Bien qu'il soit difficile à mon âge de commencer une carrière politique, il m'arrive parfois de me demander ce que je ferais si j'étais Président de la République dans mon pays, l'Algérie. Que faire et par où commencer afin de remettre le pays sur les bons rails en peu de temps? D'abord redonner l'espoir aux Algériens et Algériennes. Nous sommes en effet devenus un peuple totalement déprimé qui ne croit plus en lui-même et en sa capacité à réaliser quelque chose de grand, à avoir des projets ambitieux pour l'avenir. En 1962, le peuple algérien était sorti de la guerre de libération avec un moral d'acier, convaincu, à juste titre, qu'il venait de réaliser un grand exploit. Ben Bella et Boumédiène eurent d'ailleurs beau jeu de surfer sur cette magnifique vague d'optimisme et d'enthousiasme. Le dernier nommé en particulier avait compris qu'une nation qui ne croit pas en elle-même ne peut pas avancer et il réussit à satisfaire par sa présence sur la scène internationale la soif de reconnaissance que le peuple algérien avait. Hélas, son amour exagéré du pouvoir et son autoritarisme ne lui permirent pas de rassembler toutes les énergies autour d'un grand projet commun de construction d'un Etat de droit et d'une économie moderne et prospère. Reprenant à son compte la formule des despotes du monde musulman des temps passés, écartant et muselant les authentiques patriotes dont il craignait qu'ils lui fissent de l'ombre, il s'entoura de béni-oui-oui et même d'authentiques félons, dont l'action destructrice apparaîtra et se déploiera pleinement après sa mort. Pour bon nombre de mes compatriotes, cependant, il demeure encore à ce jour celui qui a « fait un nif » aux Algériens. De la même manière, la prestigieuse équipe nationale de football de 82 avait également participé à booster le moral et la fierté des Algériens et Algériennes et ces derniers lui en demeureront reconnaissants à ce jour. La décennie 90 a sans l'ombre d'un doute constitué un véritable crash pour la fierté et l'optimisme du peuple algérien. Cette fierté et cet optimisme se sont brutalement écrasés au sol pour ne plus se relever. L'assassinat de Boudiaf en direct ouvrit le bal macabre et le compteur des civils et des militaires victimes de la barbarie qui prit possession du pays se mit alors à tourner à une vitesse vertigineuse. Comment donc redonner l'espoir au peuple algérien et restaurer sa fierté perdue sans procéder à une véritable réconciliation? À la différence de ce qu'ont fait les tenants du pouvoir mafieux, cette dernière devra obligatoirement passer par un travail de mémoire afin de lever le voile sur tous les tragiques événements que notre pays a connus et situer clairement les responsables des disparitions, torture, assassinat et massacre de civils désarmés. Cette opération de réconciliation devra aussi être accompagnée par un large dialogue national entre tous les courants politico-idéologiques sans exclusion, afin d'établir les contours de l'Algérie réconciliée avec elle-même que nous voulons pour les décennies à venir. Ce dialogue franc et sincère entre des Algériens et Algériennes qui veulent bâtir un pays dans lequel ils seraient tous heureux de vivre ensemble, dans le respect mutuel et la solidarité, sera suivi par l'élection d'une Assemblée Constituante qui sera chargée d'élaborer une nouvelle Constitution dont les grandes lignes auront déjà été ébauchées durant la phase de dialogue, ceci pour ne pas sombrer dans des querelles idéologiques sans fin. Le message essentiel que je délivrerais au peuple algérien en ma qualité de Président de la République sera axé sur l'Etat de droit, à travers l'indépendance de la Justice et le principe selon lequel la Loi est au-dessus de tous. Inlassablement, partout, dans toutes les villes et tous les villages que je visiterais, j'inviterais mes compatriotes à œuvrer à la mise en place de cet Etat de droit, chacun dans son domaine et selon ses capacités. Je les encouragerais à faire preuve de civisme et d'ardeur au travail, à embellir leurs cités et villages et à faire preuve de respect les uns envers les autres et de solidarité envers les faibles et les démunis. J'encouragerais les enfants et les adolescents à travailler toujours plus dans leurs études afin de maîtriser les sciences et les techniques et participer à l'édification d'une économie moderne, forte et prospère. Je demanderais à l'intelligentsia de travailler à combler le fossé idéologique qui existe entre les projets de société qui s'affrontent dans notre pays en organisant des débats contradictoires publics entre les représentants les plus crédibles et les plus respectés des courants qui supportent ces projets. Un cadre global sera ainsi tracé pour les vingt années à venir, vision stratégique dans tous les domaines d'activité (infrastructures, économie, éducation, santé, etc.) élaborée par un groupe d'experts algériens de haut niveau de toutes les écoles et sensibilités. Un pacte national sera alors signé par tous les partis politiques et les organisations syndicales et patronales, qui s'engageront à œuvrer dans le cadre de ce plan stratégique. Le parti politique qui sortira vainqueur des élections gouvernera alors en mettant en exécution les orientations contenues dans ce plan à long terme et dans le strict respect de la Constitution et des lois. Bien sûr, je me ferais beaucoup d'ennemis et tous les requins de l'ancien système mafieux tapis dans l'ombre feront tout pour torpiller mon action de redressement, d'autant plus que la Justice commencera à sortir les grands dossiers de corruption et de malversations et que beaucoup de barons civils et militaires de l'ancien régime mafieux se retrouveront dans le box des accusés. C'est à la vigilance de la population que je ferais appel afin de déjouer tous les complots et c'est sur elle que je compterais pour isoler tous les pêcheurs en eau trouble.
