D'Alger à Paris, militants contre le gaz de schiste et mouvements associatifs ont réussi à mobiliser ce samedi 18 janvier citoyens algériens et français autour de la cause des habitants du Sud algérien malgré les bouffées de malaises soufflées par les événements internationaux. Il était temps ! Les photographies d'In Salah sont de Djamel Addoun. Tous droits réservés. Mobilisations : « D'In Salah à Paris...la peur a changé de camp ». La vaillante In Salah a été visiblement l'écrasante opposition au projet d'extraction du gaz de schiste. Contrairement à la petite effervescence populaire dans les villes du Nord, les habitants du Sud ont manifesté pacifiquement en masse pendant 21 jours et ils continuent jusqu'à aujourd'hui. Au fur et à mesure que leur nombre grandissait dans les rues, leurs voix semblaient être étouffées à la fois par les évènements internationaux et les diversions provoquées à cette occasion. Ils n'ont pas baissé les bras, ni la tête : ils nous ont offert une magnifique marche dans toute la ville digne d'une révolution de printemps. La peur a changé de camp. Une délégation du Congrès pour le Changement Démocratique (CCD) s'est déplacée d'Alger à In Salah pour soutenir leurs concitoyens. Mohamed Maiz l'un des fondateurs du CCD témoigne de l'accueil chaleureux et fraternel que les habitants leur ont réservé à leur arrivée mais aussi de leur incroyable organisation : « nous avons été surpris par l'organisation mise en place par un comité de citoyens bien organisés autour de leurs représentants citoyens et non des élus dont ils ne reconnaissent ni la légitimité ni leur pouvoir, tous jeunes, dynamiques ne laissant rien au hasard ». Alors que le gouvernement algérien les abandonnait à leur sort, femmes et hommes ont déployé un dispositif organisationnel « sans failles » malgré le manque de structure prévue à cet effet : « on n'a pas décelé la présence d'associations pour cette organisation » soutient Mohamed. L'ambiance dans laquelle les habitants de In Salah scandaient leurs peurs de voir leur vie menacée et leur environnement détruit a montré le degré de conscientisation d'une partie du peuple algérien délaissée par mépris cependant sereine et déterminée : « l'ambiance est à la fois de fête et une réelle prise de conscience à tous les niveaux , du petit écolier jusqu'au plus vieux , tous et toutes sont mus par une seule volonté , celle de mettre fin à la politique d'exploitation du gaz de schiste » confiera Mohamed. Les forces de l'ordre algériennes ont observé en retrait la vague de manifestants à In Salah sans besoin d'opérer quelconque arrestation. Leur présence inutile en tant qu' « observateurs » et « agents de renseignements » n'a fait que renforcer l'esprit fort de cette marche : une parfaite organisation, un esprit de responsabilité, d'engagement et de discipline exemplaire confirmera Mohamed. Même la visite du Général-major Abdelghani Hamel rendue aux 22 délégués de la société civile d'In Salah a laissé une pâle impression de vide et de faux semblants. De l'autre côté de la méditerranée des militants algériens et français ont communié contre l'exploitation du gaz de schiste devant le Consulat d'Algérie à Paris. Fodil H. membre du MAAC (Mouvement des Activistes Algériens pour le Changement) à Paris et fervent militant des Droits de l'Homme depuis de nombreuses années en France a participé au sein du MAAC à contacter des collectifs anti gaz de schiste en IDF avec lesquelles il avait déjà lutté. Son soutient s'inscrit logiquement dans la continuité de son engagement auprès des habitants algériens vivant dans les sept zones sélectionnées par le gouvernement algérien soumises à l'exploitation du gaz de schiste. "Nous avons organisé ce rassemblement pour synchroniser avec in Salah, Alger et Londres.. Paris ne devait pas être absente. Ceci a été fait à la hâte". assure-t-il. Sandrine Rousseau et Julien Bayou d'Europe Ecologie les Verts ont lancé de leur côté un appel à la mobilisation citoyenne contre l'exploitation du gaz de schiste en Algérie, pour les protections des habitants en danger et de l'environnement. Fodil H. regrette le manque d'implication des enfants d'immigrés algériens à cette manifestation : " le manque de mobilisation est selon moi du à l'attentat de paris. Une diversion. Mais après cette diversion, tous les regards se tourneront vers In Salah et vers les véritables décideurs à commencer par Mr. Hollande. Les multinationales dont le siège se trouve à Paris ne seront pas oubliées.., ni les juridictions compétentes . La diaspora Algérienne sera unie avec In Salah et n'acceptera pas que l'Algerie soit la poubelle de la France". La manifestation s'est déroulée dans le calme « tant qu'il y aura toujours des résistants, il y aura des luttes » car cette exploitation « tue l'humanité » affirme Fodil. Intimidation et répressions. A Alger devant la Grande Poste le scénario a été plus incisif. Nombreux sont les militants qui ont été embarqués manu militari par les forces de l'ordre algériennes pour avoir osé exprimer pacifiquement qu'ils refusaient de voir leurs concitoyens du Sud en danger. Parmi eux figuraient les membres de Barakat et le journaliste d'El Watan et militant Mehdi Bsikri. La répression des forces de police prouve que le régime a peur que la contestation au sud gagne le nord du pays, il panique et il refuse de faire marche arrière, il veut faire peur, effrayer pour empêcher tout déclenchement d'un mouvement de protestation nationale" confiera Abdou Semmar Rédacteur en chef à Algérie Focus. Pour Mohamed Maiz la tentative d'isolation des citoyens du Sud par le gouvernement et l'envie d'en faire un problème « sui generis » dans cette partie de l'Algérie est une erreur : « la question du gaz de schiste est une affaire de toute une nation, de tout un peuple et qu'ils ne tomberont pas dans ce piège que le pouvoir voudrait leur tendre ». Aussi le message apporté aux concitoyens d'In Salah ne fait que renforcer les convictions de toute une fraction de militants. Tous sont unanimes. A qui profite l'exploitation du gaz de schiste ? La lutte contre l'exploitation du gaz de schiste est avant tout un long combat contre la coalition d'entreprises comme TOTAL, SONATRACH et PARTEX. Or « SONATRACH est techniquement incapable d'exploiter le gaz de schiste. Investir dans une technologie de fracturation hydraulique ne signifie pas qu'on maîtrise cette technologie !» souligne le Professeur Omar Aktouf dans un entretien accordé à Radio Maghreb. Tout comme Hocine Malti, Omar Aktouf est un brillant expert de la diaspora algérienne dont les conseils sont ignorés surtout lorsqu'ils tendent à ne pas « cautionner » un projet « criminel ». Il nous explique clairement que le gouvernement algérien se fonde sur des inventaires américains approximatifs qui indiqueraient que sa ressource en gaz de schiste est gigantesque. Seulement l'Algérie n'a aucun savoir-faire dans la fracturation hydraulique (internationalement appelée « fracking ») et compte investir énormément d'argent dans une technologie américaine. Cet investissement est une réponse à un appel d'offre dangereux et ne sera pas rentabilisé dans les années futures après extraction du gaz de schiste du sol Saharien. Pis ce projet aura des conséquences néfastes sur l'environnement algérien. C'est donc la paix sociale qu'ils veulent acheter avec la faucheuse du croque-mort.« L'exploitation de cette richesse ne profitera qu'aux compagnies étrangères notamment Total qui peut exploiter ce gaz. En France la législation l'interdit. Les autorités Algériennes cherchent aussi à renforcer leurs caisse pour renforcer la paix sociale à coups de financements publics mais rien ne leur assure que cela leur sera garanti » renchérit Abdou Semmar. A la différence des puits conventionnels, creuser un puit de gaz de schiste signifie creuser en vertical puis en horizontal, aller en dessous de la nappe phréatique, injecter de l'eau à très haute pression comportant environ des centaines de produits chimiques toxiques, cancérigènes, « meurtriers » puis contaminer la nappe phréatique. Le fracking se faisant dans le tuyau horizontal, des explosions tous les 20 centimètres engendrent des effets sismiques sur toutes les roches environnantes. Ainsi les roches imperméables au- dessus deviennent perméables, se fissures et provoquent des tremblements de terre de plus de 5 sur l'échelle de Richter. Rien que ça ? Ce n'est pas tout. Le méthane sort alors à la surface et provoque des gazes à effet de serre. Et si cela ne réussit pas à convaincre les plus récalcitrants, il est important de souligner que les herbes, le bétail meurent, que si l'on approche une flamme près d'un robinet d'eau, tout explose. Il n'existe aucune technologie pour éviter tous ces drames : « la technologie du fracking est un vraie trou noir » affirme Omar Aktouf . « Penser que le gaz de schiste est une alternative qui rallonge la durée de vie des réserves énergétiques en Algérie est une perspective criminelle » insiste-t-il. L'extraction du gaz de schiste ne profitera pas aux algériens. Bien au contraire elle provoquera sa chute. « Le pouvoir algérien ne décide de rien, tout se décide en France » dira tristement Fodil H. Mohamed Maiz quant à lui ira