LE MONDE | 28.06.2013 à 16h07 |Par Isabelle Mandraud Alger, envoyée spéciale. La demande est venue du ministère algérien des affaires religieuses et des waqfs (biens religieux de mainmorte) pour que la France forme des imams au concept de laïcité. Formulée lors de la visite du ministre français de l'intérieur et des cultes, Manuel Valls, pendant sa visite à Alger en octobre 2012, le projet a pris corps : 40 imams, dont une mourchidate (prédicatrice ou conseillère chargée de la guidance des femmes) ont suivi en juin des cours de langue française et « d'environnement juridique » propre à la France en général et sur la laïcité en particulier. Une grande première. Dispensée par l'Institut français d'Alger, qui dépend du Quai d'Orsay, cette formation est destinée aux chefs religieux algériens qui, chaque année, sont envoyés en France pour une période de quatre ans, dans le cadre des accords passés entre la Grande Mosquée de Paris et des pays musulmans, afin de pourvoir les quelque 1 800 postes d'imams répertoriés sur le territoire français. Tout comme le Maroc et la Turquie, l'Algérie dépêche depuis 2001 une quarantaine de personnes chargées de mener les prières. Toutes ont le statut de fonctionnaires de l'Etat algérien. Certificat délivré par l'Institut français en poche, à l'issue d'une cinquantaine d'heures de cours, la première « promotion » issue de cette formation inédite devrait arriver sous peu, en renfort comme c'est souvent le cas, pour le ramadan, le mois saint des musulmans qui doit commencer le 7 juillet. Mais seuls 25 imams sur les 40 formés feront partie du voyage, au terme d'une sélection opérée par le ministère algérien des affaires religieuses. De part et d'autre, l'initiative relève d'un intérêt bien partagé. Mais la discrétion est de mise car le sujet est jugé sensible. CÔTE FRANÇAIS, ON MARCHE SUR DES ŒUFS Alger justifie sa démarche par le souci d'éviter l'incompréhension que suscitent parfois, parmi ses imams « exportés », la culture et le droit français basés sur la séparation de la religion et de l'Etat. Les cours de langue sont aussi destinés à améliorer les rapports entre les musulmans de France et des chefs religieux, issus de différentes régions d'Algérie, qui ne maîtrisent souvent pas bien la langue. Côté Français, on marche sur des œufs. Car, s'il existe déjà des cursus universitaires sur la laïcité à Strasbourg, à Paris et à Lyon, ouverts à tout public et auxquels se sont inscrits quelques popes ou imams, jamais, en vertu de la loi de 1905 qui fonde la séparation de l'Etat et des églises, les pouvoirs publics ne se mêlent de formation. « ILS SONT RESTES BOUCHE BEE » « On ne travaille pas contre la laïcité, au contraire, nous faisons avancer sa cause, affirme-t-on au ministère de l'intérieur à Paris. L'Etat ne définit aucun programme religieux, notre sujet n'est pas non plus de savoir si le message passe mal entre l'imam ou le fidèle, mais d'expliquer l'environnement juridique dans lequel des fonctionnaires d'un Etat étranger vont évoluer et dont les discours sont parfois complètement déconnectés de la réalité française. » Et puis, souligne-t-on, les cours ont été dispensés en Algérie, pas en France, bien que l'Alsace, restée sous le régime du Concordat, ait été un temps envisagée. A Alger, les intervenants disent ne pas avoir perdu leur temps. « Mes « élèves » avaient du mal à comprendre que la laïcité va jusqu'aux cimetières, ils mettaient en avant le carré chrétien, le carré juif… Alors, je leur ai demandé : il y a beaucoup de Chinois aujourd'hui en Algérie, comment allez-vous les enterrer ? Vous ne connaissez pas forcément leur religion et tous ne seront peut-être pas rapatriés… Ils sont restés bouche bée », raconte l'un des formateurs. Répondant favorablement à la requête d'Alger, Manuel Valls a cependant prévenu qu'à terme, il souhaitait voir se développer la formation d'imams français.