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59e anniversaire du Congrès de la Soummam
Publié dans Le Quotidien d'Algérie le 19 - 08 - 2015

A l'occasion du 59e anniversaire du Congrès de la Soummam (20 août 56), et en commémoration de cet événement historique qui a mis sur les rails notre guerre de libération, nous avons jugé utile de présenter à nos lectrices et lecteurs, et plus particulièrement à notre jeunesse, des textes rédigés par deux figures de l'Algérie combattante, nos frères aînés Si Benyoucef Benkhedda, Rahimahou Allah et Si Hocine Aït Ahmed, ainsi qu'une réflexion et regard de notre jeune compatriote et frère Boubekeur Aït Benali, enfant de l'indépendance confisquée, sur cette date historique.
Nous espérons assister à un débat fructueux et enrichissant dans un climat serein et fraternel. Aucune thèse révisionniste ne sera admise. Que les prisonniers d'une idéologie stérile et abrutissante et les supporters de zaïmillons (qui ont rejoint depuis fort longtemps la poubelle de l'Histoire) qui remettent en cause ce Congrès et ses Hommes, s'abstiennent de venir polluer les débats.
La Rédaction LQA
In Abane-Ben M'hidi. Leur apport à la Révolution Algérienne par Benyoucef Benkhedda. ECHATIBIA édition et distribution. 2012. 3e édition.
Comme tous les grands personnages de l'histoire, Abane a eu ses détracteurs ; qualifié par eux tantôt de «régionaliste» hostile à «l'arabo-islamisme», tantôt d'«autoritariste», voilà qu'on va aujourd'hui jusqu'à lui accoler l'imputation infâmante d'«agent de l'ennemi», donc de «traître».
Avant de répondre à ces accusations disons un mot de son itinéraire.
Ayant obtenu son baccalauréat en 1942 au Collège colonial de
Blida (l'actuel lycée Ibnou Rochd), Abane trouva un emploi à Chelghoum-El-Aïd (ex Châteaudun–du-Rhumel) comme secrétaireadjoint de commune mixte. Il le sacrifiera peu après pour s'engager résolument dans le PPA, le seul parti à revendiquer l'indépendance. Deux militants ont été à l'origine de son adhésion à ce parti: Tayeb Thaâlibi et Hocine Bel Mili (Annexe 6). En 1950, il était le chef de la wilaya d'Oran après avoir été celui des wilayate de Sétif puis d'Annaba. A la même date, il accédait au Comité central, organe suprême du PPA-MTLD (Annexe 7). Il est arrêté pendant la grande répression de l'OS‘ en 1950 et traîné d'une prison à l'autre, en Algérie et en France(1). Après cinq ans de détention, il recouvre sa liberté le 18 janvier 1955, affligé d'un ulcère à l'estomac consécutif à ses nombreuses grèves de la faim. Il a beaucoup lu au cours de sa détention. Lorsque Krim et Ouamrane, à sa libération, viennent lui rendre visite à Azouza, son village natal en Kabylie, et lui exposer la situation qu'ils enduraient, il est consterné par l'extrême faiblesse des moyens de la Révolution et l'insuffisance de son encadrement. Malgré leur courage à toute épreuve et leur mépris de la mort, les maquisards, du fait de l'illettrisme et l'analphabétisme qui
(1) Rappelons, qu'à l'époque. Il était du rôle du chef de Wilaya de sélectionner au sein de l'Organisation politique les éléments jugés aptes à la lutte armée, puis de les affecter à l'OS, la structure paramilitaire du Parti
sévissaient dans leurs rangs, traînaient un, sérieux handicap pour mener valablement la guerre et conduire des milliers, voire des millions d'hommes et de femmes, sur le chemin de l'indépendance. Mais cela ne le décourage nullement, et il se jette corps et âme dans la bataille, décidé à offrir le meilleur de lui-même. Afin de pallier le manque de formation des cadres, il ne voyait d'autre solution que d'ouvrir les portes du FLN à tous les Algériens pourvu qu'ils soient de bon patriotes, ardents dans leur foi révolutionnaire, volontaires pour le sacrifice et, autant que possible, compétents et expérimentés.
Il s'était vu confier la responsabilité d'Alger-ville par Krim et Ouamrane. Fidèle à sa politique d'union des forces nationales, il fit appel aux «Centralistes» et aux éléments de l'UDMA et de l'Association des oulémas dont certains seront désignés par le Congrès de la Soummam au CNRA. Au sein de cet organisme, les «Centralistes» étaient au nombre de sept (Aissat, Dahlab, Yazid, Mehri, Benkhedda, Louanchi, Temmam); les anciens de l'UDMA au nombre de deux (Abbas, Francis) et les éléments issus de l'Association des Oulama au nombre de deux également (Ahmed Tewfik-el-Madani et Brahim Mezhoudi).
Dans une lettre au CCE, Ben Bella écrit à ce propos:
«Ces décisions (celles générales du Congrès de la Soummam) ont été, en outre, assorties d'autres décisions consacrant la présence d'éléments au sein des organismes dirigeants du Front, qui sont une véritable aberration des principes les plus intangibles de notre révolution, et qui, si on y prenait garde, finiraient, je pèse les mots, à lui tordre une fois pour toutes le cou. »(1)
Dans l'esprit de Abane et des Congressistes de la Soummam, la présence de ces éléments est, au contraire, le reflet de la société
(1) (Mohammed Harbi, Les archives de la Révolution, page 168).
algérienne avec ses différentes composantes et sensibilités qu'il s'agissait de récupérer et d'engager résolument dans la guerre d'indépendance.
Le CNRA, c'est le parlement du FLN où la majorité des membres (30 sur 34) appartient à l'ex-PPA-MTLD. Véritable Assemblée législative qui définit l'orientation et la politique du FLN, il est surtout la seule autorité habilitée à engager les négociations avec l'adversaire, et, le cas échéant, à décider du cessez-le-feu.
Abane est logique avec lui-même. Pour lui, il n'y a point de salut en dehors d'un rassemblement aussi large que possible des forces nationales du pays.
Dans les griefs formulés à l'encontre du Congrès et adressés à la direction du FLN par certains membres de la délégation extérieure, c'est surtout la présence au CCE de Benkhedda et Dahlab qui est visée, au motif qu'ils appartiennent à la tendance «Centralistes» accusée d'avoir voulu entraver le déclenchement insurrectionnel du 1″ Novembre 1954.
Des «Centralistes» devenus membres du CCE, et, qui plus est, étaient à même de «contrôler les activités de nos organismes à l'intérieur et à l'extérieur», voilà qui était tout simplement insupportable aux «chefs historiques» qui estimaient qu'eux seuls avaient le droit exclusif, donc le monopole de diriger le FLN et la Révolution.
En réalité, et à travers les Centralistes, c'était Abane qui était ciblé au premier chef. Son ascension fulgurante donnait des cauchemars à certains, et ils étaient nombreux.
S'il y avait des reproches à émettre sur la désignation au CCE des deux «Centralistes», ce n'était pas uniquement à Abane qu'il fallait les adresser mais aux quatre ou cinq colonels de wilaya présents au Congrès, et qui avaient ratifié ce choix. Cinq ans après, en 1961, c'est à ce même Benkhedda et à ce même Dahlab qu'il est fait appel, l'un pour être le deuxième président du GPRA, l'autre pour mener à bien les négociations avec la France, le troisième, M'hammed Yazid, pour être à la tête du Ministère de l'Information à un moment où celle-ci prenait une importance capitale dans la lutte finale et alors que la direction du FLN se débattait dans une situation de crise: conflit avec l'état-major général de 1'ALN, établi à Ghardimaou, étouffement des maquis suite à l'installation aux frontières est et ouest de barrages électrifiés qui ont réussi à isoler complètement l'intérieur du pays de sa Direction et de ses sources d'approvisionnement en armes, négociations avec la France interrompues depuis plusieurs semaines, relations conflictuelles avec les ministres détenus en France(1). Et comme par hasard, l'appel au concours des centralistes provient des «chefs militaires» eux-mêmes, à savoir les trois colonels «super-ministres» du GPRA, les 3B, qui concentraient dans leurs mains la réalité du pouvoir révolutionnaire.
On rapporte que Youcef Zighoud, sollicité, au Congrès de la Soummam, pour entrer au CCE, aurait refusé, préférant se consacrer entièrement à sa wilaya. Sollicité à son tour, Ben Tobbal, aurait eu la même réaction.
Quant au principe de la primauté du politique sur le militaire, cela signifie que le FLN commande l'ALN et non l'inverse. Ce n'était pas une idée propre à Abane mais à tous les Congressistes de la Soummam. Elle a servi de principe de base intangible à toutes les révolutions qui ont triomphé. Le mérite de Abane a été de l'avoir fait partager à ses pairs, et d'avoir tenté de la mettre en pratique.
Appliquée de nos jours à l'Etat de droit, cette règle signifie que le civil commande le militaire et qu'au sommet de l'Etat le Président
(1) Aït Ahmed. Ben Bella. Bitat. Boudiaf. Khider.
de la République régulièrement élu est effectivement le chef suprême des armées. Pour l'avoir méconnue, l'Etat algérien n'a cessé, depuis l'indépendance, d'accumuler crise sur crise jusqu'à la terrible tragédie d'aujourd'hui, qui n'épargne personne.
Abane «régionaliste»?
Abane et les Congressistes de la Soummam dans une lettre adressée à la Fédération de France du FLN en pleine guerre – en août 1956 – ont sévèrement condamné les éléments «Berbéristes, Messalistes et autres contre-révolutionnaires qui continuent leur travail de sape et de division au sein de l'émigration algérienne »(1) (Annexe 5). Cette lettre détruit la thèse d'un Abane «régionaliste», thèse en totale incompatibilité avec sa vision d'une unité nationale sans faille qu'il a toujours défendue.