plus loin dans son analyse politique : « il n'y a pas une unanimité scientifique sur la question de l'exploitation du gaz de schiste en matière de risques et de danger, sur la santé de l'homme et de son environnement ! Ce pouvoir s'inquiète de l'avenir énergétique et de développement des générations futures alors que la génération actuelle est laissée pour compte ».Tout comme les suspicions du journaliste Abdou Semmar, Mohamed évoquera les mêmes intuitions : « en vérité nous pensons que ce pouvoir est sous l'emprise de lobby étrangers qui ne sont pas arrivés à exploiter le gaz de schiste dans leur propre pays et ont trouvé chez nous la possibilité de pouvoir le faire avec la complicité de ce régime ». Pourquoi autant d'inconscience du régime algérien ? Il existe pourtant des alternatives comme les énergies solaire et éolienne. Par conséquent quelles raisons valables justifieraient la destruction indubitable de l'environnement algérien, du Sahara jusqu'aux hauts plateaux, et la condamnation du secteur agricole algérien ? Abdou Semmar nous interpelle à juste titre sur les conséquences d'une exploitation de gaz de schiste dans cette région du Sud : « au sud du pays, la misère sociale et économique a prouvé que l'économie rentière algérienne engendre uniquement inégalités sociales et répartition inéquitable des richesses nationales. L'exploitation du gaz de schiste ne va qu'aggraver cette réalité triste. Au sud du pays on rêve d'une autre alternative et on la réclame ». De son côté Mohamed Maiz du CCD s'est entretenu avec des citoyens d'In Salah qui lui ont exposé leurs craintes légitimes « ils ont peur pour leur environnement, pour leur santé, pour la pollution de ce gisement d'eau dans le sous-sol, peur des émanations de gaz qui pourraient polluer l'air et le rendre irrespirables ». Il insiste avec fermeté sur l'inconscience du gouvernement algérien : « il a agi et continue d'agir comme il l'a toujours fait avec MEPRIS et, IRRESPONSABILITE sans l'avis du peuple , des décisions qui engagent l'avenir de toute une nation et un peuple car il a cette mentalité que l'Algérie lui appartient et que par conséquent , il n'a pas besoin d'une autorisation ou de l'aval de ce peuple qui n'est considéré que comme un usager et n'est consulté que pour avoir le droit de parler et de faire en son nom ». « Une seule revendication, un seul slogan : NON A L'EXPLOITATION DU GAZ DE SCHISTE ». La délégation du CCD regagnera Alger le soir même en laissant des citoyens conscientisés, déterminés et mobilisés plus que jamais pour que l'arrêt du projet criminel d'exploitation de gaz de schiste soit prononcé sans concession de la part des algériens du Sud. Mohamed Maiz gardera surtout en mémoire une ville discriminée par le gouvernement algérien : « ce qui nous a frappé dès notre arrivée à IN SALAH, c'est l'état d'abandon, de désolation de la ville ; une ville ensablée, des rues et ruelles complètement délabrées, des maisons pour la plupart en mauvais état, une misère apparente à tous les niveaux ». Cette attitude du régime algérien puise ses raisons dans des conflits d'intérêts qui dépassent les préoccupations des habitants du Sud algérien. « L'exploitation du gaz de schiste ne nous ramènera que maladie et désolation et polluera notre environnement et ne profitera qu'a ceux qui ont déjà profité de nos richesses » diront-ils. Ni les diversions ni les répressions à Alger n'arriveront au bout des déterminations populaires et des alliances franco-algériennes de lutte pour la sauvegarde des vies humaines et de l'environnement algériens. Fodil H. lance un appel militant et fraternel aux citoyens français : "Nous invitons les citoyens français à s'immiscer dans ce que fait Mr. hollande et son gouvernement en leur nom et de se démarquer en l'interpellant à cesser immédiatement de soutenir le régime d'Alger au détriment du peuple Algérien. Que M. Fabius cesse de dire ‘M.Bouteflika a donné son accord pour l'exploitation du Gaz de Schiste', c'est insensé de commercer avec une momie.. Que chacun observe quelle est la différence entre l'affaire Mme Béttencourt/Sarkozy et Mr. Bouteflika/Mr. Hollande ? Qu'en pense dame Justice du Pays des droits de l'homme ? Les deux Présidents négocient avec des invalides , au nom de la " République " une honte ! Nous sommes dans l'ère d'Internet et la colonisation doit s'arrêter maintenant !". Les appels à manifester contre l'exploitation du gaz de schiste en Algérie continuent. Un grand défi se profile dans l'horizon des militants pour la sauvegarde de l'environnement et des Droits de l'Homme. Lilia Marsali * facebook * twitter * google+