L'excellent article de Adel.H, « Partez avant qu'il ne soit trop tard! » m'a incité à la réflexion, sur la situation de notre pays, sur l'incertitude des lendemains. Adel a brossé un tableau succinct, mais non moins éclairant, sur la nature du régime, et son évolution depuis l'indépendance du pays. Je ne suis pas d'accord avec lui, néanmoins, sur un élément central qu'il évoque. Celui de clans opposés, au sein du régime. De l'eau a coulé sous les ponts, et de l'argent aussi Il est vrai que depuis l' »élection » de Bouteflika à la tête de l'Etat, il s'est passé une sorte de profond réaménagement, voire un bouleversement dans le premier cercle du pouvoir. La dizaine de Généraux qui a constitué le noyau exclusif du pouvoir, et qui a provoqué la catastrophe que nous connaissons, en carnage, en manipulation de la terreur, et en pillage des ressources nationales, s'est considérablement étoffée, pour passer à un nombre effarant de Généraux, de généraux-majors, de Généraux de Corps d'armée. Jusqu'à avoisiner le chiffre incroyable de près de deux cents, presque tous nommés par le Président Bouteflika. Sans compter les centaines d'officiers supérieurs, au grade de colonels et de lieutenants-colonels. Il ne fait pas de doute que ces nominations massives par le Chef de l'Etat procédaient d'une logique délibérée de phagocyter le noyau décisionnel de l'institution militaire, en le noyant de nouveaux clients. Il ya été aidé par le ralliement de plusieurs généraux. Ceux qui ont cassé le tabou. Celui qui consiste à ne jamais permettre à un autre qu'eux-mêmes de se mêler des affaires de l'Armée. Il fut servi par une chance inouïe, puisque la flambée des prix des hydrocarbures allait lui permettre, non seulement de nommer une grande masse de généraux, mais aussi de lui délier les cordons de cette bourse qui se trouvait en sa possession. En sa seule possession. Sa « Baraka n'allait pas se démentir, puisque certains généraux, parmi les plus importants de la junte qui avait provoqué l'interruption du processus électoral en 1992, et qui avait fait main basse sur le pouvoir, allaient être éjectés du premier cercle, d'une façon ou d'une autre. La mort et l'éjection allaient vider ce groupe de généraux de certains de leurs acteurs les plus actifs. Khaled Nezzar n'était plus sur la place. Il avait pris sa retraite. Et d'autres y ont été doucement poussés à le rejoindre. Larbi Belkheir, la tête pensante, celui-là même qui persuada ses pairs d'opter pour la candidature de Abdelaziz Bouteflika, fut envoyé sur les roses, sans autre forme de procès. Il fut rabaissé de collaborateur le plus proche du nouveau président à celui d'Ambassadeur au Maroc. Fonction qu'il n'exerça pratiquement pas. Mohamed Lamari, le Général le plus gradé de l'Armée algérienne, fut poliment invité à faire valoir ses droits à un «repos bien mérité », avec un confortable parachute doré qui se chiffre en millions de dollars. Smaïl Lamari, celui qui avait poussé le Président Zeroual à la démission, en se passant de son avis dans ses contacts avec l'AIS, pour les faire descendre du maquis, avala son bulletin de naissance, à un moment crucial de la lutte du DRS contre Bouteflika. Et d'une manière général, tous les autres chefs tout-puissants de l'Armée se retrouvèrent, dans des circonstances différentes, totalement exclus du premier cercle. Eux, comme tous les autres qui rallièrent le clan du Président Bouteflika, bénéficièrent tous d'une consistante consolation. De véritables fortunes, et des facilitations considérables auprès des banques algériennes. L'inexorable obstination de Bouteflika… Le véritable clash entre Bouteflika et le dernier carré des chefs du DRS, qui ont évalué trop tard, et à sa juste mesure, le grignotage laborieux de Bouteflika, a eu lieu lorsque celui-ci a tenté d'appliquer au DRS la même tactique qui lui avait permis de rallier le plus gros des chefs de l'Armée régulière. Ils connaissaient leur propre force, qui avait consisté à noyauter tous les secteurs de l'Etat, jusqu'à la présidence. Ils se sont littéralement braqués contre cette intrusion inusitée d'un civil, aussi président soit-il, d'entrer dans leurs brisées. Il faut savoir, pour se faire une idée de la puissance du DRS, qu'aucun grand commis de l'Etat, de quelque secteur soit-il, ne pouvait être nommé sans que l' »enquête d'habilitation », effectuée par le DRS, ne lui soit favorable. C'était un préalable incontournable à la signature du décret. Ce qui en termes clairs signifiait, qu'en fait, c'était le DRS qui nommait les grands commis de l'Etat. Tous, sans exception. L'enquête d'habilitation existe toujours, mais elle n'est plus le sésame. Sur le plan territorial, les chefs du DRS local étaient les vrais patrons locaux. Alors que théoriquement le premier responsable territorial est censé être le Wali (Préfet), dans la réalité, c'est le patron du DRS local qui le chapeaute, et qui le surveille. Le même topo était appliqué aux ministères, et jusqu'aux Ambassades, où le représentant du DRS était investi d'une autorité non dite, mais tout à fait réelle, et pesante au point où rien de sérieux ne se décidait sans qu'il soit consulté. Et c'était ainsi pour toutes les charges qui avaient un tant soit peu d'importance, jusqu'aux élus. Jusqu'aux représentants syndicaux d'importance relative, au sein de l'UGTA. Et aussi, et surtout, dans un certain secteur économique, comme la Sonatrach, Air Algérie, la Sonelgaz, et autres grosses compagnies du genre. Aucun PDG ne pouvait être nommé sans ce fameux aval du DRS. Ce fut, entre Bouteflika et les Chefs du DRS, une lutte pied à pied, qui connut des développements souvent tragiques. Tragiques pour ceux qui furent sacrifiés à l'autel des règlements de comptes, par clients interposés. Ainsi, de temps à autre, de gros scandales économiques éclataient, puissamment relayés par la presse écrite, qui était restée le principal outil du DRS, alors que la Télévision nationale, dont l'impact était entre les mains du clan de Bouteflika, était passée sous le contrôle de celui-ci. La cassette et les « relations »… Mais la vraie force de Bouteflika se trouvait dans les capacités financières qui lui étaient dans le giron, sans partage, et sans contrôle. En plus du Budget de l'Etat, où il puisait en toute liberté, et en toute opacité, pour s'acheter des alliés, il disposait d'une caisse noire, générée et gardée par Chakib Khalil, son ministre de l'Energie. Cet argent, puisé dans les sombres circuits des transactions des hydrocarbures, constituait la principale, opaque, et décisive arme de guerre. Et c'est ainsi que le ralliement des chefs de l'armée, et du DRS, qui avait commencé timidement, presque en cachette, se faisait de plus en plus massif. Et qui tourna à la bousculade. Le Général de Corps d'armée Mohamed Mediène, dit Toufik, le puissant patron du DRS, qui avait compris l'importance de Chakib Khalil dans le dispositif stratégique du Président Bouteflika, avait mis en branle, à plusieurs reprises, des attaques en règle contre celui-ci, pour déstabiliser son désormais rival. L'affaire BRC, puis celle de Sonatrach en ont été les faces les plus visibles, puisque la presse écrite en a fait ses choux gras. Mais, comme à l'accoutumée, des lampistes, plus ou moins importants, mais qui restent des lampistes, firent les frais de cet affrontement. Il faut savoir, par ailleurs, que dans cette lutte pour le pouvoir, il y avait des facteurs exogènes, particulièrement importants. Les Chefs de l'Armée et du DRS, de façon générale, étaient plus ou moins liés, par des rapports très équivoques, à des services étrangers, particulièrement français, particulièrement pendant tout le temps que dura l'influence de Larbi Belkheir. L'arrivée de Chakib Kalil, et les amitiés moyen-orientales du Président Bouteflika allaient renforcer la présence un nouveau facteur, qui avait commencé à peser dans la balance au milieu des années 90. Les Américains. Un atout d'importance, pour le clan Bouteflika. Mais son attachement à ses serviteurs fidèles n'est pas inaliénable. Bouteflika, qui ne cache pas son admiration pour les grands hommes politiques qui ont laissé leur trace dans l'Histoire, s'est vraisemblablement convaincu que la Politique n'a pas d'état d'âme. Et le moment venu, dans des circonstances que nous ignorons, il a décidé de lâcher Chakib Khalil, et il le laissa tomber sans aucune hésitation. Certaines sources affirment que le congédiement de Chakib Khalil a fait partie d'un vaste Deal entre Bouteflika et le Général Toufik, autour de plusieurs points de discorde, dont un très important, qui concernait le remplacement du Général Smaïl Lamari, à la tête d'un Direction très importante du DRS, la DCE. La dispute a été vidée, et aurait permis de rapprocher les deux hommes. Toufik illisible… Depuis, semble-t-il, les hostilités ont pris fin, hormis celles subalternes, entre seconds couteaux. Sans autre conséquence d'envoyer les clients réciproques en prison, et de les livrer au professionnalisme des « journalistes d'investigation ». Et de facto, le premier cercle du pouvoir s'est considérablement rétréci, en même temps que des cercles concentriques, des nouveaux ralliés, s'étoffaient. Mais sous la houlette presque exclusive du Président Bouteflika, et de son frère Saïd. Le rôle, et la position du général Toufik restent assez équivoques. Mais il ne représente plus, en tout cas, le pôle le plus important du régime. Il ne serait pas sérieux d'affirmer que le pouvoir du DRS n'a plus d'effet sur le champ politique, si tant est qu'il existe un champ politique dans ce pays. Le DRS a gardé intacte ses possibilités de nuisance, et son influence sur des relais importants du système, comme la presse écrite, certains partis politiques, des lobbies financiers, et particulièrement sur l'AQMI. Il a gardé aussi une influence relative sur une part de la rente, sur les commissions d'achat de l'armement, et des équipements militaires, et un certain poids dans les affaires internationales, comme celle du Polisario. Le Général Toufik, qui n'est plus ce qu'il était, qui est âgé de 73 ans, qui est affaibli, à l'intérieur même du DRS, par l'impatience de jeunes loups aux dents longues qui s'estiment lésés dans le partage du butin et des pôles d'influence, semble avoir rejoint, lui aussi, le clan présidentiel, mais il n'en conserve pas moins des atouts en main. La déferlante arabe et le régime algérien… Les récents évènements de Tunisie, d'Egypte et de Libye, ont provoqué, au sein du régime, et du DRS, une panique certaine. Certains clans du DRS, impulsés par leurs logiques habituelles de subversion, ont été tentés de se servir de cette menace imminente de soulèvement, pour adopter une démarche qui consisterait à désigner le Président Bouteflika comme un fusible, pour court-circuiter toute mauvaise surprise. Un plan minutieux, de récupération de la contestation, avant même qu'elle ne puisse s'exprimer, à été mis en branle, avec des détails qui prêtent à sourire, et qui montrent bien que tous ces gens sont coupés de la réalité. Mais c'était compter sans tenir compte des nouvelles données. Ces clans, rejoints par des lobbies financiers, dont l' influence à l'intérieur du pays est tout à fait négligeable, ont présumé de leurs véritables forces. Leur entreprise était vouée à l'échec. Et elle a échoué lamentablement. La presse privée, dont ils font grand cas, ou leurs relais médiatiques français, ne pèsent pas le centième de la seule télévision algérienne, qui dispose d'un impact considérable sur de très larges couches de la population du pays profond. Et c'était compter, par ailleurs, sans les nouvelles couches sociales qui ont accédé à une prospérité relative, devenues, grâce aux effets de la manne pétrolière, des alliées naturels du clan Bouteflika, et non du régime en tant que tout. Ceci est très important. Parce que autant les Algériens identifiaient le régime au DRS pendant les années de sang, autant ils le personnifient aujourd'hui, qu'une paix relative est revenue, et que l'économie de bazar s'est installée, au Président Bouteflika. Les alliés naturels du régime… Il ne serait pas exagéré, je crois, d'affirmer qu'au moins le tiers de la population lui est acquis. Toutes ces couches populaires qui profitent un tant soit peu de tout l'argent qui a été déversé dans le marché, et qui profitent à de larges cercles concentriques, autour du noyau Bouteflika. Beaucoup d'argent et de privilèges de toutes sortes pour le premier cercle, un peu moins dans le secon et ainsi de suite jusqu'à ceux qui ont pu acheter à crédit la voiture neuve dont ils rêvaient, le logement dont ils avaient désespéré, les augmentations faramineuses de salaires, les facilitations illégales pour l'exercice de ce sport national qu'est le « trabendo », et tutti quanti. Mais comme on n'est jamais trop prudent, le Président Bouteflika vient de mettre en place un autre plan, en plus du Quinquennal, un plan « spécial », qui est censé conjurer toute menace de soulèvement, ou du moins, si elle se produit, de la circonscrire à une partie de la société seulement, qui aurait, de facto, celle privilégiée en face d'elle. Une sorte de baltaguias érigés en classe sociale. Des mesures sociales qui visent un impact très large vont donc être initiées. Augmentations de salaires, création de milliers de micro-entreprises, indemnités de chômage, ouverture relative du champ médiatique, et de celui de l'exercice du « débat » démocratique, mais de façon étroitement contrôlée, et autres mesures du genre. Le champ de l'audio visuel devra attendre, parce que le Président Bouteflika y est opposé. Parce qu'il ne veut pas que des chaînes de télévision tombent entre les mains de clans qui ne lui sont pas totalement inféodés. De toutes les façons, pour ce qui concerne ce point précisément, même si des chaînes de télévision indépendantes étaient autorisées à émettre, cela ne changerait rien à la situation du pays, et ne représenterait aucune menace pour le régime en tant que tout, puisque toutes les fortunes du pays susceptibles de financer une chaîne de télévision, sont entre les mains de clientèles, et de parentèles du régime. Pas un seul « capitaine d'industrie » n'existe en Algérie, qui ne doive pas sa richesse au régime. La meilleure preuve en est que s'il se trouvait une personne suffisamment riche pour lancer une chaîne de télévision, il n'aurait pas besoin de l'autorisation du régime pour le faire, puisqu'il pourrait installer une chaîne satellitaire qui emettrait depuis l'étranger. Mais personne parmi ces gens fortunés ne le ferait, parce qu'il sait que dans les jours qui suivent l'inauguration de sa télé, il serait mis sur la paille. L'exemple de Khalifa Abdelmoumen est encore vivace dans les esprits, lui qui a refusé d'obéir à l'injonction du Président Bouteflika de fermer illico presto la chaîne de télé qu'il était sur le point de lancer. Il l'a payé très cher, et sa télé n'a pas vu le jour, de toute façon. La Famille… Un autre élément très intéressant, qui permet une lecture appropriée du régime algérien, et que les Algériens ignorent, consiste dans les liens qui unissent tous les barons du régime, et même tous leurs clients. En fait, l'oligarchie qui dirige le pays constitue une famille. Une famille dans les deux sens du terme, mafieux, et consanguin. Mafieux, parce que toutes ces personnes, qui se chiffrent désormais en milliers, sont impliquées, les unes avec les autres, dans la vaste opération de rapine de tout ce qui peut générer de l'argent. C'est, en fait, une association de malfaiteurs qui a fait main basse sur tous les mécanismes d'enrichissement, qui sont devenus autant de monopoles qui leur sont dévolus. Et ils le font en toute légalité, puisqu'ils disposent à volonté du « pouvoir » législatif, pour faire adopter, au mieux de leurs intérêts, toutes les lois, et tous les règlements nécessaires, en plus des circuits bancaires, et de facilitations en tout genre. Et ils sont une famille, au sens consanguin, parce qu'ils sont tous liés, les uns avec les autres, par les liens du mariage. Leurs enfants se marient entre eux. Les rares familles qui ont été admises dans cette « aristocratie » sont celles qui ont eu la chance d'avoir de très belles filles, et parfois des garçons qui ont fait des études supérieures brillantes, ou dont la réussite sociale exceptionnelle les a propulsés au saint du saint. Ils sont donc tous parents les uns des autres, à des degrés divers. C'est dire qu'en plus d'être une famille, ces barons du régime, leurs parents, et leurs clients, ils savent que leur sort est lié. Si un bouleversement du genre de ceux qui ont lieu chez nos voisins se produit, ils tomberont tous ensemble. Et ils ne sont ni fous ni suicidaires pour se laisser aller à de vaines confrontations, en des moments aussi cruciaux. Aujourd'hui, plus que jamais, ils sont soudés les uns aux autres. Il n'y a plus, entre-eux, des luttes de clans qui soient vraiment intenses. Ce sont juste des escarmouches, et des rivalités comme il en existe dans toute famille. Très vraisemblablement, hormis quelques velléités de résistance, tous les « décideurs » militaires ont rallié le clan Bouteflika. Si la déferlante des peuples de la région passe sans provoquer de soulèvement massif en Algérie, il est certain que le problème de la succession se reposera, et que des rivalités auront lieu entre-eux, chacun voulant la part du lion. Comme dans toute famille riche. Mais en attendant, ils vivent une veillée d'armes. Autour du chef de famille, qui n'a jamais été aussi puissant. Et lui, qui est à l'automne de sa vie, et dont la perspicacité n'est pas à mettre en doute, doit certainement méditer que sous la cendre de l'ignominie, couve la braise ardente. Le temps nous dira. D.Benchenouf Lectures: