche ajoutant : « Je pense que ces efforts vont être suivis très rapidement par les Européens ». Selon le porte-parole du département d'Etat, Sean McCormack, Washington s'engage dans ce document à mobiliser des « équipements » pour aider Israël à empêcher « la contrebande ». Il n'a cependant pas précisé ce que seraient ces équipements, mais il a indiqué que les Etats-Unis ne déploieraient pas de troupes sur le terrain. en fait, le régime en place à Tel-Aviv attaque à intervalles plus ou moins réguliers la population palestinienne pour décapiter sa Résistance et la décourager pour plusieurs années. Cette stratégie, d'abord empirique, a été théorisée par Abba Eban à la fin des années 60. Celui-ci —qui avait été élevé en Afrique du Sud— considérait que, pour maintenir l'apartheid en Palestine, il fallait dialoguer avec des autorités politiques palestiniennes tout en faisant la guerre à la société civile palestinienne. Cette stratégie est parvenue à un certain degré de raffinement avec la création de deux entités politiques palestiniennes, géographiquement distinctes, la Cisjordanie et Gaza, séparées par un Mur et des chek points, sur le modèle des bantoustans sud-africains. Dans cette optique, le régime sioniste se prépare en permanence à de nouvelles actions militaires contre la population civile. L'opération « plomb durci », quant à elle, a été préparée six mois à l'avance, la pseudo trêve de 2008 n'ayant été conclue que dans ce but, ainsi que l'a révélé le quotidien israélien Haaretz. Restait à définir le moment propice pour la mettre en œuvre, aussi bien en termes diplomatiques que politiques. La montée en puissance du Hamas pose un problème politique à l'Egypte et à l'Arabie saoudite. Il s'agit en effet d'un mouvement de libération nationale issu d'un milieu religieux sunnite progressiste et susceptible d'influence dans le reste du monde musulman via les organisations sunnites, actuellement contrôlées par l'Arabie saoudite, et dans une moindre mesure par l'Egypte. Un succès du Hamas signifierait à court terme une révolution en Egypte, et à moyen terme une autre en Arabie saoudite. De ce point de vue, la guerre menait à Gaza n'a pas seulement pour but de maintenir l'apartheid en Palestine, mais aussi et surtout, de maintenir un contrôle réactionnaire et obscurantiste sur l'ensemble de la communauté sunnite (égypte compris); un contrôle qui est exercé dans l'intérêt des Anglo-Saxons et d'Israël par des gouvernements soutenus par eux à bout de bras. Elle fait apparaître un clivage qui n'a rien à voir avec l'ethnie ou la religion. Le vrai conflit n'est pas entre juifs et musulmans, entre chiites et sunnites, entre arabes et perses, mais il oppose la liberté et le droit d'un côté, à la domination et à la violence de l'autre. L'opération « plomb durci » a été planifiée par Tel-Aviv avec ses partenaires de Riyad et du Caire. Elle se résume ainsi : les forces armées israéliennes, le blocus égyptien et les finances saoudiennes. À cela s'ajoute le soutien de l'Egypte aux paramilitaires du général Mohamed Dahlan. Ils sont actuellement 2 500 stationnés près de Rafah. Ces mercenaires arabes sont prêts à entrer à Gaza, une fois la résistance au sol maitrisée par les tanks israéliens, pour faire le sale boulot à la place des Israéliens, c'est-à-dire y massacrer les familles du Hamas Cette opération militaire s'accompagne d'une action diplomatique de l'Egypte et de l'Arabie saoudite pour torpiller les initiatives de la Ligue arabe promues par le Qatar et la Syrie. Tout cela est certainement difficile à admettre, mais il faut regarder la réalité en face. Riyad et Le Caire ont rejoint le camp sioniste. Dans cette optique Israël ne peut s'aventurier de laisser s'installer une démocratie en Egypte. Ceci dit sur le plan stratégique. Mais un autre point surgit aussi pour éclairer un peu plus la situation c'est bien sûr, le plan économique. La compagnie états-unienne Noble Energy Inc. a annoncé il y a le 29 décembre 2010 avoir découvert un gros gisement de gaz naturel dans les fonds marins, à 130 kms du port israélien de Haïfa . Il est estimé à 450 milliards de m3. Dans la zone, il devrait y avoir en tout environ 700 milliards de m3 de gaz. La prospection et l'exploitation de ce gisement sont confiées à un consortium international, formé de la société états-unienne Noble Energy, qui détient à présent le quota majoritaire des 40 %, et des entreprises israéliennes Delek, Avner et Ratio Oil Exploration, (on devine ici les actions que détient le clan Moubarak dans ces deux entreprises). Ceci n'est qu'une petite partie des réserves énergétiques présentes sur le Bassin du Levant, l'aire de la Méditerranée orientale comprenant Israël, les Territoires palestiniens, le Liban et leurs eaux territoriales. Ici, depuis quelques années l'U.S. Geological Survey, agence du gouvernement des USA, procède à des prospections. Elle estime que, dans le Bassin du Levant, il y a des réserves de gaz naturel