Bien que francophone de formation, il a toujours soutenu et défendu le principe de l'identité algérienne de culture arabo-islamique. Il a toujours été acquis à ce fondement de l'idéologie du PPA-MTLD, dont il s'est puissamment imprégné durant ses années de militantisme, notamment lorsqu'il avait accédé au Comité central en 1950, et que le Congrès de 1953 venait encore de réaffirmer. A aucun moment, dans ses attitudes ou dans ses prises de position, il ne remit en cause de quelque façon que ce fut, les valeurs islamiques contenues dans la Proclamation du 1 Novembre 1954. De toutes ses forces il combattait, non seulement la théorie colonialiste de «l'Algérie française» mais également celle de «l'Algérie nation en formation» prêchée par les communistes. Le PCA se référait alors au fameux discours de Maurice Thorez, qui soutenait le 11 février 1939 à Alger que la nation algérienne était composée de Berbères, d'Arabes, de descendants de Turcs auxquels
(1) Cf. Anne-Marie Louanchi, Salah Louanchi, Parcours d'un militant, éditions Dahlab,
se sont ajouté des Grecs, des Maltais, des Espagnols, des Italiens et des Français», «une nation algérienne, concluait-il, qui se constitue dans le mélange de vingt races»(1) C'était là un concept que De Gaulle reprit à sa façon lorsqu'en 1959, il proposa une «Algérie algérienne» très proche de la France, «afin, disait-il, que les communautés diverses, française, arabe, kabyle, mozabite, etc., qui habitent dans le pays, y trouvent des garanties quant à leur vie propre et un cadre de coopération». Le partage du territoire était même prévu en cas de refus des Algériens.
Bien que non pratiquant (il n'était pas le seul dans ce cas parmi les dirigeants du FLN et de l'ALN), Abane était d'une grande tolérance: il a toujours observé le plus profond respect pour la foi et les convictions religieuses de ses compagnons d'armes. Ce qui lui importait avant tout, c'était l'unité de tous les Algériens sans distinction, qui, seule, pouvait libérer l'Algérie du joug colonial. Si la victoire de l'indépendance a été acquise, c'est en grande partie grâce à cette unité à la faveur de laquelle le peuple a réussi à dresser un seul front face à l'adversaire.
Apre à la tâche, Abane, cependant, n'agissait pas isolément, et il aimait consulter. Il avait su s'entourer d'une équipe d'où émergeaient quelques figures célèbres du FLN algérois Rebbah Lakhdar, l'étudiant Amara Rachid, Mohammed Ben Mokaddem. Il y avait aussi, dans son entourage beaucoup de cadres «Centralistes». En plus de ceux qui avaient été désignés au CNRA, citons quelquesuns d'entre eux qui activaient dans l'organisation FLN-ALN Hachemi Hammoud(2), Mohammed Fellous, Hachemi Touati, Ben
Mohammed Hamada chef d'un important réseau politico-militaire, abattu par les messalistes, Brahim Chergui chef politique de la Zone autonome d'Alger en 1956-1957 et d'une partie des groupes armés.
Abane «absolutiste»?
Parmi ceux qui ont exercé des responsabilités au cours de la guerre de libération, qui peut se vanter d'avoir été constamment«coulant»,«démocrate» ou«compréhensif» et de n'avoir jamais pris de décisions «autoritaristes»? Les événements imposent souvent d'en prendre dans le feu de l'action et Abane en prenait parfois.
Lorsque nous étions à Alger, nul protocole n'existait entre nous, membres du CCE. Nous étions tous logés à la même enseigne. Aucun n'avait le pas sur l'autre. Nous courions tous le même danger: celui de tomber dans les griffes des paras de MassuBigeard, et l'arrestation était suspendue au-dessus de nos têtes comme une épée de Damoclès. Mais il y avait comme une entente tacite, une espèce d'unanimité à faire confiance à Abane et à lui reconnaître le leadership parce qu'il était un homme de décision, un animateur et un coordonnateur hors pair. C'était lui qui assurait la correspondance avec, notamment, les wilayate, les fédérations de France, de Tunisie et du Maroc ainsi qu'avec la délégation extérieure. Le CCE à Alger était soudé. A aucun moment nous n'avions décelé chez lui la moindre « graine de tyran », même si sa franchise cinglante désarçonnait parfois.
Puis celle de Blida en 1953. Il s'engagea dans le FLN dès les débuts de l'année 1955 et poursuivit son activité jusqu'à février 1957 date où il fut arrêté et torturé dans le PC du colonel Bigeard. Quartier de la Scala à El Biar. là-même où fut interrogé Ben M'hidi après sa capture. Si Hocine mourra sur la table de tortures dans d'affreuses souffrances au cours des séances de supplices particulièrement « poussée ».
C'est seulement à la sortie du CCE (amputé de Ben M'hidi) du territoire national que les choses vont changer. Je dois dire que le départ à l'extérieur fut acquis à l'unanimité des quatre membres rescapés, donc Abane compris(1)que ce départ sera lourd de conséquences dans la mesure où, du jour au lendemain, nous nous retrouvions loin du champ de bataille, dans un exil propice aux complots, aux coups bas, et à toutes sortes de manœuvres déstabilisatrices. Une atmosphère aussi délétère ne pouvait que nuire à l'autorité du CCE, et finir par devenir fatale à Abane.
Ali Kafi attaque Abane sur le plan personnel; il l'accuse d'avoir cherché à s'accaparer du pouvoir. « Sa pensée, dit-il, était sa main mise sur elle (la Révolution) en écartant la délégation extérieure»(2). Or les résolutions prises par le Congrès de la Soummam n'ont pas été imposées par Abane, mais elles ont été ratifiées par tous les participants.
Les membres dirigeants du FLN se trouvant à l'extérieur ont bien été invités à participer au Congrès. Cependant, seul Ben M'hidi est rentré, et a pris part aux travaux de cet organisme. Son exemple n'a pas été suivi par les autres. Pourquoi? On ignore encore les raisons réelles de leur absence.
Ali Kafi est difficile à lire de par ses élucubrations, encore plus difficiles à décoder. Il ne va pas droit au but. Il use d'un langage qui
consiste à insinuer, suggérer, sans rien assumer ni prendre sur soi. II privilégie les ouï-dire, prête foi aux rumeurs, et préfère accuser par personnes interposées. Il fait donc parler les autres plutôt que de s'impliquer lui-même. Ainsi écrit-il: «Abane avait des liaisons secrètes avec l'ennemi et il ne les révélait pas à ses compagnons jusqu'à ce qu'ils le découvrent par leurs efforts personnels, et à ce moment-là les doutes ont commencé. Ces doutes ont amené ses compagnons à le convaincre de les accompagner au Maroc au prétexte de rendre visite au Roi Mohammed V. A ce moment, il a été jugé et la sentence de mort a été exécutée.»
Par son subjectivisme, Ali Kafi n'est pas en mesure de faire œuvre d'historien. Il n'apporte pas de preuves tangibles sur les personnes mêlées à cette affaire, leurs lieux de rencontre, les dates, les décisions prises et autres faits concrets. Il se veut mémorialiste. Soit. Mais il se réfère davantage à des compagnons de Abane connus pour avoir été ses adversaires ou ses rivaux à la direction du FLN, et morts par dessus le marché. Peut-on prendre en compte les témoignages qu'il leur prête de son propre chef? En fait, ses efforts se concentrent sur le Congrès de la Soummam et sur son principal artisan: Abane. Ben M'hidi lui-même n'est pas épargné. « Abane, dit-il, est venu (au Congrès) avec des calculs, et c'est pour cela qu'il est venu avec Ben M' hidi »(1).
Revenons à ces fameuses «liaisons secrètes avec l'ennemi.»
Depuis que le monde est monde et que les hommes se font la guerre, les belligérants quels qu'ils soient, savent qu'ils sont appelés un jour ou l'autre à se retrouver ne serait-ce que pour se sonder mutuellement. Ainsi, pour ne parler que de l'appel aux armes du 1er Novembre 1954, il n'a jamais fermé la porte aux négociations, bien au contraire. Les contacts entre le FLN et le gouvernement français,
(1) Ali Kafi, Mémoires du Président Ali Kafi. Du militant politique au chef militaire.1946-1962. Editions Casbah, 1999. p. 123
sans être officiels, ont toujours été secrets, depuis la rencontre Abane–BenKhedda, en 1956 à Alger, avec l'envoyé de Pierre Mendès-France, l'avocat Maître Charles Verny, jusqu'aux Accords d'Evian rendus publics le 19 mars 1962 revêtus des signatures de Krim et de Joxe, en passant par les entretiens, à Rome, entre d'une part, Mohammed Khider, Abderrahmane Kiouane et M'hammed Yazid représentant le FLN, et Commin et Herbaut représentant le gouvernement Guy Mollet d'autre part. Commin, secrétaire général par intérim de la SFIO avait auparavant eu un seul contact avec Khider au Caire. A Belgrade, Khider et Debbaghine ont eu une rencontre avec Herbaut. Tous ces contacts eurent lieu en 1956.
Ceci dit, de quelles « liaisons secrètes » s'agit-il? Là encore, aucun fait concret n'est fourni par Kafi. De quoi est accusé Abane? Quel acte gravissime a-t-il pu commettre pour mériter la sentence de mort? Qu'a-t-il « dénoncé », « livré », «révélé » à l'ennemi? Kafi se garde de répondre à cette interrogation. En revanche, il lance l'expression assassine sur ces «doutes qui ont commencé»à tourmenter l'esprit de ses pairs. Résultat: Abane croule sous la suspicion, tandis qu'on laisse au lecteur le soin de conclure luimême à l'infâme accusation de « traître » et d'agent de l'ennemi(1). Ainsi, le tour est joué.
Enfin, et pour en terminer avec ses insinuations, nous aimerions savoir si Ali Kafi croit vraiment à la fable selon laquelle Abane aurait été jugé. Si tel avait été le cas, nous souhaiterions connaître où avait siégé le tribunal qui l'avait condamné à mort, par qui était-il
(1) C'est ce que d'ailleurs ont compris de nombreux responsables de la guerre de libération, qui réagirent violemment, révoltés par cette infâme accusation. Parmi eux: les colonels Slimane Déhilès (wilaya 4) et Salah Boubnider (wilaya 2). Les commandants Azzeddine (wilaya 4 et Zone autonome d'Alger). Lakhdar Bouregaâ (wilaya 4). Si Hmimi et les membres du Conseil de la Wilava 3. Djghaba (wilaya 6). Des moudjahidine dont Mahfoud Bennoune (wilaya 2). Des fidaïne du 1er Novembre 1954 dont Athmane Belouizdad. Membre des « 22 ».
composé, et sous quels chefs d'accusation avait-il rendu sa sentence?
