Mercredi 27 Juillet 2011 In La Nation.info Dans la torpeur apparente d'un été qui hésite entre abandonner la partie à un automne précoce et en remettre une couche de canicule pour bien montrer qu'on n'est pas encore fini, la vie du caméléon est sur le point d'être bouleversée. Accroché à son poste, embarrassé par son propre stress dont il suppose que l'intensité vient de la multitude qui n'en finit pas de s'agripper à la branche qui menace de céder, le caméléon ne bouge pas d'un iota. Il se contente de faire défiler les couleurs. Certains croient que le caméléon change de couleur pour se confondre avec son environnement et mieux se camoufler. Encore un mythe utile. Le caméléon change de couleur au rythme de ses émotions. C'est la créature la plus stressée de la création. Prédateur lui même, il passe son temps à guetter l'arrivée d'éventuels prédateurs. Il dispose pour cela de deux yeux proéminents et dotés de mouvements indépendants. Ce qui lui permet de surveiller de tous cotés en même temps. Et quand il détecte une proie les yeux du caméléon convergent pour une meilleure précision. A part surveiller tout ce qui bouge, happer les insectes imprudents qui s'approchent de trop près, le caméléon est immobile. Il épie le monde. Et envoie des signaux à ses congénères en changeant de couleur. Tout autour le monde bouge. Le monde change. Le monde se décompose et se recompose à une vitesse hallucinante. Mais le caméléon ne bouge pas, ne sait qu'épier, happer les imprudents et faire défiler les couleurs. D'un point de vue stratégique le caméléon est du type concierge introvertie ou aphasique. L'information qu'il accumule ne lui sert à rien d'autre qu'à ruminer des batailles imaginaires qu'il ne mènera jamais. Ou à jouer avec lui-même une interminable partie d'échecs dont il est difficile d'évaluer la complexité réelle mais où le principal ingrédient doit être le stress permanent dans lequel il baigne. Le caméléon est lassant et sans grand intérêt une fois qu'on a décrypté son système chromatique, mesuré la longueur de la langue protractile avec laquelle il happe à distance des insectes et au mieux quelques oisillons. Dés qu'on a compris que le caméléon doit sa prise sur la branche à ses doigts groupés en deux blocs opposables qui forment une sorte de pince et non à une quelconque doctrine sophistiquée on sait qu'il s'agît là d'une espèce inapte à l'adaptation. Il en survivra quelques spécimens. Mais le groupe est condamné. Qu'il règne sur une famille, sur un clan, un parti ou un Etat, le caméléon n'a aucune chance d'impulser une quelconque dynamique collective. Il ne sait ni construire ni composer ni apprendre ni partager. Survivance d'une ère révolue le caméléon survivra aussi longtemps qu'aucun bucheron ne sera intéressé par l'arbre auquel il s'accroche. Et seulement aussi longtemps. Pour le moment le caméléon tente de décrypter les sons qui emplissent la forêt. Depuis quelque temps le fracas des arbres qui tombent et le ronflement des scies l'empêchent de dormir. Alors le caméléon est aux aguets. Lectures: