Les Dunes Vue sur la nouvelle «cité interdite» du pouvoir El Watan le 12.11.12 Des airs de Mamounia sur la côte ouest d'Alger. Mardi 30 octobre, tandis qu'au Parlement, boulevard Zighout Youcef, le gouverneur de la Banque d'Algérie discourait sur la «gestion prudente» de l'argent public, sur la côte ouest d'Alger, à plage Fontaine, nichée au pied de la toute nouvelle résidence d'Etat, les vagues s'écrasent indolemment et indifféremment sur la digue protégeant les nouveaux quartiers de la nomenklatura. Visiblement trop à l'étroit dans son enclave démodée et surpeuplée du Club des Pins, nouveaux et anciens oligarques déménagement vers les Dunes. La très select résidence d'Etat — dont la construction a été confiée à une entreprise chinoise en mai 2007 — snobera, sous peu, le mythique palace royal de Marrakech, la Mamounia. Sur quatre hectares (41 000 m2) de ce qui fut autrefois un domaine agricole, exproprié pour utilité publique, s'étend désormais une forêt de chalets haut standing. Agencées au millimètres près, les charpentes en bois d'un bleu indigo, aguichantes de loin, les villas (plus de cinq pièces chacune) avec jardin verdoyant, vue panoramique, équipées de garages avec portique à commande à distance, système de chauffage centralisé, piscines et autres équipements sportifs et de loisirs, attendent depuis des mois d'être affectées (par le président Bouteflika) à leurs bienheureux propriétaires. Clôture et périmètre de sécurité de rigueur, une discothèque style Ibiza avec façade en verre, un bar-restaurant trônent sur la promenade du front de mer de la résidence. Yacine a compté 123 chalets. «Pas 53 comme ils vous l'ont annoncé», précise cet ancien employé de la résidence d'Etat du Sahel, établissement à caractère industriel et commercial (EPIC) sur lequel trône, depuis sa création, en 1997, l'inamovible majordome du régime, Hamid Melzi. Rencontré à la cité Bellevue (ouest de Aïn Benian), le jeune père de famille — qui occupe une pièce dans l'appartement de son paternel — qui dit y avoir travaillé pendant des années, a vu le miracle chinois se produire, pousser et grandir les superbes chalets, fleurir les jardins et jacuzzi sur l'endroit même où une trentaine de familles vivotaient dans leur haouch squatté à l'indépendance, avant d'en être expulsées vers des logements sociaux situés en périphérie. «T'chouf, t'choka ! (Tu vois, t'es choqué !), ajoute-t-il. La carcasse du chalet a elle seule a coûté 17 milliards. Je vous laisse imaginer le reste.» L'érection de cette nouvelle structure, non loin des bourgs populaires de Aïn Benian et Chéraga, nourrit les fantasmes et l'imaginaire des cités, suscite autant l'ire, le rire et surtout l'indignation. Extension des colonies «Hadi extention taâ al Ihtilal (c'est l'extension des colonies)», assène du tac au tac un commerçant, un des derniers survivants de son espèce sur ce tronçon dorloté de la RN11 longeant la résidence. Ses copains éclatent de rire. Des éléments de décoration et du mobiliers italien, dit-on, à l'argenterie espagnole, en passant par les palmiers californiens à «100 millions de centimes l'unité», tout devient prétexte à la plaisanterie et aux commentaires souvent décapants. «Depuis qu'ils l'ont construite (la résidence), nous n'avons plus le droit de planter nos parasols sur nos plages, nous n'avons même plus le droit d'aller pêcher avec notre barque. Mamnouâ (nterdit)», lance un autre jeune. Le 21 décembre 2010, le Premier ministre, Ahmed Ouyahia (l'Epic de la résidence d'Etat Sahel dépend des services du Premier ministre) signe un décret instituant et délimitant un périmètre de protection de la zone d'Etat, comprenant une zone terrestre et une zone maritime. Par ce décret, le gouvernement donne carte blanche à l'Epic de la résidence d'Etat, validant tous ses actes d'expropriation (de terres), de démolition (d'habitations et commerces), d'interdiction (d'activités même agricoles) pris envers et contre la peuplade des Dunes. Mais le trop-plein de zèle, la réquisition systématique de la puissance publique pour chasser du «périmètre de sécurité» les petites gens, considérées comme une «menace» potentielle (décret), n'opère plus lorsque le pouvoir est confronté à ses caudillos. Zone d'état, zone du peuple Lors de la visite de Bouteflika l'an dernier, à la veille du 1er Novembre, au chantier du Centre international de conférences, raconte, non sans rire nerveux, Younès, des immenses panneaux en zinc ont été élevés derrière lesquelles «ces trois villas, que vous voyez là-bas, ont disparu de la vue du président Bouteflika». «Des villas, ajoute-il, sans papiers, appartenant à un général». Potemkine se découvrant en post-mortem des origines algériennes ? Possible. Surplombant les plages Fontaine et El Bahdja, désertes, sauf de ces couples fuyant la morale publique et sa pléiade de polices des mœurs, la butte de la Madrague, quartier en perpétuel reconfiguration, s'offre en promontoire. «Ici, tu es encore dans la zone du peuple, fel houdoud (à la frontière) plaisante un riverain. Nous avons une superbe vue sur la zone d'Etat, en face.» En contrebas, une station d'épuration des eaux usées plantée à l'embouchure de l'oued Beni Messous. Un oued faisant office de barrière naturelle entre deux univers s'épiant comme des chiens de faïence et se vouant une haine réciproque. El Djamila change de propriétaires et les Dunes virent au «rocher», la principauté de Monaco. Le quartier fait sa mue : la largeur de la chaussée — la RN11 a été dédoublée — est élargie : ronds-points, trémies, échangeurs, double file de palmiers californiens, les services de la DTP ont montré plus qu'un savoir-faire, un savoir anticiper les besoins et desiderata de la tribu qui s'installe. Les chantiers pharaoniques de Melzi Les ouvriers de la China State Construction Engineering Corporation s'affairent comme des succubes dans leur mégachantier de la future école supérieure d'hôtellerie et de restauration d'Alger, située à quelques centaines de mètres de la résidence d'Etat. A droite de celle-ci, un autre chantier non moins pharaonique : le nouveau Centre international des conférences (CIC), un Palais des nations-bis, en construction à quelques kilomètres du premier. Le CIC, c'est 27 ha (270 000 m2), 500 millions d'euros (50 milliards de dinars), un auditorium de 6000 places (six fois plus qu'au Palais des nations), des espaces chefs d'Etat et VIP, une salle de banquet (2500 places) et des restaurants (3400 places). Certains restaurants tenait à consoler (fin octobre 2011, dépêche de l'APS) le directeur de la résidence Sahel, «seront ouverts au public à longueur d'année». Ces infrastructures à statut hybride, public-privé, viendront enrichir le patrimoine déjà non négligeable de l'EPIC de la résidence d'Etat qui compte déjà à son actif l'Entreprise de gestion du centre du Club des Pins, la résidence d'Etat Sahel, l'entreprise touristique Sahel, la Société d'investissements hôteliers propriétaire du Sheraton Club des Pins, des logements à Staouéli et Chéraga, le Palais des nations, etc. Le très imposant portail de la résidence, édifié en brique pleine et ressemblant étrangement aux portes de la Cité interdite (Chine) ne s'ouvre que rarement. Seulement pour offrir gîte et couvert à de distingués hôtes étrangers en visite officielle, ou parfois pour des noceurs pistonnés, férus des contes des mille et une nuits. Mohand Aziri