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Un arbre dans la ville
Publié dans Le Quotidien d'Algérie le 10 - 08 - 2011


Mardi 9 Août 2011
Le conflit entre les pouvoirs publics et les habitants du bois des pins ne laisse pas indifférent. Un quartier qui se bat pour sauver un bois en plein chaos urbain c'est assez rare. Quand l'administration ordonne le déracinement des arbres, celui des hommes n'est pas loin nous disent les riverains du bois des pins. Et des sociologues traquent le sens dans les désordres de la ville.
Le grand évènement de cette première semaine de ramadhan algérien est bien sur la crise du bois des pins. Pour de multiples raisons toutes les autres colères nationales : l'eau qui manque ici et là, la viande d'âne que l'on vend ailleurs, les administrations au ralenti, la vie chère, les médicaments introuvables, les décibels des haut-parleur des mosquées, la canicule, les embouteillages interminables, l'insécurité, les émeutes quotidiennes, le terrorisme et tout le reste fait pâle figure devant la crise du bois des pins.
Peut-être à cause de Hydra…
·Difficile de dire pourquoi exactement. Peut-être à cause de Hydra. Ce quartier traditionnellement chic devenu symbole de la corruption. Entre les riches et les moins riches la cohabitation n'a pas toujours été aussi tendue. Un ilot de richesse dans un quartier populaire et, à l'inverse, une enclave populaire dans un quartier riche, ce n'est pas forcément un motif de discorde. Sauf qu'entre les riches et les pauvres l'Etat a trop tiré sur la corde au profit de clientèles à la fortune douteuse. Ce n'est pas la richesse qui gêne, c'est le procédé ignoble de l'accumulation illégitime couplé à l'exclusion. La colère des habitants du bois des pins ressemble à celle des habitants d'autres quartiers populaires qui sont entrés en confrontation avec les pouvoirs publics. Mais ici la marginalisation des habitants a un bénéficiaire immédiat : le promoteur du projet et sa clientèle. Il ya dans la « crise du bois des pins » tous les ingrédients de la révolte sociale. Une fois n'est pas coutume, les clichés médiatiques sont du côté de la revendication populaire. Ni « population interlope » des bidonvilles, ni rurbains inclassables croulant sous les maux sociaux, les habitants du quartier du bois des pins sont le chainon manquant dans le discours officiel. Ils ne peuvent être aisément disqualifiés au motif qu'ils seraient des « gueux » ou « d'avides profiteurs » comme l'ont été d'autres révoltés. Et comble de malchance pour les pouvoirs publics, ces citoyens s'offrent le luxe de défendre des arbres tandis que c'est l'Etat qui apparait dans le rôle du parvenu massacreur de verdure. Violant au passage ses propres lois1.( La loi N° 84 -12 du 23 juin 1984 portant Régime Général des Forêts stipule dans ses articles
2 : Le Patrimoine Forestier est une richesse nationale. Le respect de l'arbre est un devoir pour tous les citoyens. Et dans son article 6 ; Sont déclarées d'intérêt national : la protection le développement et l'utilisation rationnelle des forêts, des autres formations forestières t des terres à vocation forestière. La préservation et la lutte contre les incendies et toutes les altérations ou dégradations du milieu forestier.)
Mais ce qui pointe, à tord ou à raison, derrière la colère des habitants devant les arbres arrachés et la rumeur de l'attribution à un « beggar » du terrain ainsi dégagé est la crainte de se voir à terme délogés et éloignés vers les zones de recasements périphériques à l'instar des habitants d'autres quartiers de la capitale.
Exclusion des classes populaires.
L'exclusion méthodique des classes populaires du champ politique a commencé par leur exclusion au sein même de la ville. Le discours dominant sur la ville fait généralement porter à l'exode rural le poids entier de la dégradation du mode de vie urbain. Un propos un peu trop convenu. Il faudrait peut-être derrière les « dysfonctionnements » apparents s'interroger sur leurs fonctions cachées comme dirait Bourdieu.
« La dénonciation du désordre urbain supposé cache de plus en plus mal le double arrangement spatial : celui qui conduit les groupes dominants-et leurs grappes de servants- à maximiser les avantages des rentes foncières, immobilières et de localisation. Et, dans le versant opposé, celui qui consacre l'occupation des zones les plus défavorables par les couches astreintes à privilégier leur survie biologique plutôt que leur reproduction sociale2»( Rachid Sidi Boumedine in Désordres ou « Des ordres » urbains Naqd Printemps-été 2002.)
