L'Algérie indépendante avait connu dans les années 90 le piège et l'enfermement dans un cercle infernal de terreur et de massacres. Le cycle a duré une décennie, à une échelle infiniment plus massive (par dizaines de milliers de victimes) que ce qu'a vécu le France après la vingtaine d'assassinats liés à l'attentat contre les journalistes de Charlie Hebdo. La différence entre les deux situations, porteuse ou non d'évolutions moins dramatiques selon que les vraies leçons en seront ou non tirées, c‘est qu'en France presque aussitôt et pour de multiples raisons, une immense clameur populaire s'est élevée au grand jour. Sa signification principale à mon avis, a été qu'à différents niveaux d'expressions et de contenus, s'est exprimée une façon d'exorciser en groupe les sentiments de peur, d'indignation et d'incompréhension. Sentiments humainement compréhensibles, liés à l'aspiration largement partagée à un « vivre ensemble » dans la paix et le respect mutuel. Mais aussi sentiments sourdement contrecarrés par les méfiances, les a priori idéologiques, les réels conflits d'intérêt avec leur cortège de manipulations et de récupérations politiciennes. En fait, un nombre considérable de citoyens français se sont découverts brusquement face à un risque énorme dont ils avaient sous-estimé jusque-là en général la proximité et la dangereuse ampleur possible. D'autant plus que la signification et les racines de ces dangers leur étaient grandement masquées par les émissions télévisées concernant des pays plus lointains. Bien installés devant leurs postes à grand spectacle, ils étaient en majorité peu conscients des considérables problèmes sous-jacents à l'émergence et à l'essaimage des actes terroristes. Comme si ces derniers ne concernaient que les autres peuples écrasés sous les bombes, les missiles, les drones et les attentats ! Comme si « l'exportation » par les armes des modes de démocratie à l'occidentale ne pourrait jamais être sans conséquence sur le confort et la sécurité des citoyens paisibles d'Europe. Cette libération des sentiments et des aspirations à l'échelle de millions de manifestants diversement motivés, aura-t-elle à terme des effets bénéfiques à la hauteur des souhaits légitimes ? Concrètement, suffira-t-elle à modifier positivement les mentalités, les comportements et les décisions des gouvernants, des sociétés et des acteurs politiques ? La question est cruciale, car depuis trente ans, le fléau des terrorismes, qu'ils soient d'Etat ou d‘organisations et de groupes non étatiques, n'a fait que s'amplifier, essaimer et s'aggraver. Parce que l'ensemble des acteurs, volontairement ou involontairement, n'en ont pu ou voulu maîtriser toutes les racines, croyant dans le meilleur des cas en atténuer les effets au lieu de s'attaquer simultanément et radicalement à leurs causes économiques, sociales et géopolitiques. Illusion aussi grossière et meurtrière que celle qui prétendrait guérir une maladie grave en atténuant la fièvre et les douleurs par doses massives d'aspirine. A ceux qui par intérêt financier ou de pouvoir cherchent à entretenir cette illusion et cette impasse, nombre de dirigeants, d'intellectuels, de mouvements sociaux et politiques, en Europe ou hors d'Europe ; ont opposé courageusement les voies de la raison, du réalisme, de la communauté d'intérêts, pour faire triompher les idéaux de liberté, d'égalité et de fraternité dont il ne suffit pas de se gargariser dan les éclarations officielles ou les manifestations à coups de décibels et de panneaux d'affichage. Même certains experts ou des hauts responsables de « l'establishment » capitaliste comme Villepin et tant d'autres, ont dressé un constat sévère envers ceux qui, prétendant combattre les terrorismes, leur ont ouvert un boulevard de plus en plus large. La défaillance principale dans la lutte contre les effets ravageurs des terrorismes au cours des décennies écoulées, ne réside ni dans les insuffisances supposées ou réelles du renseignement, ni dans celles des interventions sécuritaires sur le terrain : les unes et les autres ont bénéficié de moyens considérables, avec les résultats que l'on connait. Entre les deux, il y a une faille béante, celle de l'évaluation politique pertinente, avec l'irremplaçable instrument que sont pour tous les protagonistes les instructifs « retours d'expérience » et les jugements sur résultats. Ce n'est pas un hasard si cette exigence élémentaire a été bafouée par nombre de décideurs, emprisonnés dans leurs stratégies et calculs de profits immédiats,d' intérêts étroits de classe et de clans prédateurs, d'hégémonismes militaires, économiques et de pouvoir sur les sociétés et les nations. Leur obsession du « tout sécuritaire » tue ou affaiblit les capacités politiques et le potentiel démocratique de résistance anti-terroriste. Pour paraphraser Einstein, la grande folie serait pour résoudre les problèmes, de compter naïvement sur ceux qui ont les ont créés. C'est donc au prix d'efforts appropriés, difficiles et de long terme, dans le cours des luttes de libération nationale et sociale globales (la lutte anti-terroriste n'étant qu'un des éléments), que reculeront les incitations sinistres à l'islamophobie et à toutes les formes d'intolérances, de racismes, d'intégrismes et de diktats de quelque nature qu'ils soient, qu'ils émanent d'injonctions néolibérales ou de fetwas takfiristes !. Le RESPECT des justes droits et aspirations des peuples, de leurs sensibilités culturelles, religieuses et philosophiques, c'est le maître-mot, la clef des luttes communes souhaitables vers un avenir de paix et de mieux-être pour tous*. Sadek Hadjerès, 13 janvier 2015