Par José Garçon | Journaliste | 30/08/2008 | 00H43 A trois jours de son audition, lundi, par le juge Baudoin Thouvenot, l'étau s'est singulièrement resserré autour de Mohamed Ziane Hasseni, l'organisateur présumé de l'assassinat en avril 1987 à Paris de Ali Mécili (photo), le porte parole de l'opposition algérienne. Mais, vingt et un ans après ce crime, la détermination du parquet français à empêcher toute avancée dans cette affaire reste patente, selon les informations obtenues par Rue89. Objet d'un mandat d'arrêt international émis en décembre 2007 par le juge Thouvenot et arrêté le 14 août à l'aéroport de Marseille à son arrivée d'Alger, Mohamed Ziane Hasseni a été formellement reconnu par un ex-colonel des services secrets algériens, Mohamed Samraoui, comme l'homme qui, en sa présence, avait versé à Amellou, le tueur de Ali Mécili, une partie de l'argent de son «contrat» dans un hôtel algérien à l'été 1987. Le site Mediapart [accès payant] a en effet présenté deux photos de Mohamed Ziane Hasseni, à cet ex-officier algérien, aujourd'hui réfugié en Allemagne et qui au moment des faits était un responsable des services secrets algériens: l'une prise en novembre 2006, l'autre en juillet 2008 alors que Hassani accueillait des dirigeants européens à Alger. «C'est lui, sans le moindre doute possible», a affirmé Mohamed Samraoui à Mediapart au vu de cet homme arborant lunettes et petites moustaches. Simplement, celui qui fut l'organisateur de l'assassinat de Ali Mécili s'appelait à l'époque « le capitaine Hassani « , avant de devenir, au début des années 1990, le diplomate Mohamed Ziane Hasseni. Un » diplomate » qui fut notamment en poste en Allemagne entre 1997 et 2004, et qui est aujourd'hui « directeur du cérémonial des visites officielles à la direction du protocole du ministère algérien des Affaires étrangères ». Dès son arrestation à Marseille et sa première audition, Hassani/Hasseni a joué sur cette homonymie pour nier tout en bloc. Selon les informations de Rue89, il a d'emblée déclaré : « la fiche dont vous me donnez lecture s'applique bien à mon identité, mais je ne comprends pas pourquoi. Je ne suis concerné ni de loin ni de près par une quelconque complicité d'assassinat ». Transféré dès le lendemain 15 août à Paris et entendu par la juge Goetzmann, il a aussi affirmé « n'avoir jamais été dans l'armée » et « ne connaître » ni Amellou ni Ali Mécili. La surprise de la juge Reste à comprendre comment un responsable du protocole des Affaires étrangères en Algérie peut ignorer, surtout quand il y est mis en cause, une affaire tellement « sensible » que la France et l'Algérie ont tout fait, dès le début, pour l'étouffer? Sans sourciller, il a répondu au magistrat: « J'ai lu récemment des articles de journaux évoquant son assassinat. Récemment, cela veut dire il y a quelques mois. Mais j'ai lu ces articles comme d'autres traitant de faits divers ». Reste le mandat d'arrêt lancé contre lui et qui, note la juge Goetzmann, « a été médiatisé ». Hassani « s'en souvient » effectivement. «Des collègues m'ont montré des articles avec mon nom et plus précisément celui de Rachid Hassani ou Mohamed Ziane Hasseni (…) Et puis j'ai oublié très vite cette histoire ». Surprise de la juge : «C'est une affaire d'assassinat avec des recherches contre une personne au même nom et mêmes fonctions que vous et vous n'êtes pas inquiet » ? « Pas du tout, car l'article citait Rachid Hassani et j'ai pensé, comme c'est souvent le cas, que le journaliste avait écrit n'importe quoi », a répondu l'intéressé toujours selon nos informations. Tout indique qu'une telle tranquillité vient plutôt de la certitude que l'impunité voulue et organisée par la France depuis vingt et un ans – gouvernements de droite et de gauche confondus- empêcherait de toute façon la manifestation de la vérité dans