Comme tout être humain, Abane avait ses défauts dont le plus grand a été son tempérament tranchant. Il était entier. Chez lui, point de nuances. Il lui arrivait d'exploser, d'entrer dans une violente colère lorsqu'il s'apercevait d'une anomalie, d'un défaut, d'un abus, dont l'auteur devait alors faire les frais de ses observations parfois blessantes. «Tu ne comprends rien» avait-il dit un jour à un membre du CCE. A un autre, il lança l'épithète de «fasciste ». Mais une fois qu'il avait «vidé son sac», il se reprenait. Car il n'était pas vindicatif ni rancunier.
Abane, certes, n'a pas été infaillible. Il a eu ses faiblesses ; il a commis des fautes, des erreurs, comme n'importe quel dirigeant du FLN. Qui peut se targuer d'y échapper? Mais laisser entendre perfidement qu'il fut un«agent» de l'ennemi, il y a là une ligne rouge à ne pas franchir.
Cependant, avec tout le respect et la considération que nous devons à la mémoire de Abane , à l'œuvre qu'il a accomplie et à la contribution qu'il apporta à la cause de l'indépendance, nous ne devons pas tomber dans le «culte du héros», le «culte des morts» en honneur chez les peuples d'Occident qui érigent des statues et des stèles à leurs grands hommes ; une pratique contraire à nos mœurs, à nos traditions nationales et à nos valeurs islamiques, tendant à une divinisation de l'homme, à une forme de Chirk Inspirons-nous de ses idées, mais n'allons pas jusqu'à l'adorer.
Pour nous, Abane est dans nos cœurs. C'est en luttant pour le triomphe de ses idées que nous serons fidèles à sa mémoire, ces idées qui demeurent plus que jamais d'actualité dans notre Algérie souffrante, plus valables encore en temps de paix. Et quelles idées, plus utiles, plus convaincantes que celles dont il a fait son juste credo:
Alors que l'Algérie se débat dans les convulsions d'une tragédie sans nom, alors que la jeunesse algérienne est à la recherche de ses repères historiques, on ne peut s'empêcher de se demander: quelle motivation a poussé Kafi, Secrétaire général de l'Organisation Nationale des Moudjahidine, à diffamer et à calomnier un symbole de la Révolution, connu pour son œuvre historique d'unification des forces nationales, sans laquelle la libération de l'Algérie eût été une chimère?
Serait-il tombé dans un piège, le piège de la division, arme redoutable entre les mains de l'ennemi qui a toujours tenté de dresser une population contre une autre (arabophones contre berbérophones, voire inter berbérophones)?
Si nous nous mettons à nous détruire mutuellement, nous, les combattants de la guerre d'indépendance, ne risquons-nous pas de discréditer la Révolution aux yeux de la génération nouvelle et celles à venir, et de faire, encore une fois, le jeu de l'ennemi qui n'a pas digéré à ce jour à travers la «perte» de l'Algérie, une de ses plus grandes défaites, qu'il se garde bien d'avouer ou de reconnaître publiquement. Notre victoire sur lui fut une victoire éclatante, et l'une des plus glorieuses de notre histoire. Elle peut être une leçon pour tout le monde: celle d'un petit peuple, qui réussit à triompher d'une grande puissance moderne parce que sa cause était juste, et qu'il était uni. Que cette grande puissance ait mobilisé l'immense supériorité de son potentiel humain, matériel, militaire et financier, qu'elle ait bénéficié de l'appui sans réserve de l'Occident et des quinze Etats membres de l'OTAN, ne changera rien au succès du peuple algérien. Sa victoire, on ne le répétera jamais assez, s'est terminée par le retrait d'une armée d'occupation de 500 000 hommes appuyés par 200 000 supplétifs. Elle a acculé un million d'Européens enracinés dans le pays depuis plus d'un siècle à un départ massif vers la métropole. Surtout, elle a contraint la France à reconnaître solennellement à l'Algérie sa souveraineté nationale dans le cadre de son intégrité territoriale, Sahara compris.
Tout cela est prodigieux, et doit constituer une source d'enrichissement et de fierté pour chaque Algérien. Tout cela honore notre mémoire collective. Par sa foi, son unité, et la somme des sacrifices inouïs qu'il a consentis, notre peuple a pu vaincre plus fort que lui. Sa victoire est un patrimoine moral exceptionnel qui consolide la nation et ses valeurs patriotiques. Préservons-le, ne l'éclaboussons pas en pourfendant injustement tous ceux qui, à un moment ou un autre, ont été, tel Abane, Ben M'hidi, Zighoud et tous les autres, ses plus sûrs artisans. Sans leur contribution, que serait-il advenu du projet de restauration de l'Etat algérien, dont la réalisation aujourd'hui, aura permis à Kafi d'être porté à la magistrature suprême?
En s'attaquant à ces symboles, n'est-il pas en train de scier la branche sur laquelle il est assis? D'autant que les preuves contre Abane sont loin d'être convaincantes et celui-ci n'est plus là pour lui répondre.
L'écriture de l'histoire de notre Révolution n'est pas encore faite. Contentons-nous d'apporter des témoignages, de fournir des matériaux d'appréciation fiables pour ceux qui, après nous, seront appelés à remplir cette tâche. Respectons la mémoire de nos héros. D'autres héros encore peuvent être accusés des mêmes infamies que Abane et devenir à leur tour victimes de visions sectaires, de sentiments inavoués de vengeance, ou de règlements de compte à base d'intérêts régionalistes ou de clans. Pareils procédés détestables de dévalorisation continuent, hélas, à sévir au sein de la communauté des moudjahidine elle-même. Ils sont le produit de la monopolisation du pouvoir et le fruit des débordements de la pensée unique qui exclut systématiquement tout ce qui ne se plie pas à son diktat.
On prête à Didouche Mourad la parole célèbre: «Si nous venions à mourir, défendez nos mémoires».
Il nous appartient, nous les survivants de la Guerre d'indépendance, et de la génération actuelle, d'évoquer et de parler de nos morts avec respect et considération ; ils font partie de notre patrimoine national, avec leurs qualités et leurs défauts. Parce qu'ils demeurent pour tous des exemples de sacrifices et de dévouement dans la longue marche une Algérie libre, souveraine, respectueuse des a droits de l'homme, sachons défendre ce patrimoine hautement patriotique. Enrichissons-le afin de mieux sauvegarder notre avenir et celui de nos enfants.
Sans Ben M'hidi le Congrès de la Soummam n'aurait pas réussi, et Abane n'aurait pu faire triompher ses thèses.
Ben M'hidi était le type-même du militant PPA chez qui nationalisme et religion étaient intimement mêlés, vivant au rythme du peuple, partageant ses joies et ses peines, ses vicissitudes et ses aspirations, toujours prêt à le servir.
Mohammed-Larbi Ben M'hidi est né en 1923 dans une zaouïa, au douar El-Kouahi, à 50 kms environ de Constantine. Comme les centaines – ou milliers – de zaouïa qui parsemaient l'Algérie, celle des Ben M'hidi dispensait un enseignement arabe, l'étude du Coran et, donnait une formation morale adéquate. Toutes ces zaouia étaient des centres de résistance à l'envahissement culturel de l'occupant, aux essais d'évangélisation entrepris par l'Eglise, et aux tentatives d'assimilation que la France menait systématiquement dans tous les domaines, afin de faire de l'Algérie une «province française» et de la dépouiller de ses valeurs séculaires arabo-islamiques.
En 1943, Si Larbi adhère au PPA. La Seconde guerre mondiale battait son plein et les Anglo-américains avaient débarqué en Afrique du Nord véhiculant avec eux les principes universels de la Charte de l'Atlantique relatifs aux libertés fondamentales et au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Il s'en suivit, dans les années 1944-1945, en Algérie, une atmosphère de détente à la faveur de laquelle fut lancé un grand mouvement populaire : les AML(les Amis du Manifeste de la Liberté) qui regroupait le PPA, l'Association des Oulama et les élus proches de Ferhat Abbas, que ce dernier présidait. Si Larbi en était l'animateur à Biskra.
En quelques mois, le mouvement atteint les coins les plus reculés du pays et les colonialistes prennent peur devant la vague nationaliste qui déferle partout.
L'armistice est annoncé pour le 8 mai 1945 et le PPA appelle les Algériens à manifester en faveur de l'Indépendance. Si Larbi est à la tête du défilé à Biskra. Il est arrêté le lendemain, puis relâché au bout de trois ou quatre semaines. Il sera bouleversé et traumatisé par le génocide de mai 1945 perpétré par l'armée française, témoin qu'il fut du spectacle insoutenable des massacres collectifs de civils. Le bilan est effarant 45000morts; en outre l'unité des AML est brisée suite aux arrestations dont ils sont l'objet.
Le PPA en tire aussitôt la leçon: l'absence d'une organisation armée capable de s'opposer à la violence colonialiste. En 1947 il crée l'OS (Organisation spéciale) sa branche militaire. Mohammed Belouizdad est chargé de la diriger. Si Larbi est désigné pour mettre sur pied l'organisation de l'OS dans le Constantinois. Il sera membre de l'état-major régional de cette structure.
En 1950, il échappe avec Boudiaf à la grande répression qui frappe l'OS dont l'état-major est arrêté y compris son chef: Ben Bella. En 1954, Ben M'hidi participe à l'Assemblée des «22» du CRUA, et quatre mois après, le 23 octobre, il fait partie des «6» qui prirent la décision historique de l'action insurrectionnelle du 1er Novembre. Il se voit attribuer la responsabilité de toute l'Oranie, vaste département de l'Ouest, qui s'étend de l'Algérois aux confins du Sahara et de la frontière marocaine.
Boudiaf et Ben M'hidi se déplacent entre Nador (Rif marocain), Madrid et Le Caire à la recherche des armes, problème vital pour les maquis naissants. Au Caire, Si Larbi rejette catégoriquement le fait que «les frères» égyptiens s'immiscent dans les affaires de la délégation extérieure du FLN ; il dénonce le choix porté par Fethi Dib sur Ben Bella pour en faire l'interlocuteur du FLN auprès du Raïs. On rapporte qu'au cours d'une discussion houleuse avec Ben Bella, Ben M'hidi prit la décision de quitter Le Caire et de retourner au pays. Il se rendit au Maroc où il confia l'intérim de la zone 5 (Oranie) à Boussouf; puis, il rentra en Algérie.
Je l'accueillis moi-même un jour de mai 1956, à la gare d'Alger où il arriva par le train de nuit en provenance d'Oran, installé dans un wagon-lit, et muni de faux papiers. (La surveillance policière n'était pas aussi draconienne qu'elle le sera quelques mois après, lorsque la bataille d'Alger atteindra son paroxysme au début de l'année 1957). Je le mis en contact avec Abane chez Mohammed Ouamara (Rachid) 133 bis, Boulevard du Télemly, siège de notre PC. Les deux chefs ne se quitteront plus. Ils se retrouvent constamment, le plus souvent chez Rachid. Une totale unité de vue avait fini par régner entre eux, favorisée par la formation politique et militante identique qu'ils avaient reçue au PPA-MTLD. La même conception de la lutte dans ses aspects politique et militaire, la même appréhension de voir la Révolution instrumentalisée de l'extérieur, les mêmes priorités les rapprochaient et guidaient leurs pas. Surtout, ils partageaient avec une impérieuse ferveur l'impératif de l'unité patriotique du peuple algérien. C'était un mot d'ordre auquel ils tenaient viscéralement pour l'avoir pratiqué et développé à l'époque du PPA-MTLD, quand le Parti en avait fait un argument de bataille d'une portée psychologique sans pareille, plusieurs années durant avant 1954.
Chez Ben M'hidi, la nécessité d'une stratégie unitaire était renforcée par l'expérience qu'il avait vécue à Biskra en 1944-1945 au sein des AML. Là, il eut l'occasion de se «frotter» avec des personnalités de l'Association des Oulama et d'autres formations qui n'étaient pas de sa sensibilité. Par exemple, le Docteur Saâdane, un ami personnel de Ferhat Abbas qui avait beaucoup d'affection et de sympathie pour Si Larbi dont il appréciait le courage et le dévouement à la cause publique, alors même qu'une notable différence d'âge les séparait.
L'identité de vue entre Ben M'hidi et Abane est définitivement scellée au moment où ils quittent Alger, en route pour le Congrès, escortés par les hommes de Déhilès. Au Congrès de la Soummam, l'appui de Ben M'hidi à Abane sera déterminant. Sans lui, ce dernier n'aurait pu faire triompher ses conceptions.
En effet, pour Zighoud et les éléments du Nord-Constantinois,
Abane était un inconnu. En dehors de son militantisme au PPAMTLD et de son séjour en prison, ils ne connaissaient pas grandchose de lui. Par contre, ils avaient une entière confiance en Krim et Ouamrane avec lesquels ils entretenaient d'excellents rapports, ainsi qu'en Ben M'hidi : membre de l'OS dès sa création en 1947, membre des «22» du CRUA, puis du Comité des «6 historiques» du 1erNovembre 1954, c'étaient là autant de titres et de références qui imposeront Si Larbi comme l'homme du consensus. Entouré de respect et de considération, ce n'est pas un hasard si l'honneur de présider les travaux du Congrès lui reviendra. Le succès de la Soummam est donc à porter au compte non du seul Abane mais, davantage, au compte du tandem exemplaire qu'il formait avec Ben M' hidi.
Ben M'hidi était un homme pieux, nourri des principes coraniques; il pratiquait assidûment sa prière par tout où il allait. Il était profondément attaché aux valeurs islamiques contenues dans le programme du PPA-MTLD, et reprises dans la Proclamation du 1er Novembre 1954. Dans le Parti, on le surnommait «carburation» et pour cause! L'esprit vif, il était toujours en mouvement, et son activisme inné lui faisait répéter: «Il faut donner au Parti de la carburation», voulant dire par là des motifs d'action. En fait il était l'ennemi de tout immobilisme.
Il avait l'Algérie dans le sang. Hamid Ouamara, le fils de Mohammed Ouamara, chez qui nous avions établi en 1956-1957 notre PC, rapporte l'anecdote suivante: «Les débats du CCE ce jourlà, avaient pris un tour passionné. Si Larbi, nerveusement, et sans qu'il s'en rende compte, tailladait la table avec un petit canif. La réunion terminée et une fois les membres du CCE partis, je poussais la curiosité de voir ce qu'il avait dessiné. Il avait gravé dans la table en bois de chêne, réputé pour sa dureté, la phrase suivante: -L'Algérie libre vivra !-, des mots qui témoignent de sa passion patriotique.»
L'activité militante de Ben M'hidi ne l'empêchait pas d'avoir d'autres activités sociales et culturelles. Il aimait le théâtre et il avait adapté à l'arabe la pièce Pour la Couronne de François Coppée. Il y tenait le rôle de Constantin défenseur de la patrie contre son père, le roi Michel qui, pour conserver son trône, acceptait toutes les compromissions et se soumettait aux pires diktats de l'occupant.
Dans son jeune âge, Ben M'hidi avait fait partie des SMA (Scouts Musulmans Algériens). Il avait été aussi joueur et dirigeant de l'équipe de football locale l'USB (Union sportive de Biskra). Dans la lutte, il avait pour principe d'entraîner aussi bien les jeunes que les vieux. Pour lui, tous les Algériens, quel que soit leur âge ou leur condition sociale, sont appelés à lutter pour l'indépendance de leur pays. Là encore, une autre anecdote de Hamid «Un jour, je servais de la limonade aux cinq membres du CCE réunis autour de la grande table du salon. Mon père était assis parmi eux. Arrivé au tour de Ben M'hidi, celui-ci me fit signe de stopper: «Arrête, me ditil, apporte un verre.»Ce que je fis immédiatement. II plaça les deux verres vides devant lui, les remplit, offrit, l'un à mon père, l'autre à moi-même et me dit: Bois! C'est la génération de ton père et ta génération, Hamid, qui ensemble, libèreront l'Algérie.»
Pour Ben M'hidi, comme pour Abane, l'indépendance demeurerait une chimère sans l'unité effective du peuple. Tous les soulèvements et autres mouvements de résistance contre le système colonial n'avaient-ils pas été une succession d'échecs y compris du temps de Abdelkader, et cela, faute d'unité dans le combat collectif et faute de direction nationale? La grande leçon de l'occupation coloniale de l'Algérie par la France ne réside-t-elle pas dans l'incapacité des Algériens d'opposer un front sans fissures à l'adversaire? Seul le FLN, un siècle plus tard, saura cimenter cette unité des rangs et des objectifs et l'inscrire génialement dans une logique de victoire inéluctable.
La stratégie du consensus et de l'union nationale a été rondement menée par ces deux champions de l'unité tous azimuts que furent Abane et Ben M'hidi. Le succès du Congrès de la Soummam est leur œuvre commune. Travaillant en tandem, dans une intelligente et constante concertation, ils furent non seulement des acteursphares de notre lutte, mais aussi, on ne le soulignera jamais assez, des partenaires d'égal mérite. Ils se sont complétés l'un l'autre dans la tâche gigantesque de consolidation du mouvement de libération à un moment crucial de son histoire: quand il fallut, à partir du printemps 1956, gérer avec audace et maîtrise, son passage du stade insurrectionnel initial à la phase révolutionnaire proprement dite. Et là, leur apport, stratégiquement parlant, a été à la fois immense et décisif. Sans eux, on n'aurait donné cher ni de la tenue des assises de la Soummam, ni de l'élaboration d'une plate-forme qui aura permis malgré tout à la Révolution algérienne de se situer politiquement et militairement, et de se doter d'un édifice institutionnel conséquent. Pour avoir énergiquement contribué à asseoir la légitimité et la légalité révolutionnaires, et à mettre en place un programme cohérent et une direction homogène, ils ont droit à notre reconnaissance. Que grâce leur soit rendue de toute notre ferveur.
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Publication: 15/08/2015 16h07 CEST Mis à jour: 16/08/2015 06h14 CEST
Quelle est l'importance du congrès de la Soummam dans le cheminement de la guerre de libération ? Quid du rôle de Abane Ramdane? Dans cet entretien réalisé en novembre 2002 par K.Selim dans un contexte de vives polémiques en Algérie avec des accusations, choquantes, de trahison, Hocine Aït Ahmed, élève le débat. Un entretien passionnant qui clarifie les enjeux politiques et de mémoires pour les jeunes algériens. Et pour les moins jeunes aussi.
Que fut réellement le congrès de la Soummam, un renforcement de la révolution ou une déviation ?
Hocine Aït Ahmed: Le fait de poser cette question près de quarante ans après la tenue de ce congrès me paraît sidérant. Autant soulever la même question sur le rôle du 1er Novembre 1954, au moment même où l'Algérie vient d'en célébrer le 40ème anniversaire.
Soyons clairs : je ne me suis jamais considéré comme un « historique ». J'en ai assez souvent martelé les raisons pour ne pas avoir à les ressasser aujourd'hui.
Permettez-moi de les résumer en une seule phrase: la guerre de libération n'est en aucune façon réductible à un appareil, à un parti, encore moins à un homme, un complot, où une coterie, quels que soient par ailleurs les rôles des uns et des autres assumés dans des périodes et des étapes données.
Pas plus que je ne suis spécialiste d'étiologie, terme barbare pour dire philosophie politique. Je vous livre donc un témoignage plus existentiel que théorique.
En tant que militant de terrain, je m'interroge d'abord sur le sens des évènements que recouvrent les mots. Ces deux tournants politiques ne sont pas des météorites tombées du ciel. Leur restituer leur signification et leur portée exige le rappel – faute d'analyse – des causes et des enchaînements politiques qui les ont créés.
Le déclenchement de la lutte armée en Algérie, le 1er Novembre 1954, a été, bien sûr, déterminé par la radicalisation des combats patriotiques en Tunisie et au Maroc.
Le rêve d'un soulèvement maghrébin généralisé était à nos portes. Mais l'annonce de la lutte armée en Algérie est fondamentalement la résultante de la poussée populaire en travail depuis les répressions coloniales sanglantes de mai 1945.
N'oublions jamais les dynamiques sociales profondes dont les personnalités et les partis ne sont souvent que la face visible de l'iceberg nationaliste.
