LE SOIR (DE BRUXELLES) DU 19 AVRIL 2013 Baudouin LOOS L'élection présidentielle est prévue en avril... 2014 en Algérie, mais les rumeurs vont déjà bon train autour d'une question obsédante: Abdelaziz Bouteflika, pensionnaire du palais d'El-Mouradia depuis 1999, briguera-t-il un quatrième mandat? Le principal intéressé garde le silence sur ses intentions, mais certains signes ne trompent pas, comme des appels à se représenter émanant de ministres ou le récent déploiement d'un immense calicot en ce sens lors d'un match de football à Alger... Juridiquement, sa candidature ne poserait aucun problème. Une opportune révision constitutionnelle avait déjà eu lieu en 2008 pour autoriser le troisième mandat et désormais il n'y a plus de limite. Politiquement, en revanche, la question ouvre un débat qui relance un dossier sensible: qui gouverne en fait l'Algérie? Jamais ce pays n'a connu de président élu par le peuple. Depuis l'indépendance en 1962, ceux qui se sont succédé à ce poste, qu'ils s'appellent Ben Bella, Boumediène, Bendjedid, Boudiaf, Zéroual ou… Bouteflika, ont tous été désignés par l'armée. Ou, plus précisément, par la Sécurité militaire, rebaptisée en 1990 DRS (Département du renseignement et de la sécurité), vrai centre du pouvoir en Algérie. Abdelaziz Bouteflika, mieux que quiconque, connaît cette règle dont il a été le bénéficiaire depuis 1999. Les «décideurs», comme on dit en Algérie, veillent à protéger leurs intérêts en nommant quelqu'un qui ne leur portera pas ombrage. Mais les choses seraient peut-être en train de changer. Un événement très inhabituel s'est en effet produit en février: El Watan, un des grands quotidiens algériens francophones, a osé publier une lettre ouverte adressée au chef tout-puissant du DRS, le général Mohamed Médiène, dit «Toufik», dans laquelle Hocine Malti, un ancien directeur de la Sonatrach, la grande compagnie nationale des hydrocarbures, dénonce dans des termes ahurissants de crudité la corruption qui gangrène le sommet de l'Etat. Malti y allait très fort, rebondissant sur une sombre affaire qui avait explosé en Italie quelques semaines plus tôt, qui impliquait des pots-de-vin à la Sonatrach pour 200 millions d'euros. En atteste cet extrait: «Ce que vous recherchez au travers de cette lutte feutrée, invisible pour l'œil non averti mais néanmoins féroce (entre le clan de Toufik et celui de Bouteflika, NDLR), c'est bien entendu affirmer votre suprématie, mais aussi et surtout faire main basse sur les richesses du pays: un objectif que, malgré les bisbilles entre vous, vous partagez dans une indéfectible solidarité. Dans chacun des deux clans, vos affidés respectifs, mettant à profit la garantie d'impunité que vous leur assurez, se sont rempli les poches, ont garni au maximum leurs comptes en banque dans les paradis fiscaux (...)». Miner une candidature... Les observateurs algériens en conviennent: aucun journal n'aurait pu publier un tel pamphlet sans l'accord du DRS. Est-ce que Toufik, qui voudrait évincer le président, pense que le texte compromet assez Bouteflika pour miner une quatrième candidature quitte à se laisser lui-même traîner dans la boue? Car Bouteflika, malgré son âge (76 ans), serait tenté par ce fameux quatrième mandat. «Je pense qu'il y a une volonté de l'entourage de «Boutef» d'obtenir un quatrième mandat, nous dit un confrère algérien bien informé. Il y a trop d'appels «spontanés» en ce sens. Lui-même, n'y serait pas opposé, me dit-on, convaincu qu'un retrait signifierait de gros problèmes pour son entourage tellement impliqué dans des affaires de corruption». Trois hommes politiques dont un ancien Premier ministre qui serait très ambitieux, Ahmed Benbitour, ont lancé un appel le 30 mars en vue de constituer un front pour s'opposer à un quatrième mandat du « raïs » actuel. Mais les partis de l'opposition n'ont pas osé s'engager sur cette voie, peut-être de peur de déplaire aux «décideurs», dont personne ne connaît l'opinion réelle. Pourtant, Bouteflika, 76 ans, semble désormais se contenter d'une conception minimaliste de sa charge. Est-ce en raison d'une santé qu'on dit défaillante? En tout cas, s'il reçoit encore des personnalités à El-Mouradia, sur les hauteurs d'Alger, il ne voyage plus (son dernier déplacement, à Tunis, date du 14 janvier 2012) et délaisse le conseil des ministres.... Il lui faudra sans doute plus d'énergie pour rempiler. Surtout s'il a perdu la confiance du tout-puissant DRS.