se montant à environ 3 500 milliards de m3, et des réserves de pétrole d'un montant d'environ 1,7 milliards de barils. Le gouvernement israélien, avec le soutien de Washington, du Caire et Riad, considère que toutes les réserves énergétiques sont sa propriété. Les grands gisements de gaz naturel, a déclaré le premier ministre des infrastructures Uzi Landau, non seulement apporteront des bénéfices aux citoyens, mais permettront à Israël de devenir un fournisseur de gaz dans la région méditerranéenne. Israël, a objecté le président de l'Assemblée nationale libanaise Nabih Berri, ignore cependant le fait que, d'après les cartes, les gisements s'étendent dans les eaux libanaises. Selon la Convention des Nations Unies, un Etat côtier peut exploiter les réserves offshores de gaz et de pétrole dans une zone qui s'étend à 200 miles marins (370 kms) de la côte. D'après ce même critère, les réserves appartiennent dans une mesure notable aussi à l'Autorité palestinienne. Selon la carte même établie par l'US Geological Survey, il s'avère que la majeure partie des gisements de gaz (60 % environ) se trouve dans les eaux territoriales et dans le territoire de Gaza. L'Autorité palestinienne en a confié l'exploitation à un consortium formé de British Gas et Consolidated Contractors (compagnie basée à Athènes, de propriété libanaise), dans laquelle l'Autorité détient un quota de 10 %. Deux puits, Gaza Marine-1 et Gaza Marine-2, sont déjà prêts mais ne sont jamais entrés en fonction. Tel Aviv, en fait, a rejeté toutes les propositions, présentées par l'Autorité palestinienne et par le consortium, d'exporter le gaz en Israël et en Egypte. Les Palestiniens possèdent donc une grande richesse qu'ils ne peuvent cependant pas utiliser. Pour s'emparer des réserves énergétiques de tout le Bassin du Levant, libanaises et palestiniennes comprises, Israël utilise la force militaire. Il y a quelques temps, le ministre des Affaires étrangères libanais Ali al-Shami a demandé au Secrétaire général des Nations Unies d'empêcher qu'Israël n'exploite les réserves énergétiques offshores qui se trouvent dans les eaux libanaises. Le ministre Uzi Landau soutient au contraire que ces gisements se trouvent dans les eaux israéliennes et prévient qu'Israël n'hésitera pas à employer la force pour les protéger. Israël menace donc d'attaquer de nouveau le Liban, comme il le fit en 2006, avec l'intention aussi de lui enlever la possibilité d'exploiter les gisements offshore. Pour la même raison Israël n'accepte pas l'Etat palestinien. Le reconnaître signifierait reconnaître la souveraineté palestinienne sur une grande part des réserves énergétiques, dont Israël veut s'approprier. C'est surtout à cette fin qu'a été lancée l'opération « Plomb durci » en 2008-2009 soutenue par le Caire et Riad et Gaza prise ensuite dans la morsure de l'embargo. En même temps les navires de guerre israéliens contrôlent tout le Bassin du Levant, et donc les réserves offshore de gaz et pétrole, dans le cadre du « Dialogue méditerranéen », opération de l'OTAN —à laquelle participe aussi l'Italie— pour « contribuer à la sécurité et à la stabilité de la région ». en fin, la situation actuelle dévoile les contradictions de l'administration US. Barack Obama a tendu la main aux musulmans et appelé à la démocratie lors de son discours à l'université du Caire. Toutefois aujourd'hui, il mettra tout en œuvre pour empêcher des élections démocratiques en Egypte. S'il peut s'accommoder d'un gouvernement légitime en Tunisie, il ne le peut pas en Egypte. Des élections profiteraient aux forces démocratiques qui combattent l'hégémonie sioniste. Elles désigneraient un gouvernement qui ouvrirait la frontière de Gaza et libérerait le million de personnes qui y sont enfermées. Les Palestiniens, soutenus par leurs voisins, le Liban, la Syrie et l'Egypte, renverseraient alors le joug sioniste. Ici, il faut signaler qu'au cours des deux dernières années, des stratèges israéliens ont envisagé un coup tordu. Considérant que l'Egypte est une bombe sociale, que la révolution y est inévitable et imminente, ils ont envisagé de favoriser un coup d'Etat militaire au profit d'un officier ambitieux et incompétent. Ce dernier aurait alors lancé une guerre contre Israël et échoué. Tel-Aviv aurait ainsi pu retrouver son prestige militaire et récupérer le mont Sinaï et ses richesses naturelles. On sait que Washington est résolument opposé à ce scénario, trop difficile à maîtriser. En définitive, l'Empire anglo-saxon reste arrimé aux principes qu'il a fixé en 1945 : il est favorable aux démocraties qui font « le bon choix » (celui de la servilité), il est opposé aux peuples qui font « le mauvais » (celui de l'indépendance). Par conséquent, s'ils le jugent nécessaire, Washington et Londres soutiendront sans état d'âme un bain de sang en Egypte, pourvu que le militaire qui l'emporte sur les autres s'engage à pérenniser le statu quo international. L. MAMMERI Lectures: