, 12 juillet 2008 Le procès des assassins présumés de Lounes Matoub devait avoir lieu le 9 juillet. Il a été reporté une nouvelle fois. Faudra-t-il attendre encore sept ans avant qu'une nouvelle date soit fixée et laisser croupir en prison deux hommes, accusés du crime sur la base d'aveux extorqués sous la torture ? La Justice était enfin appelée à faire la lumière sur cet assassinat politique, 10 ans après une fusillade qui a emporté l'un des chanteurs les plus populaires d'Algérie et grièvement blessé son épouse et deux belles-sœurs. Sur le chemin du retour d'un déjeuner, le 28 juin 1998, leur voiture a été arrêtée et arrosée de tirs. Certains journalistes algériens ont d'ores et déjà désigné comme assassins Abdelhakim Chenoui et Malik Medjnoun, présentés comme ayant été des membres du GIA (1). Arrêtés quelques mois après le meurtre, ils ont été sauvagement torturés (2). Ils attendent depuis d'être enfin jugés. La famille Matoub, les habitants de la Kabylie et du pays entier sont persuadés que les véritables commanditaires sont à chercher ailleurs. La Kabylie a été secouée par des manifestations aux cris de « pouvoir assassin ». Durant toutes ces années d'attente, les appels de la famille de la victime comme ceux des détenus aux autorités les intimant de juger ce crime n'ont pas été entendus. Bien que la procédure ait été déclarée comme close, aucune date n'avait plus été fixée depuis 2001, et pour cause… « C'est un dossier sensible, il faut une décision politique » est la réponse obtenue par Nadia Matoub, la veuve du chanteur, qui, le 3 février 2008, s'est rendue au parquet du Tribunal de Tizi-Ouzou chargé de l'affaire. Or à y regarder de plus près, l'instruction de ce dossier a été supervisée non pas par l'institution judiciaire mais pas le DRS (Département du renseignement et de la sécurité). Une affaire qui dès le début a été tronquée : les trois femmes présentes lors de l'attaque n'ont jamais été auditionnées par le juge d'instruction ; des témoins oculaires, habitant Tala Bounane, n'ont jamais été entendus ; l'une des sœurs de Nadia Matoub a pu reconnaître l'un des agresseurs, mais il n'a jamais figuré sur la liste des dix présumés assassins rendue publique en décembre 2000 alors que A. Chenoui et M. Medjnoun, eux, ne figuraient pas dans la liste initiale. De ces dix suspects, huit seraient morts et seuls les deux détenus doivent comparaître. Medjnoun avait été enlevé par des agents du DRS près de son domicile à Tizi-Ouzou le 28 septembre 1999 et détenu au secret durant plus de huit mois au Centre Antar d'Alger, dirigé par le DRS. Chenoui, un maquisard repenti dans le cadre de la « concorde civile », avait quant à lui été arrêté à Tizi-Ouzou, le lendemain de sa reddition, soit le 19 septembre 1999. Il a été détenu en garde à vue pendant six mois au Centre de Châteauneuf, également dirigé par le DRS. Tous les deux ont été brutalement torturés et incarcérés à la prison de Tizi-Ouzou. Ils se rencontreront pour la première fois de leur vie lors d'une audition chez le procureur de Tizi-Ouzou en mars 2000. Medjnoun apprendra qu'il est inculpé pour le meurtre de Matoub lorsqu'il sera présenté en mai 2000 devant le procureur. Durant tous les mois d'interrogatoire et de torture, aucun agent du DRS ne l'avait impliqué dans cet assassinat. Dans les deux cas, les personnes pouvant témoigner de leur emploi du temps au moment du crime n'ont jamais été entendues. Là encore, le DRS a tenté de ficeler un dossier à charge. Deux civils, Hamid Cherbi et son fils Ahmed, ont été contraints sous la torture et les pressions du chef du CTRI de Blida (centre du DRS), le colonel (aujourd'hui général) M'henna Djebbar, ainsi que du député du RCD Nourredine Ait-Hammouda, d'accuser les deux suspects en prétendant les avoir vus sur le lieu du crime. Or tous les deux ont, lors de leurs procès, retiré leur déposition, affirmant ne pas connaître les deux suspects et ne pas avoir été sur les lieux au moment de la fusillade. L'instruction de l'affaire Matoub a été clôturée par un arrêt de renvoi devant le tribunal criminel de Tizi-Ouzou le 10 décembre 2000. Un procès avait été fixé pour le 5 mai 2001. En dernière minute, il a été renvoyé, et n'a plus été programmé ensuite, jusqu'à l'audience du 9 juillet 2008, où un nouveau renvoi sans date a été décidé par le juge. En 2004, devant les questionnements de l'ONU qui se préoccupait de la détention arbitraire de Medjnoun, les autorités algériennes répondirent « que les incidents qu'a vécus la région ne permettent pas à la justice de juger cette affaire dans les conditions de sérénité requises dans une telle procédure ». (3) On peut voir là un aveu implicite de la manipulation de l'instruction, car, en effet, un simulacre de procès destiné à condamner des personnes sans preuves ni témoignages crédibles aurait embrasé la région en effervescence à cette époque. Mais qu'en est-il aujourd'hui ? Le pouvoir pourrait-il se permettre un procès équitable sans impliquer d'influents membres du DRS et du RCD ? Le nouveau report montre bien qu'il n'y a aucune volonté d'éclaircir cette affaire. Le tribunal n'a fait parvenir la convocation au procès à la famille Matoub que le 7 juillet (4), et celle-ci lui a fait aussitôt parvenir une liste de 50 témoins à entendre. Tirant prétexte de cette demande tardive – et pour cause – le juge a reporté une nouvelle fois le procès. Pourquoi le procès avait-il été programmé maintenant ? Est-ce en raison des recommandations de l'ONU dont les organes suivent de près l'affaire de Malik Medjnoun ? Rappelons que le Comité des droits de l'homme a condamné l'Etat algérien en 2006 pour la détention arbitraire et la disparition de Malik Medjnoun et lui recommande « d'amener Malik Medjnoun immédiatement devant un juge pour répondre des chefs d'accusation ou le remettre en liberté, de mener une enquête approfondie et diligente sur sa détention au secret et les traitements qu'il a subis depuis son enlèvement le 28 septembre 1999 et d'engager des poursuites pénales contre les personnes responsables de ces violations (5) ». L'affaire Lounès Matoub montre une fois de plus que la Justice algérienne, contrairement aux allégations d'officiels algériens devant les tribunes internationales, n'est pas indépendante. Si procès il y a, il faut s'attendre à une condamnation des deux suspects à une peine couvrant leur période d'emprisonnement afin d'éviter toute protestation populaire tout en justifiant leurs années d'incarcération sans jugement. 1. Voir par exemple Liberté du 8 juillet 2008. 2. Lettre de feu Me M. Khelili au juge d'instruction près le tribunal de Tizi-Ouzou du 31 octobre 2000. Et témoignage de Malik Medjnoun, 3.Constatations du Comité des droits de l'homme du 9 août 2006 suite à la plainte déposée pour détention arbitraire et disparition forcée de Malik Medjnoun, http://www.unhchr.ch/tbs/doc.nsf/MasterFrameView… 4. Liberté, 9 juillet 2008 5. http://www.unhchr.ch/tbs/doc.nsf/MasterFrameVi