A l'heure où de nombreux pays arabes sont marqués par d'importants bouleversements politiques, l'influence américaine n'échappe à personne. La déferlante de révoltes populaires qui a déjà poussé à la sortie l'ex-chef d'Etat tunisien et, fort probablement, le président égyptien et qui s'étend à d'autres pays ayant la particularité d'être gouvernés par d'inamovibles dictateurs, est interprétée par certains prospectivistes comme le point de départ d'un profond remodelage du monde arabo-musulman. Un remodelage souhaité de longue date par les Américains, mais qui n'a réellement pris corps que sous la présidence de Georges Bush qui a trouvé, dans les attentats du 11 septembre 2001, un excellent motif de mise en œuvre de cette manœuvre à grande échelle, aujourd'hui connue sous le nom de projet du Grand Moyen-Orient. En 2004, ce projet change de dénomination pour prendre celle de «Partenariat pour le progrès et un avenir commun avec le Moyen-Orient élargi et l'Afrique du Nord». Le changement a, sans doute, été décidé pour susciter l'adhésion des pays concernés, dont bon nombre, à l'instar de ceux du G8, de l'Algérie, la Jordanie, le Yémen, la Turquie, Bahreïn et l'Afghanistan, pour ne citer que ceux-là, avaient du reste officiellement adopté ce partenariat, en juin 2004, à l'occasion du sommet de Sea Island. Si cette initiative avait recueilli sur le fond l'adhésion des membres de l'Union européenne, soucieux de voir s'inscrire la démocratie dans les pays de la rive Sud de la Méditerranée, elle risquait néanmoins de perturber un partenariat euroméditerranéen déjà en vigueur depuis plus d'une décennie durant, rien de fondamental n'a été entrepris pour aider à la démocratisation des pays concernés, et notamment, ceux du Maghreb qui en avaient le plus besoin. Les Européens et la France en particulier, continuent de ce fait à s'inquiéter de l'intrusion des Etats-Unis dans certaines zones (Maghreb et Sahel notamment) que l'Hexagone considère comme sa chasse gardée. Les déclarations maladroites du président français Nicolas Sarkozy concernant les derniers événements de Tunisie et d'Algérie traduisent, on ne peut mieux, ce malaise. L'Effet contagion A l'heure où de nombreux pays de ce grand espace géographique (Tunisie, Egypte, Algérie, Jordanie, Yémen, Soudan, Syrie, etc.) sont marqués — ou, commencent à l'être — par d'importants bouleversements politiques dont il est encore difficile de déterminer les évolutions, l'influence américaine n'échappe à personne. La discrétion n'est même plus de mise, puisque les plus hauts dirigeants américains, à commencer par le président Obama, n'hésitent pas à apprécier publiquement les événements dans un sens favorable aux aspirations démocratiques et émancipatrices des peuples concernés. Si durant l'administration Bush, le projet de remodelage n'a été appliqué qu'à la carte (Irak, Afghanistan) et de manière autoritaire avec les résultats désastreux qu'on connaît, sous la présidence d' Obama, le remodelage en question a la particularité d'être beaucoup plus large (plus d'une dizaine de pays sont atteints par le vent des révoltes populaires) et plus «soft» dans la mesure où ce sont les peuples concernés qui réclament des changements politiques profonds allant dans le sens des ouvertures, notamment démocratiques, prônées par le projet américain du Grand Moyen-Orient.La mise en œuvre du projet sera, disent certains spécialistes de la prospective, pragmatique. Le souci de ménager les intérêts sécuritaires, stratégiques et économiques américains continuera à primer, même si la volonté de propager la démocratie par un «effet domino» partant de pays judicieusement choisis, est clairement affirmée. Ce projet d'une immense portée, puisqu'il couvre une zone comprenant environ 22 pays allant de l'Afghanistan à la Mauritanie, ne résulte évidemment pas d'un subit élan philanthropique visant à tirer les peuples concernés des griffes de leurs dictateurs, à promouvoir la démocratie et le bien être économique et social. Divorce peuple-pouvoir Il est le résultat de profondes réflexions prospectives de dirigeants et intellectuels américains sur les meilleures conditions de maintien d'une nation qui compte garder encore très longtemps son leadership sur le monde, mais aussi et surtout, donner un coup fatal au terrorisme islamiste qui continue à menacer ses intérêts, en dépit de la présence de régimes autoritaires qui prétendent pratiquement tous faire de la lutte anti-terroriste, leur principale préoccupation. De par leur nature dictatoriale, ces régimes ont en réalité produit le contraire. Pour rester longtemps au pouvoir, les dirigeants des pays musulmans ont pratiquement tous encouragé la propagation du salafisme et, dans certains cas, du wahhabisme, qui constituent comme on le sait les matrices du terrorisme islamique. La lutte armée contre ce fléau est de ce fait chaque fois compromise par l'arrivée massive de nouvelles recrues, adeptes de ces idéologies extrémistes et, de surcroît, victimes expiatoires (chômeurs, exclusion scolaire, mal logés, sans perspectives d'avenir etc.) de la mauvaise gouvernance de leurs pays. L'Amérique d'Obama, lit-on dans une revue de prospective, semble avoir enfin compris que ces régimes, aussi autoritaires et bien armés soient ils, ne constituent assurément pas les meilleurs remparts contre le terrorisme islamiste inspiré par ces doctrines que les gouvernements concernés ne sont pas enclins à combattre pour la simple raison qu'elles servent leurs intérêts. De ce fait, le maintien de régimes autoritaires pour faire barrage au terrorisme islamiste ne semble plus faire recette chez les Américains qui amorcent, à travers le projet de Grand Moyen-Orient, une nouvelle façon de combattre l'intégrisme en répondant, notamment, favorablement aux aspirations démocratiques des peuples concernés et en les aidant par des moyens multiformes à réduire les fractures économiques et sociales générées par la gouvernance désastreuse d'inamovibles dictateurs. Il reste à savoir, si les Etats-Unis, qui ne sont pas encore tout à fait sortis d'une crise économique qui les a considérablement affaiblis, sont financièrement prêts à se doter des moyens requis (investissements financiers, aides à la consolidation des nouvelles démocraties etc.) pour mener à bien une nouvelle politique internationale aussi vaste et ambitieuse.