Un internaute sur ce site écrivait : « il n'y pas d'élite en Algérie, au sens littéral du terme, tout est faux, tout est falsifié tout est bidon » Je pourrais vous faire une liste d'au moins 1000 personnalités algériennes vivantes, compétentes, crédibles, honnêtes (autant que cela puisse être déduit de leur parcours), de tous les milieux (intellectuels, politiciens, technocrates, syndicalistes, militants associatifs, etc. – même des militaires!). Donc dire qu'il n'y a pas d'élite dans notre pays est, à mon humble avis, une contre-vérité. Le problème est ailleurs. Il n'est cependant pas facile de le poser clairement. Pour comprendre, il y a lieu de revenir au processus historique de formation des nouvelles élites algériennes. Par nouvelle élites, j'entends celles qui ont progressivement remplacé les élites traditionnelles qui existaient du temps de l'époque ottomane. Ce processus a été fortement conditionné par le fait colonial lui-même, fait de violence et d'injustice extrêmes. La lutte contre un système colonial particulièrement pervers, dont les représentants en Algérie sont restés irrémédiablement sourds à toutes les revendications des élites bourgeoises autochtones (type Ferhat Abbas), a en fin de compte donné l'initiative aux éléments plébéiens et, parmi ces derniers, aux porteurs de fusils. Ce processus de sélection dont la logique fut déterminée par les exigences de la lutte contre le système colonial français en Algérie a ramené aux commandes du pays les éléments plébéiens militaires. La position dominante de ces éléments en termes de pouvoir politique n'a pu être remise en question ni par les représentants de l'élite religieuse (Cheikh El Ibrâhîmi), ni par ceux de l'élite politique « bourgeoise » (Ferhat Abbas, Ben Khedda, par exemple), ni même par les représentants plébéiens non porteurs de fusils (Boudiaf, Aït-Ahmed, Khider, Ben Bella, par exemple). C'est la logique de la domination (au sens de détention du pouvoir politique et de la légitimité) des éléments plébéiens porteurs de fusils (et parmi ces derniers, c'est l'armée des frontières, mieux équipée, mieux organisée et plus soudée autour de son chef Boumediene, qui s'est imposée aux autres groupes) qui a prévalu jusqu'à ce jour. Tous les éléments de l'élite (il s'agit toujours de la nouvelle élite formée après 1830) qui n'ont pas la légitimité « militaire » (porteurs de fusils), c'est-à-dire les religieux, les technocrates, les intellectuels, les politiciens, les notables bourgeois, etc., ont été mis au service des porteurs de fusils (Boumediène et son équipe de colonels). Cette logique de domination des civils par les militaires n'a jamais cessé de gouverner la vie politique de notre pays. La rupture avec ce modèle n'a pas pu avoir lieu pour diverses raisons qui sont d'ordre économique (rente), idéologique (socialisme du temps de Boumediene), etc. L'ouverture démocratique de 89-91 a constitué une tentative de sortie de ce modèle, mais l'émergence d'un autre élément plébéien puissant (le FIS) qui lui se donnait une légitimité religieuse a conduit à la confrontation sanglante entre ce dernier et l'oligarchie militaire – les porteurs de fusils. Au sein du FIS, ce sont également les porteurs de fusils qui ont fini par s'imposer. Des deux côté, c'est la violence qui a parlé. Selon moi, le processus d'ouverture démocratique a été torpillé par deux acteurs: d'abord l'oligarchie militaire qui a opté pour l'arrêt du processus électoral, ensuite les dirigeants du FIS qui ont cédé à la pression des porteurs de fusils de leur camp et opté pour la résistance – ou lutte – armée, lutte qui a duré 7 ans. Comment faire pour que les élites civiles réelles – et non les porteurs de fusils – puissent diriger notre pays? La difficulté est de taille, car il est très difficile à un civil aux mains nues de chasser un militaire du pouvoir et ce fait est démontré par l'Histoire des nations à toutes les époques. La difficulté devient encore plus grande quand l'oligarchie militaire se crée une clientèle et des réseaux dans tous les domaines. Le système algérien (tout comme les autres systèmes politiques du Machreq et du Maghreb dominés par les porteurs de fusils) est constitué aujourd'hui par une alliance très forte entre une oligarchie militaire (qui ne va pas disparaître avec nezzar et toufiq, car les nouveaux venus ont hérité de la même culture qui prévaut au sein de l'ANP) et une nouvelle bourgeoisie parasitaire de l'import-import. C'est, comme chacun le sait, la rente pétrolière qui irrigue abondamment tous les réseaux mafieux de ce système. Où est le problème, diront certains? Le pays est stable, il y a de l'argent et le pays se construit lentement mais sûrement, malgré l'injustice et la corruption. Ce point de vue n'est pas aussi minoritaire qu'il y paraîtrait à première vue. Le problème, selon moi, est dans le fait que l'Algérie peut faire beaucoup mieux que cela, étant donné ses ressources naturelles et son potentiel humain. Ceux qui disent qu'il n'y a pas d'élites et que le peuple est amorphe et incapable de prendre son destin en main, disent en fin de compte que l'Algérie ne peut pas faire mieux et qu'il ne faut pas espérer pouvoir changer les choses dans l'immédiat. Il faut attendre que le système soit confronté à une grave crise et un soulèvement populaire de grande envergure, chose tout à fait improbable aujourd'hui, pour cause de 200 milliards de dollars en réserve qui peuvent acheter la paix intérieure et extérieure. Tout la question est donc de savoir si l'Algérie peut aspirer à mieux ou non. Seule sa véritable élite civile peut répondre à cette question. Et c'est ce que nous essayons de faire sur LQA! Cordialement