En dépit de toutes les affiches et placards qui auréolent les villes du pays, rien n'indique qu'on est à la fin d'une compagne électorale dont l'enjeu est la conquête présidentielle. Tout est si terne et si morose. Les gens dans une indifférence glaciale, passent et ne prêtent même attention à tous ces coups de publicité et autres slogans suspendus à la gloire du passé révolutionnaire du peuple. Même les escarmouches (téléguidées des laboratoires de la police politique) qui ont momentanément secoué quelques villes à l'occasion du passage d'un tel candidat ou d'un tel autre, n'ont pas réussi à mettre de la vie dans une compagne qui est arrivée à son terme, sans susciter la curiosité et l'engouement des populations. En Algérie, et, ici, tout particulièrement en Kabylie, le temps a convaincu de manière invisible la majorité des populations que le régime ne peut pas organiser d'élections démocratiques. Pour la majorité écrasante de la population qui ne se reconnaît dans aucun parti politique, le scrutin du 17 avril n'est qu'une ruse visant à camoufler les tares d'un pouvoir autoritaire et rentier qui ne fonctionne qu'avec la trique, le mensonge et les pots -de -vin. Quiconque à des yeux pour voir et une cervelle pour réfléchir comprendrait que la corruption régule tout dans ce pays. Le sujet de la corruption est sur toutes les langues. Les expériences passées ont persuadé les citoyens que le temps des partis politiques était terminé. Cette conviction s'est enracinée dans un constat : le système politique connaît, depuis les années 1990, une dégénérescence accélérée. Certains parlent de « gangrène » et de « putréfaction ». La corruption s'est généralisée et a pris des proportions hallucinantes. Le système de pots-de-vin coûte au pays des milliards de dollars chaque année... Le financement occulte est devenu une fatalité. Outre la clochardisation des institutions, il a non seulement favorisé un fabuleux enrichissement des principaux dirigeants militaires, mais il a empêché l'armée de se pilier à ses missions constitutionnelles. Cependant, par moments, le scrutin du 17 avril sujet de sarcasme et de dérision, fait sourire les uns et les autres. « C'est une élection sans candidats », ironise un citoyen à Boghni. Les gens n'arrêtent pas de s'interroger comment l'armée a-t-elle accepter de faire du président sortant, A Bouteflika, un homme chancelant, usé par de nombreuses maladies et dont les jours sont désormais comptés, son candidat. « C'est parce que l'armée garde au chaud son vrai candidat », rétorquent les uns et les autres. Et qui est donc cet heureux candidat que les généraux gardent au chaud ? Ahmed Ouyahia ! Pourquoi Ahmed Ouyahia alors qu'il ne figure même pas parmi les candidats qui ont postulé aux plus hautes destinées du pays ? « C'est ça qui fait le génie des généraux algériens », explique un universitaire à la retraite, à Tizi ouzou. Le nom de l'ex chef du gouvernement revient avec instance. Ou que vous alliez, dans les cafés, dans les bars, dans les mosquées et les grandes villes périphériques du Djurdjura, son nom est cité comme le dixième président de la république algérienne. Produit d'un compromis entre les différents clans du régime pour sauver le système, il sera conduit à son tour dans un char aux plus hautes destinées du pays. A vrai dire, depuis quelques temps déjà, malgré les diversions de la presse qui fait tout pour détourner le regard de l'opinion sur de fausses cibles, tout le monde arrive à lire dans les pensées de l'armée algérienne. Tout le monde a évolué dans ce pays, sauf nos caporaux. Pour reprendre un peu notre ami Said Saadi, nos caporaux ne retiennent jamais leurs leçons ; ce sont de multi récidivistes. Ouyahia ne sera pas le produit du suffrage universel, mais du viol de la loi fondamentale du pays appelé pudiquement révision de la constitution. Tout comme les citoyens qui n'ont plus aucune confiance dans leurs dirigeants, les militaires eux aussi pensent que les ardeurs du changement ont été définitivement inhibées par tant d'années de violences, de corruption et de rente. Le peuple a été suffisamment abruti pour pouvoir se soulever contre le viol de la constitution qui placerait d'ici deux semaines à peine Ouyahia comme premier vice président de la république et probablement président de la république d'ici deux ou à sept mois, c'est-à-dire lorsque Bouteflika aura été déclaré inapte à poursuivre son quatrième mandat.