l'assassinat de l'opposant algérien. La poursuite de l'Omerta? Aujourd'hui, tout l'enjeu est de savoir si la France – par Parquet interposé – va continuer à assumer l'omerta qui a toujours entouré cette affaire en faisant semblant de croire à une homonymie mise en avant par la presse algérienne, les avocats de Hassani et Me Vergès qui a aussi volé à son secours. L'attitude du parquet n'incite guère à l'optimisme. Une première fois, en novembre 2007, il s'était opposé aux mandats d'arrêts internationaux lancés par le juge Thouvenot contre Hassani et Amellou , arguant «que leur délivrance ne s'imposait pas ». Et ce alors même que le magistrat les avait décidé après avoir entendu le témoignage de Mohamed Samraoui concernant la remise du prix de son forfait par Hassani au tueur… Les choses n'ont visiblement pas changé depuis l'arrestation de Hassani à Marseille. Selon les informations de Rue89, le parquet, considère en effet que « les éléments nouveaux sont tardifs et contradictoires, qu'ils proviennent d'opposants au régime algérien, et qu'il n'est pas possible d'affirmer que Mohamed Ziane Hassani est effectivement le capitaine Rachid Hassani ». Du coup, le parquet est à nouveau intervenu à deux reprises : une première fois en faveur d'un non lieu, une seconde fois pour que Hassani ne soit pas mis en détention, mais placé sous contrôle judiciaire, c'est-à-dire laissé en liberté en attendant son audition par le juge Thouvenot lundi prochain. Si on peut comprendre que les autorités algériennes n'aient pas d'autres moyens pour se sortir de cette sale affaire que de jouer sur une homonymie supposée et sur une sombre histoire de lieu de naissance, il est en revanche difficile de penser que la justice française soit assez ingénue pour prendre pour argent comptant les extraits de naissances communiqués par les avocats de Hassani après son arrestation et dont Rue 89 a eu connaissance. Des documents que les puissants services secrets algériens ont eu toute latitude de concocter. Comme d'ailleurs le curriculum vitae sur mesure de Hassani qui circulerait déjà… Il est tout aussi difficile de croire que le parquet ignore que les agents des services de renseignements du monde entier utilisent des noms différents ou des pseudonymes. Une tradition si banale en Algérie que, pendant des années, on connaissait le « patron » actuel des « services » sous le seul nom de « Toufic » et qu'il a fallu beaucoup de temps pour savoir qu'il s'agissait du général Médiène. Autre exemple tout aussi édifiant : mort en 1997, Mahmoud Souamès, le premier secrétaire de l'ambassade d'Algérie à Paris et le colonel Habib, chef de l'antenne des «services» de cette même chancellerie, étaient un seul et même homme… Confrontation par vidéo conférence? Autant dire que l'audition de Hassani/Hasseni le 1er septembre par le juge Thouvenot constitue un enjeu décisif. Mohamed Samraoui s'est déjà dit prêt à venir pour être confronté à Hassani. Une confrontation qui, selon nos informations, pourrait d'ailleurs avoir lieu par vidéo conférence. Encore faudrait-il, pour que le processus judiciaire puisse s'enclencher, que le Parquet ne s'obstine pas à tout faire, comme chaque fois qu'il s'agit du gouvernement algérien, pour empêcher la justice française de faire son travail. Un comportement en droite ligne de celui du pouvoir politique qui, en la personne de Charles Pasqua, ministre de l'intérieur au moment des faits en 1987, avait renvoyé l'assassin à Alger en procédure « d'urgence absolue » et sans même qu'il ait été présenté devant un juge d'instruction. Attitudes d'autant plus choquantes que Ali Mécili était certes le porte parole de l'opposition algérienne, mais également un avocat français inscrit au barreau de Paris et assassiné sur le territoire français. Photo : l'avocat et opposant algérien Ali Mécili (DR)