C'est non sans larmes aux yeux – des larmes de joie, bien-sûr ! – et un très fort battement de cœur – plus fort que celui de l'élève qui ouvre son cahier avec la crainte d'y trouver quelques mauvaises notes – que nous avons, pour la première fois, feuilleté un cahier de classe amazighe. D'un coup, comme par enchantement, les tortures et les blessures que nous avons subies sont pansées, soulagées; notre pénible et longue incarcération n'est plus qu'un cauchemard dans un sommeil agité... Notre espoir, notre rêve, notre raison de vivre sont là, couchés sur les fines lignes bleues de ce petit cahier. D'une écriture, belle, majestueuse, classique, sereine, soignée – ce qui est rare de nos jours et dans nos écoles – le petit Samir Madjour, notre jeune élève, jour après jour, s'est appliqué à y porter ses leçons. En marge, des Igerrez ! (très bien) ou des yelha (c'est bien) de l'enseignant sanctionnent les exercices. Voilà donc le cahier qui fait tant peur, qui fait trembler les tout-puissants royaumes et républiques ! Comme l'avait si bien dit mon défunt compagnon de combat, Mohamed Haroun : "la langue amazighe est un chef-d'oeuvre linguistique qu'il faut à tout prix développer et promouvoir." Certes, l'introduction timide et partielle de l'enseignement de la langue amazighe dans l'école algérienne, est en déça pour ne pas dire décevant par rapport à la somme de sacrifices consentis par plusieurs générations de militants. Cependant c'est, d'une part, pour nous, aussi modeste soit-il, un acquis incontestable, une victoire réelle, palpable, et, d'autre part, pour les tenants des pouvoirs, c'est la meilleure preuve tangible de leur incurie, de leur ignorance, de leur incapacité, de leur absurde, bête, méchante et sempiternelle opposition à l'adoption, à la reconnaissance officielle, constitutionnelle et légitime de la langue amazighe. "L'Etat algérien a commis la grave erreur d'ignorer et parfois de combattre la langue berbère." (Paul Balta,journaliste–écrivain). Ces derniers doivent se regarder – bien se regarder – dans un miroir – le miroir réel de leur société, le miroir limpide de l'histoire – et, au besoin, se gifler pour se réveiller, reprendre conscience et se dire, sereinement, sincèrement, en face, cette – douloureuse – vérité : en effet, c'est bête d'avoir peur d'une langue ! c'est bête d'avoir peur d'un cahier de classe ! _________________________ N.B : Par un concours de circonstances et grâce à la complicité d'un jeune journaliste, la télévision algérienne a annoncé dans un J.T. la parution (30e numéro) de la revue Abc Amazigh avec un gros plan sur la "une" où figure le présent titre accusateur et une page dudit cahier comme illustration. Une double victoire, de l'intérieur même de ce fief télévisuel, instrument de domination du pouvoir algérien. Par la même occasion, la parution de l'ouvrage de Mohand Ouaneche Les fables de La Fontaine traduites en berbère est annoncé. (Extrait 30ième numéro de la revue Abc Amazigh, paru fin 1999, que j'éditais en Algérie, et du livre Abc Amazigh, une expérience éditoriale en Algérie, volume 1, paru à Paris, aux éditions L'harmattan.)