Analysant l'explosion sociale d'octobre 88, Said Chikhi notait en 1989 que le problème n'était plus celui de l'exode rural2 (en déclin à l'époque et revenu avec le terrorisme qui a chassé des populations entières de leurs zones isolées) mais la marginalisation massive de pans entiers de la population urbaine : « Social, le champ de la marginalisation est aussi d'essence urbaine. (…) C'est ici que les mécanismes d'exclusion repoussent les groupes et couches populaires vers les zones les plus dégradées de la ville et où la concentration urbaine est énorme et est refoulée vers des quartiers dortoirs. L'allure de ces faubourgs populaires est connue : les équipements collectifs quasi-inexistants, l'environnement est éclaté, les espaces verts sont détruits, les rues sont miséreuses… »3(Said Chikhi dans Algérie du soulèvement populaire d'octobre 88 aux contestations sociales des travailleurs. Mouvement social et Modernité Naqd Mars 2001)
Arbres et populations arrachés
Ce n'est pas un ni dix, mais la majorité des habitants du bois des pins qui s'est sentie elle-même « arrachée » en voyant le chantier du projet de parking prendre la place de la petite forêt mitoyenne de leur cité. Encore une idée reçue : l'insensibilité populaire à la nature. Pourtant écologie et politique ont toutes les raisons du monde de se compléter dans ce pays où l'on a pris depuis plus d'un siècle l'habitude de faucher avec la même aisance les hommes et les arbres4.( certains massacres comme celui de Beni Messous commis le 5 septembre 1997qui a fait 70 morts parmi les citoyens de Sidi Youcef est considéré par certains observateurs comme répondant à un conflit sur la possession des terres.) Les riverains du bois des pins le formulent clairement : la destruction du bois est un prélude à leur expulsion des lieux. Sur une des vidéos mises sur internet on voit une résidente crier qu'elle a le même âge que la forêt qu'elle a vu grandir et que l'on vient d'arracher : 60 ANS !
La Casbah hier…
Les révoltes urbaines, souvent liées à la question du logement, posent en creux la double question de la marginalisation des couches populaires dans l'accès aux ressources et leur expulsion en dehors de la ville. Le soutien manifesté par un groupe de moudjahidates aux habitants en colère remet dans les esprits, à travers la figure de Djamila Bouhired, le destin terrible de la Casbah, classée patrimoine mondial et livrée à la décrépitude. Par ce qu'à chaque fois qu'ils en sont chassés ses habitants y reviennent. La Medina semble comme condamnée à ne point connaître de réhabilitation tant que ses habitants continueront à en revendiquer la propriété.
Un numéro de la revue NAQD daté du Printemps-été 2002 est consacré aux Des ordres urbains, Rachid Sidi Boumedine y relève que : «… la logique de répartition sociale de la population ne contredit pas celle mise en œuvre au cours de la colonisation… Il suffit de superposer la carte des bidonvilles et des quartiers « à forte majorité musulmane » dressée par Descloîtres et Reverdy (l'Algérie des bidonvilles) ou celles établies par l'Institut de géographie de Besançon (Géographie sociale d'Alger) et la carte de l'occupation sociale d'Alger (dans sa nouvelle étendue de 2001) pour s'en rendre compte. »5( Rachid Sidi Boumedine : Désordres ou « Des ordres » urbains. Naqd Printemps-été 2002)
Derrière le désordre apparent se dessine une logique et des régularités observables que le chercheur met au jour:
« 1- Extension marquée des quartiers de grandes villas vers l'ouest de la ville, en prolongement direct des quartiers huppés de la période coloniale, ceci est vrai que l'on prenne en considération la promotion immobilière publique ( Garidi à Kouba) ou privée ( Garidi et Deux bassins à Ben Aknoun) ou les lotissements qui concernent toute la couronne de localités limitrophes depuis Draria jusqu'à Cheraga en passant par Baba Hassan, Draria, Dely Ibrahim.
Outre des taux de croissance de population remarquables entre 1987 et 1988, dates des recensements (de 6% à 20% selon le cas contre une stagnation et même une régression pour la partie centrale de la ville) ce sont les zones où la part des diplômés du supérieur est la plus forte, si l'on excepte Bab-Ezzouar.
2- Les programmes de relogement d'habitants des bidonvilles, de quartiers sinistrés ( séismes, éboulements, écroulements) et les programmes sociaux ont obéi-en termes de résultats- à deux logiques de localisation : soit à proximité immédiate des anciens bidonvilles ou des cités de recasement, soit, au contraire, à proximité des extensions industrielles successives.
C'est ainsi que l'on peut constater l'existence d'un axe allant de Bab el oued vers Bouzaréah et Beni Messous à l'ouest, et de très grandes concentrations à Bachdjarah, Bourouba, Gué de Constantine, Ain Naadja, Baraki à l'Est immédiat ; puis Bab Ezzouar, Dergana, Réghaia plus à l'Est encore. Certains habitants de la Casbah ont même été relogés à Thénia, à 50Kilomètres à l'Est d'Alger.6 »(idem)
Ces dix dernières années la contestation des conditions de vie, d'habitat et de commodités ont constitué l'essentiel des mouvements de protestations sociales et il ne semble guère que les pouvoirs publics soient en mesure d'y répondre de manière satisfaisante.
« Diar el kef, les palmiers, Djenan Hassen, Sidi Yahia, Diars Echems, parmi d'autres lieux de vie à Alger, sont devenus des foyers de haine sociale, de rejet de toute expression des règles civiques, décrits dans les rapports officiels sous l'euphémisme de « quartiers sensibles et difficiles d'Alger »…Construits dans la dernière phase de l'ère coloniale ces ensembles d'habitat restent l'exemple de l'ultime tentative de calmer les tensions sociales et politiques par l'intégration des populations migrantes agglomérées autour de la ville au début du siècle. » L'auteur de ces lignes Dalila Imarène-Djerbal décrit dans son article7( Un monde à part in Naqd Printemps-été 2002) l'enlisement de certains de ces quartiers dans des situations de détresse sociale, physique et morale. Depuis le soulèvement de la Casbah en 1985, les révoltes de quartiers n'ont cessé de poser la question du développement urbain. L'année 2010 et 2011 aura vu les habitants de ces cités de villes défigurées prendre d'assaut la rue pour exprimer leur colère contre un Etat qui les a abandonnés.
Lectures: 2


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