19 avril 2013 « Droit-de-l'hommiste » en Algérie ? Un job plutôt chahuté. Rencontre avec un membre de cette catégorie très particulière d'Algériens, de passage à Bruxelles sous les auspices de la Fédération internationale des Ligues de droits de l'homme (FIDH). Zaïd Yacine a 42 ans et vit à Laghouat, à 400 km au sud d'Alger. Ce syndicaliste, défenseur des droits de l'homme, tient un blog (www.yacinezaid.com). Comment pourriez-vous résumer l'état des lieux en Algérie ? Le pouvoir a atteint un sommet de mégalomanie. Il méprise le peuple et la répression est permanente. Pire : tout se passe comme si l'Occident lui avait donné son feu vert. Contre l'assurance de la stabilité, sans doute. Cela alors que même les besoins de base laissent à désirer comme en attestent les épisodes en 2012 de la pénurie de pommes de terre ou de gaz butane (pour un pays producteur !). Pourtant, qui ignore encore les complicités du pouvoir dans les événements de la « décennie noire » (l'annulation des élections de 1992 que les islamistes allaient remporter et le basculement du pays dans une « sale guerre » qui a fait quelque 200.000 victimes, NDLR), et le niveau de corruption ? On vient d'inaugurer le premier tronçon du métro, à Alger, huit kilomètres, eh bien, les travaux avaient commencé vingt-cinq ans plus tôt ! L'autoroute est-ouest, elle, devait coûter 4 milliards de dollars, on en est à 19 milliards... Ils disent qu'il y a un parlement élu, un gouvernement qui en émane et un président élu... C'est comme un « cirque démocratique ». Le peuple ne décide rien. Bouteflika (l'actuel président depuis 1999, NDLR) était apparu à l'époque quelques mois avant le scrutin présidentiel et avait gagné parce que l'armée l'avait désigné. Les différents clans au sommet se disputent entre eux, s'accusent de corruption, mais ils ne se détruisent pas, le tout est de faire main basse sur les richesses du pays. Le vrai pouvoir est aux mains du DRS (le Département du renseignement et de la sécurité). L'impunité est totale, notamment en matière de torture. Il n'y a pas eu de « printemps algérien » ? Il y a eu la tentative de 1988, puis l'horrible bain de sang qui a duré près de dix ans, qui n'a épargné presque aucune famille algérienne. C'est quoi, la vie de quelqu'un qui se spécialise dans les droits de l'homme dans l'Algérie profonde ? La société civile tout entière est harcelée. On est tout de suite accusé de traîtrise, d'être « pro-Otan », etc. Dans mon cas, je ne sais plus combien de procès j'ai sur le dos ! En octobre 2012, ils m'ont emprisonné pendant une semaine quand je travaillais à Ouargla. Un message pour dire : ne t'approche pas des puits de pétrole. J'ai écopé de six mois de sursis, avec un paradoxe révélateur : l'accusation retenue – coups et insultes contre un policier – aurait dû me valoir un minimum de 3 ans d'emprisonnement. Ma peine est illégale, en somme. Mais j'ai pu bénéficier d'une campagne de solidarité internationale. Une chance que n'ont pas eu d'autres, comme les meneurs embastillés du « comité nationale de défense des chômeurs ». Et la presse algérienne, elle s'occupe de ces problèmes ? Très peu de journaux osent faire face à ce mastodonte, le pouvoir. Au contraire, beaucoup de journaux sont des officines de propagande du régime et s'en prennent aux militants des droits humains. L'un d'eux a même publié un appel au meurtre contre moi ! Vous gardez l'espoir dans ce tableau fort sombre ? On essaie de structurer la société civile. Il faut éviter une révolte violente : quand ce pouvoir a peur, il se livre à des atrocités. C'est vrai, c'est difficile. Propos recueillis par BAUDOUIN LOOS