In http://blog.lesoir.be/baudouinloos Publié le 29 janvier 2013 par Baudouin Loos La tragique prise d'otages qui s'est déroulée du 16 au 19 janvier sur le site gazier algérien d'In Amenas a été l'occasion de constater l'opacité absolue qui règne au sommet de l'Etat en Algérie. Les couacs dans la communication en disent long sur la nature d'un régime où les centres de pouvoir apparents – présidence, gouvernement – ne disposent en réalité que d'une influence limitée quand le processus décisionnel implique des sujets qui concernent l'existence même de ce régime. Le ministre de l'Intérieur, premier responsable à s'exprimer en pleine crise, s'est fait remarquer par son incapacité à prodiguer des informations fiables. Dès le 16 janvier, Dahou Ould Kablia se risquait ainsi à affirmer que « le groupe terroriste qui a attaqué le site n'est entré ni du Mali ni de Libye », précisant même qu'il s'agissait d'« une vingtaine d'hommes issus de la région ». Ces allégations confinèrent vite au ridicule – le Premier ministre Abdelmalek Sellal évoqua ainsi un bilan provisoire lors d'une conférence de presse à Alger le 21 janvier, affirmant que « les 32 terroristes[étaient] venus du nord du Mali » et qu'on ne retrouvait que trois Algériens parmi eux. La presse algérienne n'a pas manqué de dénoncer la communication du gouvernement. Dont le journal arabophone Echorouk (500.000 exemplaires par jour), qui tançait un ministre de l'Intérieur auteur « d'informations complètement fausses, faisant croire qu'il était totalement dépassé par les événements », alors que le francophone El-Watanpointait le black out-officiel « érigé en mode de communication »... Notre confrère Akram Belkaïd, pouvait de son côté écrire sur son blog un commentairedifficile à contredire : « Quand intervient un événement majeur, on ne sait jamais ce qui se passe exactement. Et, plus grave encore, il est presque certain que l'on ne saura jamais ce qui s'est vraiment passé. (...) L'Algérie est cousine de la Corée du Nord, de Cuba et d'autres pays autoritaristes où la vérité est une denrée rare.. ». El-Watan, encore lui, n'hésitait par ailleurs pas à fustiger le silence, il est vrai assourdissant, du président Abdelaziz Bouteflika, qui n'a rien eu à dire aux Algériens sur cet événement pourtant tout à fait exceptionnel et même traumatisant pour l'opinion publique, toujours sans explications sur la facilité avec laquelle des dizaines de jihadistes ont pu lancer une attaque d'envergure contre un site en principe hyper protégé. Jouant au faux ingénu, le journal éditorialisait le 22 janvier sur l'attitude du « raïs » : « Il n'est pas exclu que la décision militaire de stopper la prise d'otages d'In Amenas par les forces spéciales de l'armée ait échappé au président ou qu'elle l'ait pris au dépourvu. (...) L'Algérie a subi une des attaques les plus terrifiantes de ces dernières années, et après, il était du devoir du chef de l'Etat d'informer et surtout de rassurer les Algériens sur la capacité du pays, politiquement et militairement, à maîtriser la situation et surtout à répondre à toutes les agressions du jihadisme international de quelque nature qu'elles soient. Le silence a été désastreux ». Faux ingénu ? Parce qu'il eût sans doute été plus clair d'incriminer la nature même du pouvoir en Algérie plutôt que de se plaindre de sa communication déficiente. Comme l'écrit encore Akram Belkaïd, « le fait est que cette opacité est la marque de fabrique de l'Algérie officielle. Cela rend service à ses dirigeants qui s'entourent d'un halo de mystère pour ne jamais avoir à rendre des comptes à leur peuple et à la communauté internationale ». Autant, finalement, poser la bonne question : qui gouverne l'Algérie ? Car, on le voit, les autorités visibles, le président et le gouvernement, ne disposent que d'un pouvoir très limité voire même marginal s'agissant des grandes options. Qui, alors, compose donc ce que les Algériens appellent volontiers « le cercle des décideurs » ? Serait-ce bien, comme plusieurs livres ont tenté de le démontrer, du côté du pouvoir occulte de l'armée qu'il faut chercher ? « Il n'y a jamais eu d'Etat, seulement un système politique décoratif et une police politique qui agit dans l'ombre », nous disait il y a quelque temps le docteur Salah Eddine Sidhoum, spécialisé dans les droits de l'homme et longtemps harcelé à ce titre. Il ajoutait : « Ce régime n'a pas d'idéologie, c'est la loi du portefeuille, ils détruisent le pays par le pillage, c'est une voyoucratie ! ». Vous avez dit « police politique » ? On aurait aussi pu avancer « Sécurité militaire », la fameuse « SM » tant crainte en Algérie. Qui est devenue « le DRS » en 1990, peut-être parce que « le Département du renseignement et de la sécurité » n'induit pas de connotation négative. En tout cas, nombre d'auteurs algériens et français ont écrit des livres, parfois des témoignages de transfuges, pour tenter de mettre en lumière le pouvoir occulte du DRS. Celui-ci a été mis au jour lors de la « décennie noire ». Les Algériens utilisent cette expression en référence à la sale guerre qui fit quelque 200.000 morts dont 15.000 disparus en huit ans dans des atrocités qui suivirent le coup d'Etat de l'armée en janvier 1992 interrompant des élections que les islamistes, déjà eux, allaient remporter. Le site algeria-watch.org, féroce contempteur du régime, détaillait sa perception des choses le 11 janvier : « Théoriquement placé sous l'autorité du chef de l'Etat, le DRS est en réalité l'institution centrale qui supervise toutes les autres, civiles et militaires, y compris la présidence de la République. Le président n'a même pas la capacité de nommer son propre chef de cabinet et a dû par exemple accepter en septembre 2012 la désignation d'un Premier ministre, Abdelmalek Sellal (qui fut son directeur de campagne électorale), imposé par le DRS ». Et de dénoncer un système régi par « le contrôle politique et la corruption » mais qui peut aussi verser dans la manipulation, notamment quand on l'accuse d'infiltrer, en partie, des cellules terroristes comme Ansar Eddine ou même Aqmi (Al-Qaïda au Maghreb). Cette dernière dénonciation, relayée depuis longtemps par certains transfuges militaires, trouve également un écho dans les travaux d'un expert britannique connu pour sa connaissance du Sahara et du Sahel, Jeremy Keenan, de l'Université de Londres, lequel n'hésite pas à dénoncer au passage les complicités américaines avec Alger dans la région. Si tout cela est vrai, l'on comprend mieux les silences officiels, les déclarations maladroites des ministres, bref « la énième faillite de la communication officielle », comme le notait à propos de la crise des otages le quotidien algérien francophone privéLiberté. Trente-sept de ces otages étrangers ont été tués à In Amenas. Leurs proches attendront peut-être encore longtemps toute la vérité sur ce funeste épisode.