C'est vrai que les formations politiques ou religieuse, le PPA-MTLD, l'UDMA, le PCA, les Oulémas, s'étaient coupées des masses, tellement leurs stratégies « légalistes » leur paraissaient dérisoires et sans issue.
C'est elles qui, de surcroît, en payaient les notes douloureuses, notamment à chacun des « scrutins » grossièrement truqués sous le règne de Naegelen. La formule « élections à l'algérienne » était devenue proverbiale en France même à la moindre anicroche touchant le suffrage universel. Formule ô combien ! Prémonitoire.
Ce jeu de toboggan piégé et savonné qui ramenait toujours au point de départ avait fini par excéder nos compatriotes: « Ne nous appelez ni à l'abstention ni à la participation électorale ! Donnez-nous des armes ! »: ce message nous parvenait de partout. C'est à ce message qu'a finalement répondu l'appel du 1er Novembre.
Pouvons-nous conclure que les dirigeants politiques de l'étape précédente avaient trahi ?
Pas d'anathèmes ! Accuser à tout bout de champ de trahison, c'est ce genre de retours destructifs au passé qu'il faut éviter. Il y a des mots qui tuent, surtout dans un pays où la vie et l'opinion des gens continuent de perdre de leurs valeurs.
Le sens de la responsabilité doit inciter à la sérénité et à la prudence quand il s'agit de porter des jugements d'ordre politique. Sauf à ravaler ses propres agressions verbales, lorsque les formations en question deviendront parties prenantes à ces premières assises constitutives du FLN.
Le sens capital de cet événement réside dans la nature politique et contractuelle d'une stratégie de libération nationale élaborée par le congrès de la Soummam.
De toute évidence, ce pacte national n'aurait pas pu avoir lieu sans le formidable électrochoc psychologique et politique provoqué par les actions entreprises le 1er Novembre 1954, amplifiées par Saout El-Arab et par la panique qui avait gagné les autorités coloniales.
Certes, les insuffisances militaires du déclenchement de « La Révolution » s'expliquaient par les improvisations qui ont présidé à son organisation. En prenant, en 1951, la décision de dissoudre l'OS, de démanteler son dispositif et son encadrement, les dirigeants du PPA-MTLD avaient commis une grave faute politique.
L'absence d'une stratégie politique qui devait accompagner la proclamation du 1er Novembre sur le terrain risquait de couper les groupes armés de la population. Du reste, les stratèges de la guerre coloniale ne tarderont pas à exploiter ce vide politique.
Quand le gouverneur général Soustelle – jusqu'au-boutiste de l'Algérie française – prendra la mesure de remettre en liberté quelques dirigeants politiques algériens qui avaient été arrêtés, au lendemain de la Toussaint, son intention stratégique était d'engager les nationalistes modérés à remplir le vide politique afin de retarder ou de prévenir la généralisation de la dissidence armée.
Apparemment, il a été pris de court par Abane Ramdane !
H.A.A.: Tout à fait. Dès son retour au pays, Abane Ramdane, qui venait de purger des années de prison dans le nord de la France, prit contact avec Ouamrane en Kabylie (Ndlr: responsable de la willaya 4, il se réfugia dans la willaya 3 après avoir dirigé des attaques armées dans la région de Blida pour s'informer).
Ayant longtemps assumé des responsabilités, d'abord au sein de l'organisation clandestine du PPA, et ensuite à la tête de l'OS pour la région de Sétif, Ramdane était un véritable animal politique et un organisateur expérimenté.
Il n'avait pas besoin de son intuition de mathématicien pour, en premier lieu, identifier le sens du problème prioritaire et urgent: l'absence de vision et de stratégie politiques, et, en deuxième lieu, pour mettre en place les structures cohérentes destinées à soutenir la dynamique populaire.
Sans perdre de temps, il se rendit alors au domicile de Rebbah Lakhdar, à Belcourt (Sidi M'hammed). Qui ne connaissait ce personnage hors du commun ? Certes, il était militant chevronné du PPA, mais il était respecté et aimé, y compris par les adversaires politiques, et ce n'est pas peu dire.
Car, il avait cet art naturel d'un entregent exceptionnel, fait de gentillesse, d'ouverture d'esprit et d'une serviabilité doublée d'humilité. Petit commerçant dynamique, il connaissait l'ensemble de la classe politique algérienne ainsi que les personnalités religieuses et du monde des affaires.
(Cet homme avait toujours refusé d'assumer des responsabilités publiques. Sauf une fois: contraint et forcé par ses dirigeants, il se porta candidat aux élections à l'Assemblée algérienne d'avril 1948, à Sour El-Ghozlane, sa circonscription d'origine.
Son tort fut d'être l'enfant du pays idolâtré, puisque c'est là que le coup de force électoral, sous le règne de Naegelen, prit une tournure dramatique avec des « électeurs assassinés à Aumale » et Deschmya. Et ainsi un béni-oui-oui d'une crasse politique fut proclamé représentant du peuple).
Abane ne pouvait donc pas trouver un intermédiaire plus crédible. De but en blanc, il s'adressa en ces termes à Rebbah: « Je veux rencontrer toutes les personnalités qui comptent dans notre société ».
Pendant des semaines, il squatta l'appartement pour y recevoir ses nombreux interlocuteurs: dirigeants centralistes du PPA-MTLD, de l'UDMA, du PCA, des Oulémas, Aïssat Idir, le futur chef de l'UGTA, Moufdi Zakaria, l'éternel poète symbole d'un Mzab fidèle à lui-même et à l'Algérie, qui sera l'auteur de l'hymne national de notre pays.
Sans compter quelques figures de la bourgeoisie en formation pour l'aide financière, nerf de la guerre. L'impact de ces contacts est immense dans la perspective de la mobilisation de toutes les catégories sociales.
Au niveau politique et à la suite de multiples rencontres, Ramdane réussit à arracher aux délégués attitrés qu'ils procèdent à la dissolution de leurs formations politiques respectives et qu'à titre individuel, leurs militants s'intègrent dans le processus de création du FLN en vue de soutenir l'ALN dans tous les domaines.
Les dirigeants principaux de l'Association des Oulémas se rallieront aussi à cette perspective de rassemblement national. Il restait à transformer l'essai, c'est-à-dire à organiser le Congrès constitutif du FLN.
C'était une véritable gageure. OU, QUAND et COMMENT. Mission quasi-impossible ? Où se réunir en pleine guerre, mais dans des conditions de sécurité absolues ?
Quand se réunir et dans l'urgence absolue, l'hystérie des répressions coloniales risquant d'étouffer et de réduire les foyers de résistance armée, et comment acheminer les délégués et surtout les états-majors des willayas, étant donné le redoutable quadrillage du territoire par les forces et les opérations de guerre ?
Force est de constater que ce quasi-miracle s'est réalisé. Grâce à la réflexion et au savoir-faire du tandem Ben M'hidi Larbi-Abane Ramdane, aux officiers de l'ALN, à celles et ceux qui ont participé aux commissions préparatoires des assises de cet événement, et aussi à ce mur de vigilance patriotique des villageois qui étaient mobilisés par le sens de l'honneur, sans même savoir la nature de l'événement attendu.
En ce qui concerne les résultats des travaux, je vous renvoie aux textes publiés par nos historiens honnêtes. En résumé, pour la première fois, le FLN se donne une plate-forme politique; on peut en discuter les lacunes et les insuffisances. Mais, une première également, les structures de l'ALN et du FLN ont été précisées.
Les professions de foi ne sont pas définies seulement par des idéaux mais par la stratégie de mise en application. En effet, juger comme si les moyens ne sont pas partie intégrante d'un programme relève de l'ignorance délibérée ou de la dissimulation. Ce qui explique que le principe de la primauté du politique sur le militaire avait une portée et garde, jusqu'à nos jours, une validité incontestable.
Des historiques se sont opposés au congrès de la Soummam ?
Quelques historiques se sont effectivement opposés au congrès de la Soummam. Un congrès antagoniste avait même été prévu, soutenu par Nasser et Bourguiba, qui avait notamment mis la « Garde nationale » à la disposition des tenants de la contestation.
Une crise extrêmement plus grave que celle qui avait opposé Centralistes et Messalistes par congrès rivaux interposés. Imaginez les engrenages de tueries opposant des hommes, voire des régions ou des wilayas en armes: c'était la guerre fratricide se substituant à la guerre de libération.
J'étais le seul à la prison de la Santé à reconnaître les décisions du congrès de la Soummam. Pour toutes les raisons indiquées, et surtout en raison du consensus national qui y fut esquissé et qui pouvait servir de support international à la constitution d'un gouvernement provisoire.
J'avais transmis au CCE – la nouvelle direction élue par le Congrès -, par l'intermédiaire du sénateur Ahmed Boumendjel, notre avocat, un message écrit dans lequel je soulignais l'absurdité d'un conflit de souveraineté, alors que le pouvoir colonial continuait à en être le vrai détenteur au regard de la communauté internationale. Et que je tenais à leur disposition un rapport concernant la constitution urgente d'un gouvernement provisoire.
Une initiative qui, non seulement pouvait transcender les blocages résultant des luttes de clans et de personnes, mais qui devait principalement créer la dynamique diplomatique et médiatique indispensable à une solution négociée avec la puissance coloniale.
Quant aux prolongements sur la situation actuelle, que dire sinon que l'Algérie n'en serait pas là, exsangue et dévastée, si Abane n'avait pas été assassiné par les siens et si Ben M'hidi n'avait pas été exécuté par les autres. En d'autres termes, si le principe du primat du politique sur le militaire avait été respecté.
Le congrès de la Soummam donne lieu à des lectures idéologiques contradictoires…
Aucune autre lecture idéologique ou partisane ne pouvait être faite de ce congrès. La plate-forme de la Soummam a été, je le répète, le premier pacte politique contractuel, donc fondé sur le respect du pluralisme et non pas sur un consensus populiste. Sauf qu'on n'empêchera pas les racontars d'aujourd'hui – à l'exemple des racontars d'hier – de tenter d'asservir l'histoire à des fins de légitimation et de propagande.
Vous avez connu Abane Ramdane. Pouvez-vous nous parler de l'individu, de l'homme qu'il fut ?
J'ai connu Ramdane au cours de cet été 1945, le plus chaud et le plus surréaliste. Il venait de Châteaudun – Chelghoum Laïd – où il travaillait comme secrétaire dans l'administration. Il était profondément marqué, malgré sa froideur apparente, par les répressions et la chasse à « l'arabe » qu'il avait vécues de très près.
Je préfère vous parler de l'homme avant de vous donner quelques repères sur son itinéraire. Quelques semaines avant de passer l'examen du baccalauréat 2ème partie au lycée de Blida, il avait sollicité de l'administration d'être dispensé des heures de gymnastique pour mieux se préparer aux examens, car, en plus au lieu de choisir entre le bac philo et le bac mathématiques, il tenait à se présenter aux deux examens.
La dispense lui ayant été refusée, il se mit en colère et alla se briser le bras contre un rempart de fer ou de marbre. Ce qui ne l'empêcha pas de bouder les exercices physiques pour mieux se préparer et réussir brillamment le double examen.
Autre anecdote sans commentaire: arrêté par la PRG, alors qu'il était le responsable de l'OS dans la région de Sétif, il n'avait pas fait le moindre aveu malgré toutes les formes de torture utilisées pour le faire parler.
Combien de fois il fut transféré d'une prison à une autre, à force de faire des grèves de la faim ou d'inciter les droits communs à l'agitation ou à la violence. Pour se débarrasser de Abane, les services pénitenciers d'Algérie durent l'envoyer en relégation dans le nord de la France. Quel tempérament !
Son identité, c'est ce qu'il a fait de lui-même dans les pires épreuves. Ceci dit, qui n'a pas de défaut ? Il était autoritaire et jacobin. Son franc-parler le desservait terriblement. Par contre, il savait aussi écouter et exécuter les décisions prises démocratiquement.
Quels commentaires vous inspire notre rapport à l'histoire ?
Pour les Algériens informés, le 20 Août 1956 est inséparable du 1er Novembre 54. Et par-dessus les déclarations officielles, par-dessus les rituels aussi insipides qu'hypocrites, ces deux dates de notre passé suscitent chaque année un engouement de plus en plus réconfortant au sein de notre jeunesse et de ses élites locales et régionales.
Et cela, en dépit du délabrement planifié de la mémoire historique et peut-être à cause de ce délabrement. Chez ces exclus, cette avidité naturelle ressemble fort à une volonté de réintégration et d'enracinement profond dans le présent et l'avenir de leur nation.
Ce ne sont pas les retours en arrière, à la recherche nostalgique de faits glorieux, qui les intéressent. Ils attendent de l'histoire, en tant que discipline, qu'elle leur livre des leçons et des enseignements. Leur rêve est de participer pleinement et efficacement à l'histoire comme dynamique populaire qui se construit dans les luttes quotidiennes pour une vie de liberté, de dignité et de justice pour tous et toutes.
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Rappel historique
On sait que l'insurrection algérienne a été déclenchée par les éléments du CRUA (Comité révolutionnaire pour l'unité et l'action) tous issus de l'OS (Organisation Spéciale) branche armée du PPA-MTLD, à la suite de l'éclatement de la direction de ce parti en deux factions: Comité central et Messali.
La direction de la Révolution passe alors aux «6» du CRUA qui sort au grand jour le 1er Novembre 1954 sous l'appellation du FLN (Front de libération nationale).
Le partage des responsabilités entre eux, après leur réunion du 23 octobre 1954 à Bologhine (ex-Saint-Eugène), s'était fait ainsi:
(Les zones seront remplacées par les wilayate après le Congrès de la Soummam).
Quant à Boudiaf, désigné par ses pairs «coordonnateur», il s'envole pour le Caire porteur de la Proclamation du 1er Novembre 1954 qui sera lue sur les ondes de Sawt-El-Arab, la Radio du Caire, dans la nuit du 31 octobre au 1er Novembre 1954 par Ben Bella.
Ben Bella, Aït Ahmed et Khider, établis dans la capitale égyptienne où ils représentaient la délégation extérieure du PPA-MTLD avaient entre-temps opté pour le CRUA et avec les «6» ils constituaient à «9» la première direction du FLN.
Avant de se séparer à Bologhine, les premiers s'étaient donnés rendez-vous au 12 janvier 1955 pour faire le point de la situation, malheureusement les événements surgis de la guerre ne leur ont pas permis de se rencontrer.
Didouche meurt le 12 janvier dans un combat face à l'ennemi.
Ben Boulaïd est arrêté le 12 février 1955 à la frontière tuniso-libyenne, en se rendant au Caire afin d'activer l'entrée des armes promises.
Boudiaf et Ben M'hidi se déplacent entre le Maroc et l'Egypte en vue de prospecter les armes et organiser leur acheminement en Algérie.
Abbane libéré le...janvier 1955, après 6 ans de détention, regagne son village natal, où il est rejoint par Krim et Ouamrane.
Bitat est arrêté le...mars 1955. Ouamrane lui succède à la tête de la zone 4 et confie, en accord avec Krim, la responsabilité d'Alger à Abbane.
Le PCA (Parti communiste algérien) a éclaté, à cause de sa composition mixte formée d'Européens et de Musulmans et de sa sujétion au PCF (Parti communiste français) allié au parti socialiste de la SFIO au sein du Front républicain qui votera la loi sur «les pouvoirs spéciaux» destinés à renforcer l'armée de répression en Algérie. Le PCA sortira discrédité aux yeux des masses algériennes.
Les messalistes sont majoritaires en France où une lutte sanglante et meurtrière est engagée entre leur parti: le MNA et le FLN, dont l'enjeu est l'émigration algérienne forte de 300 000 et d'où ils envoient fonds et instructions à leurs maquis, actifs en Kabylie, au Sud et à Alger-ville.
Mais le gros problème demeure la minorité européenne, forte d'un million d'habitants (sur 10) qui ont fait de l'Algérie une colonie de peuplement et où ils tiennent les leviers de commande. La Révolution grandissante inquiète ce bloc raciste et colonialiste qui commence à se fissurer. Des individus et des groupuscules appartenant aux trois confessions catholique, protestante et juive (catholique surtout), émus par les massacres des civils musulmans prennent position contre la répression. Cependant, la grande majorité fait confiance à l'armée et au gouvernement de Paris.
Sur le plan politique
En dehors des tracts et des communiqués paraissant occasionnellement, le FLN n'avait pas de journal pour s'affirmer sur le plan public, faire connaître ses positions politiques, relater les exploits de l'ALN, les massacres et tortures de la police et de l'armée françaises.
Il y avait un vide syndical dû à la faillite de la CGT (Confédération générale des travailleurs) d'obédience communiste.
Les étudiants et les quelques intellectuels qui avaient adhéré au Front posaient déjà des questions d'ordre idéologique: nature de l'Etat algérien indépendant, réforme agraire, problèmes sociaux, etc.
Abbane créa alors une commission dont le résultat se traduira dans le Projet de la «Plate-forme de la Soummam». Parallèlement se poursuivait grâce à un noyau de militants d'Alger l'encadrement de la population, dans une infrastructure spécifique: la zone autonome d'Alger avec deux volets politique et militaire.
Sur le plan militaire
Les maquis avaient fini par faire leur jonction. Cependant des conflits frontaliers éclataient à l'exemple de la zone 2 s'opposant à la base de l'Est pour le contrôle de la bande frontalière.
Dépassements, encadrement déficient, structures différentes d'une zone à l'autre caractérisaient l'ALN. Son extension dépendait étroitement de l'armement et les promesses faites à l'extérieur ne se réalisaient pas. Les armes manquaient terriblement. Ce fut la cause principale de l'arrestation de Ben Boulaid, et c'est pour armer les djounoud que Zighoud Youcef lança sa fameuse opération du 20 août 1955.
En France
En France l'Algérie est devenue la première préoccupation du gouvernement et de l'opinion publique.
En mars 1956, le Front républicain socialo-communiste a remporté les élections législatives et Guy Mollet, chef de la SFIO, est porté au pouvoir. Grâce aux «pouvoirs spéciaux» qui lui furent votés par la nouvelle assemblée, le gouvernement de gauche augmente le potentiel de son armée. De 200 000 hommes en 1956, l'effectif de cette dernière va s'élever à 400 000. En même temps, Guy Mollet lance son triptyque: cessez-le-feu, élections, négociations. Son idée était d'obtenir la reddition de l'ALN. Après quoi, il organiserait des élections en vue de dégager des «élus» avec lesquels il «négocierait». Un moyen d'imposer une solution militaire.
Pour le FLN, il n'y avait pas d'autres perspectives que la guerre.
Sur le plan international
A l'ONU, lors de la 10e session, les délégués arabes ont tenté d'inscrire la «question algérienne» à l'ordre du jour. Elle a été repoussée par la majorité acquise à la France et ses alliés.
L'attitude des gouvernements arabes, bien que favorable à l'Algérie, particulièrement de l'Egypte, est sujette à des fluctuations sous la pression de la France qui monnaie l'aide économique et financière. Le porte-parole du FLN à la radio Sawt el Arab, libre jusque là, est censuré. Le danger est grand de voir la Révolution algérienne instrumentalisée par Djamel Abd-Ennasser qui jouit d'un immense prestige auprès des masses arabes du Golfe à l'Atlantique.
Le colonel Fethi Dhib, chef des services spéciaux égyptiens, manœuvre dans ses rapports avec les membres de la délégation extérieure où il privilégie Ben Bella s'ingérant directement dans les affaires du groupe, créant animosité et disputes entre eux.
Un gros problème se posait à la direction du FLN partagée entre Alger et le Caire, celui des positions officielles devant tel ou tel événement, telle ou telle question pesant sur le cours de la Révolution: ainsi l'ouverture des négociations qui pouvaient ébranler la cohésion politique du FLN et semer la division, cette maladie mortelle des révolutions. Jusqu'ici, l'identité de formation des dirigeants issus tous du même parti: le PPA-MTLD, avait empêché l'éclatement. Mais le danger pouvait survenir devant les initiatives de la France.
Déjà des dissonances apparaissaient entre Abbane qui affirmait: «Pas de négociations sans la reconnaissance préalable par la France de l'indépendance algérienne», pendant que de son côté Khider au Caire parlait d'«Assemblée nationale constituante».
La France ne se privait pas d'exploiter ces contradictions. Et quand les journalistes posaient aux officiels français la question des «négociations», ceux-ci répondaient invariablement «Avec qui?», et parlaient de «fait national algérien», de «table ronde» destinée en réalité à noyer le FLN dans un magma de partis sans représentativité: MNA, PCA et autres formations et personnalités musulmans et européens.
S'il existait des commandements à l'échelle zonale, si au Caire la délégation extérieure assurait avec plus ou mois de bonheur la représentation du FLN, par contre il n'existait pas une direction centrale coordonnant les activités du FLN, politiques et militaires, nationales et internationales constituant une autorité en mesure de se poser en interlocuteur valable vis à vis de l'adversaire, porte-parole de la Révolution et du peuple algérien.
A un moment donné il fut question d'une direction de «12» membres: six de l'intérieur (Ben Boulaïd, Zighoud, Krim, Bitat, Abbane, Ouamrane) et six de l'extérieur (Ben M'hidi, Ben Bella, Aït Ahmed, Khider, Debbaghine, Boudiaf).
Un des sujets de discorde qui ne cessait de tendre les rapports entre Alger et Le Caire, c'était les éléments envoyés d'Alger pour représenter le FLN sur la scène internationale et qui étaient contestés par ceux du Caire: Ferhat Abbas, Tewfik El Madani, Kiouane.
Dans chaque lettre adressée au Caire, Abbane revient à la charge sur la question des armes où il parle de «carence». C'est pour tenter de régler tous ces problèmes politiques, militaires et autres et désigner la direction officielle du FLN absente de la scène politique depuis 2 ans qu'Abbane finit par prendre l'initiative de s'adresser aux chefs de maquis en vue d'une rencontre. Il avait déjà l'accord de Krim (Kabylie), Ouamrane (Algérois); il n'arrive pas à joindre Ben Boulaïd évadé de la prison de Constantine depuis novembre 1955. A Youcef Zighoud (Nord –Constantinois) il délègue Saâd Dahlab; et c'est ainsi que le futur négociateur d'Evian inaugure son activité diplomatique au FLN. Zighoud adhère pleinement à l'idée. Les éléments qui étaient à l'extérieur sont également touchés. Seul Ben M'hidi rentrera à Alger en mai 1956. Je ne connais pas exactement les motifs pour lesquels les membres de la délégation extérieure n'ont pas suivi l'exemple de Ben M'hidi. Ceux d'entre eux qui sont encore ne vie peuvent nous éclairer.
Le Congrès et ses décisions
Le Congrès se réunit, comme chacun sait, dans la maison forestière d'Ighbal, à Ifri, non loin d'Ighzer Amokrane, sur la rive gauche de la Soummam, à quelques kilomètres d'Akbou, le 20 août 1956.
Le procès-verbal de la première séance donne la liste des membres présents.
Les membres présents étaient:
Membres absents:
Les congressistes n'avaient pas la certitude absolue de la mort de Ben Boulaid, qui remontait à cinq mois, ce qui explique que son nom figure dans cette liste.
Comme on le voit, le Congrès se réduit à six membres. En dehors des séances, ceux-ci se retrouvaient chacun avec d'autres membres de sa zone: Ali Kafi et Mostefa Ben Aouda avec Zirout et Ben Tobbal, Saïd Mohammedi et Aït Hamouda Amirouche avec Krim (zone 3), Déhilès, Si M'hammed Bouguerra et Ali Mellah avec Ouamrane (zone 4). Chaque chef de zone présenta un état de la situation: effectif des moudjahidine, armement, état d'esprit des combattants et de la population.
Les décisions organiques
Les zones furent remplacées par six wilayate découpée chacune en zone (mintaka), secteurs (nahia), région (kisma), chacune d'entre elles dirigée par quatre membres selon le principe de la direction collective.
Le Conseil de wilaya comprenait un colonel politico-militaire assisté de trois commandants: militaire, politique, liaisons et renseignements. Le secteur sanitaire était rattaché au Conseil de wilaya.
Pour les unités, elles allaient depuis le demi-groupe composé de 4 hommes commandés par un caporal jusqu'au bataillon de 350 hommes commandés par un colonel. Allergiques au culte de la personnalité qu'ils venaient de vivre récemment dans le conflit Messali-Comité central, les congressistes décidèrent qu'il n'y aura pas de grade de «général» jusqu'à la libération.
A la tête de chaque douar fut désignée l'assemblée du peuple de 4 membres avec un Président s'occupant de l'état-civil, de la justice, des finances, du ravitaillement et de la police. En réalité cette infrastructure subira des transformations au cours de la guerre mais le cadre général sera maintenu.
Le problème crucial de l'armement revenait sans cesse dans les débats, et le bilan de la délégation extérieure à ce sujet fut jugé négatif. Le congrès se résolut à la seule décision révolutionnaire: prendre les armes là où elles sont, c'est à dire chez l'ennemi.
CNRA et CCE
Le Congrès procéda à la désignation des organes de direction: CNRA (Conseil national de la Révolution algérienne) et le CCE (Comité de coordination et d'exécution). Le CNRA, parlement du FLN, joue le rôle de direction suprême du mouvement. Il prend des décisions d'orientation politique, militaire, économique et sociale, en même temps que celle d'une assemblée législative, symbole de la souveraineté nationale. Il désigne l'exécutif: CCE. Il engage des négociations avec l'adversaire, se prononce sur la guerre et la paix.
Le CNRA, désigné par le Congrès de la Soummam se composait de 34 membres: 17 titulaires et 17 suppléants:
Membres titulaires Membres suppléants:
1 – Mostefa Ben Boulaïd – L'adjoint de Ben Boulaïd
2 – Youcef Zirout – Lakhdar Ben Tobbal
3 – Belkacem Krim – Saïd Mohammedi
4 – Amar Ouamrane – Slimane Dhiles
5 – Med Larbi Ben M'hidi – Abdelhafid Boussouf
6 – Rabah Bitat – Ali Mellah
7 – Mohammed Boudiaf – Saâd Dahlab
8 – Ramdane Abbane – Salah Louanchi
9 – Ahmed Ben Bella -Mohammed Ben Yahia
10 – Mohammed Khider – Abdelhamid Mehri
11 – Hocine Aït Ahmed – Tayeb Thaalibi
12 – Med Lamine Debbaghine – Mohammed Lebdjaoui
13 – Idir Aïssat – Ahmed Francis
14 – Ferhat Abbas – UGTA à désigner par le CCE
15 – M'hamed Yazid – Aïssa ...
16 – Benyoucef Ben Khedda
17 – Ahmed Tewfik El Madani
Si l'on examine la liste du CNRA, titulaires et suppléants, 34 membres, elle est composée des:
Les éléments du PPA-MTLD sont nettement majoritaires. Les membres appartiennent à différents milieux: paysans, intellectuels, étudiants, syndicalistes, islamistes, image de l'Union nationale réalisée en pleine guerre. Le parti communiste algérien a été écarté ayant refusé de se dissoudre comme les autres partis.
L'ALN fut uniformisée dans sa structure et sa hiérarchie. Sur le plan de la justice, aucun officier, quel que soit son grade, n'a le droit de prononcer une condamnation à mort. Des tribunaux furent crées à l'échelle secteur et zone pour juger civils et militaires. L'accusé avait le droit de choisir sa défense. Egorgement et mutilation de cadavres étaient formellement interdits, de même que l'exécution de prisonniers de guerre (précautions de principes qui malheureusement seront souvent violées).
La plate-forme de la Soummam
La plate-forme de la Soummam analyse la situation politique 20 mois après le déclenchement de l'insurrection, fixe les objectifs à atteindre et les moyens d'y parvenir. En outre, elle pose le problème des négociations et les conditions de cessez-le-feu qui serviront de base, cinq ans plus tard, aux négociations d'Evian:
Face à la propagande de la France qui accusait le FLN d'être au service d'une puissance étrangère, la Plate-forme de la Soummam définit ainsi la Révolution: «La Révolution algérienne est un combat patriotique dont la base est incontestablement de caractère national, politique et social. Elle n'est inféodée ni au Caire, ni à Londres, ni à Moscou, ni a Washington». L'allusion au «Caire» déplut fortement à Abd-Ennasser qui voulait se faire passer pour le «tuteur de la Révolution algérienne».
Certes il n'y a pas eu de doctrine mais un effort pour combler le vide idéologique et politique existant: ce n'était qu'une plate-forme: Elle ne pouvait que fixer les objectifs stratégiques de la guerre et les moyens d'y parvenir, notamment les conditions du cessez-le-feu. Son mérite aura été d'avoir fourni aux militants et aux cadres du FLN, à l'extérieur comme à l'intérieur, des repères d'orientation clairs et fermes pour la poursuite du combat.
Le principe de la nation algérienne, partie intégrante du Maghreb arabe, fut solennellement proclamé.
Vis à vis de la minorité européenne et juive le droit d'opter pour la nationalité algérienne est reconnu à titre individuel et sur demande de l'intéressé.
Ce qui a honoré la Révolution algérienne, c'est qu'il n'y a jamais eu de pogrom anti juif. Le boycott des commerçants juifs fomenté par des provocations fur étouffé dans l'œuf par le FLN dès 1956. Pas de profanation de synagogues, ni d'églises au cours des 7 années et demi de guerre, malgré la participation active d'éléments juifs et chrétiens à la répression.
La Plate-forme de la Soummam a fait connaître au monde le visage d'une Algérie luttant pour une cause juste, dépourvue de chauvinisme et de haine raciale, ouverte à tous ses habitants, y compris aux non-musulmans, tournée vers l'avenir.
On a reproché au Congrès de la Soummam de n'avoir pas approfondi l'idéologie de la Plate-Forme, notamment son côté social. Le problème qui se posait alors n'était pas d'ordre idéologique mais une question de survie pour le peuple algérien; le problème était: «colonialisme» ou «indépendance».
On a reproché aussi au Congrès de ne pas s'être prononcé pour le «socialisme». Le problème n'était pas dans l'alternative «colonialisme» ou «socialisme» mais encore une fois dans l'alternative «colonialisme» ou «indépendance».
Des islamistes, aujourd'hui, ont reproché de leur côté au Congrès de ne pas s'être prononcé pour «Etat islamique». S'il en avait été ainsi, le Congrès se serait séparé entre pro-islamiques et anti-islamiques, entraînant l'éclatement du FLN, pour la plus grande joie du colonialisme, les armes se seraient retournées entre frères ennemis.
Les insuffisances du Congrès
Il y a eu d'abord les absences: celle de la wilaya des Aurès-Némencha et celle du chef de la base de l'Est, Amar Bouglez. Le conflit opposant ce dernier à la wilaya 2 pour le contrôle de cette route des armes va s'en trouver aggravé.
Boussouf, l'adjoint de Ben M'hidi à la tête de la wilaya 5 et pratiquement le chef, contesta les décisions du Congrès et reproche à Ben M'hidi d'avoir engagé la wilaya pour des questions «engageant l'avenir du pays», alors qu'il aurait été délégué pour «des questions d'ordre organique et de coordination».
Pour Boudiaf, le Congrès de la Soummam fut un véritable «magma». Ben Bella contestera la présence de «certaines personnalités» au CNRA («centralistes», UDMA, les oulama), la primauté de l'intérieur sur l'extérieur et la primauté du politique sur le militaire. Cet avis fut partagé par Mahsas.
Le point de la situation militaire ne fut pas fait. L'on se contenta de dresser le bilan de chaque wilaya en armes, hommes, finances sans tenter d'évaluer l'ensemble des forces en présence, algérienne et françaises, d'étudier le problème de la guérilla et son évolution. Certes, la force de l'ALN c'était la connaissance du terrain, les unités légères, la mobilité, l'appui de la population, mais il n'y avait pas une stratégie pour la simple raison qu'il n'y avait pas encore de commandement militaire unifié. La grande préoccupation des maquisards et du Congrès était de se procurer des armes et d'étendre le conflit à tout le territoire. On était à la veille d'une guerre d'extermination. L'élaboration d'une stratégie militaire dans ces conditions était une impossibilité; les congressistes n'avaient pas une claire vision des étapes à parcourir.
On ne pouvait exiger de ces maquisards poursuivis à mort par l'armada française et la multitude de ses services de renseignement et d'espionnage, d'accomplir des prouesses. Leur mérite a été de se réunir en pleine guerre, au milieu de mille dangers, et d'avoir fondé une légalité révolutionnaire qui durera jusqu'à l'indépendance. Le Congrès a doté la Révolution d'une autorité nationale: le CNRA et d'un organe d'exécution: le CCE; il a tranché le conflit intérieur-extérieur par deux décisions capitales:
Deux décisions qui furent reprochées par les membres de la délégation extérieure au Congrès et à Abbane et qui continuent, jusqu'à maintenant à alimenter les polémiques chez les moudjahidine et dans la classe politique.
Et là, il nous faut nous étendre un peu plus sur la personnalité de Abbane et l'œuvre qu'il a accomplie dans la Révolution. En plus du rôle d'architecte du Congrès de la Soummam, il a été le coordinateur du CCE et le bâtisseur de la zone autonome d'Alger, véritable maquis urbain, qui a été entre 1956 et 1957 la capitale de l'Algérie en guerre.
Le personnage de Abbane
Comme tous les grands personnages de l'histoire Abbane a eu ses détracteurs, traité tantôt de «régionaliste», tantôt d'ennemi de l'arabo-islamisme, d' «autoritariste», voire par certains d' «agent de l' «ennemi», de «traître».
Régionaliste Abbane?
Au cours de son itinéraire de militant, que cela soit au PPA-MTLD où il a été membre du Comité central après avoir été chef de wilaya, que cela soit au FLN dont il a dirigé les destinées, il a toujours fait preuve de nationalisme et de patriotisme, condamnant sévèrement toute tentative de division ethnique ou régionale, défendant la ligne officielle arabo-islamique de ces deux formations d'un même parti.
Abbane était laïc et n'éprouvait aucun complexe devant qui que ce soit, très respectueux envers les croyances de ses frères connus pour leur piété musulmane. Ce qui lui importait avant tout, c'était l'unité de tous les Algériens sans distinction, qui seule pouvait libérer l'Algérie de la domination coloniale. Si la victoire de l'indépendance a été possible c'est grâce précisément à cette unité du peuple qui a opposé un front uni à l'adversaire.
S'il a insisté avec vigueur, lui et le Congrès sur le principe de la primauté de l'intérieur sur l'extérieur, c'était par crainte de voir la Révolution algérienne instrumentalisée par des puissances étrangères, même frères.
Autoritarisme?
Quel chef, en pleine guerre, ne s'est pas comporté, plus ou moins, en autoritaire? Mais Abbane savait écouter, discuter, réfuter, lorsqu'il n'était pas convaincu. Il était très perméable aux idées et ouvert aux suggestions et aux propositions qui lui étaient faites.
Quant à ceux qui l'ont traité d' «agent de l'ennemi», voire de «traître», et lorsque ces accusations viennent d'un haut responsable de la Révolution, qui a eu à gérer les charges de l'Etat, cela est grave. C'est toute la confiance dans la Révolution qui est ébranlée, le discrédit auprès des jeunes qui risquent de s'en détourner, surtout que ce personnage dans son livre, en dehors d'une conversation rapportée par lui, Abbane lui aurait proposé de faire partie d'un complot contre la direction du FL N; à l'appui de ce qu'il avance, aucun témoin n'est cité, aucun écrit n'est produit, seule une lettre d'un chef de wilaya mettant en cause Abbane et l'accusant d'avoir semé la division entre combattants.
Est-ce faire preuve de «division» que de défendre des idées qui n'emportent pas l'assentiment de tous?
Les idées de Abbane sur la primauté du politique sur le militaire sont connues. L'histoire ne lui a-t-elle pas donné raison pour la période antérieure à 1962 comme pour celle qui lui a succédé?
Cependant, quelles que soient ses qualités, Abbane ne doit pas faire l'objet d'un culte lorsqu'on voit ses admirateurs lui ériger une statue, on risque là de tomber dans le culte de la personnalité contraire à nos traditions et à nos valeurs islamiques.
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Par Aït Benali Boubekeur
En dépit de son importance et de sa portée capitale, le congrès de la Soummam scinde le mouvement révolutionnaire en deux groupes : antagoniste et protagoniste. Bien que les architectes du congrès, Abane Ramdane et Larbi Ben Mhidi, n'aient pas pour objectif de diriger leur action contre leurs frères d'armes, les opposants aux résolutions de la Soummam, dont la tête d'affiche est Ahmed Ben Bella, les combattent sans vergogne.
Cependant, sans vouloir déterminer la responsabilité d'un tel ou tel groupe dans cette lutte fratricide, une question s'impose : est-ce que la lutte armée peut se poursuivre indéfiniment sans qu'il y ait une plateforme qui définisse ses buts et les contours du futur Etat? Ainsi, avant de critiquer ou de soutenir les résolutions de la Soummam, c'est immanquablement la question qui ne peut pas échapper à l'examen.
De toute évidence, que ce soit à la Soummam ou ailleurs –cette rencontre est initialement prévue le 30 juillet 1956 dans la région constantinoise –, une rencontre nationale s'impose. D'ailleurs, les initiateurs de la lutte armée n'ont-ils pas programmé, lors de leur dernière rencontre, le 23 octobre 1954, une réunion de bilan dans les trois mois suivant le déclenchement de la lutte armée ?
Désigné coordinateur national, cette tâche échoit à Mohammed Boudiaf. Hélas, pour faire face au problème d'approvisionnement des maquis en armement, ce dernier se joint à la délégation extérieure, formée au départ de Hocine Ait Ahmed, Ahmed Ben Bella et Mohammed Khidder.
Cela dit, faut-il soumettre l'organisation des maquis de l'Intérieur à la participation de la délégation extérieure ? La réponse est évidemment non. Car, s'il y a une urgence, c'est indubitablement celle qui consiste à doter la révolution des organismes dignes de ses objectifs, à savoir la refondation de la nation algérienne.
De façon générale, bien que les allumeurs de la mèche aient pris de court les autorités coloniales, celles-ci ne tardent pas à porter des coups terribles à la révolution. En cinq mois, trois sur cinq des chefs historiques de l'Intérieur sont neutralisés. Il s'agit de Didouche Mourad, assassiné le 18 janvier 1955, de Mostafa Ben Boulaid, arrêté le 12 février 1955, et de Rabat Bitat, arrêté le 16 mars195.
En tout cas, c'est dans ce climat alambiqué qu'Abane Ramdane hérite de la mission de réorganiser la révolution algérienne. Epaulé par Larbi Ben Mhidi –après son passage au Caire au début de l'année 1955, Ben Mhidi a acquis la conviction que l'avenir de la révolution se jouait à l'Intérieur –, Abane Ramdane se donne pour mission de rassembler tous les courants politiques nationaux et doter la révolution de structures adéquates.
Quoi qu'il en soit, pour parvenir à ce résultat, le duo Abane-Ben Mhidi abat un travail colossal. Ainsi, pour la première fois de l'histoire de l'Algérie, la totalité ou peu s'en faut des courants politiques –l'UDMA de Ferhat Abbas, les Oulémas de Bachir El Ibrahimi et les centralistes –forment un seul pole politique sous l'égide du FLN historique.
En un mot, d'une simple révolte –en avril 1953, les activistes étaient minoritaires à tel point que même leur parti, le MTLD, leur refusait le droit de participer au congrès du parti –, « le congrès de la Soummam a fait une révolution », écrit Mabrouk Belhocine, dans « le courrier Alger-Le Caire 1954-1956 ». Et ce n'est pas par hasard que Hocine Ait Ahmed qualifie ce congrès d'une seconde naissance de la révolution, après celle du 1er novembre 1954.
Néanmoins, malgré la mise en place des organismes dirigeants à la Soummam, en l'occurrence le CCE (comité de coordination et d'exécution) qui deviendra en septembre 1958 le GPRA (gouvernement provisoire de la République algérienne) et le CNRA (conseil national de la révolution algérienne), l'absence de la délégation extérieure au congrès hypothèque les chances de bâtir un Etat moderne. En d'autres termes, cette opposition va annoncer les contours du futur Etat : la suprématie des hommes sur les institutions.
Agissant individuellement de sa cellule à la prison de la « Santé », Ahmed Ben Bella remet en cause les résolutions du congrès, sous prétexte que le texte final ne met pas en exergue le rôle de l'Egypte et n'évoque aucune référence islamique des futures institutions de l'Etat. Mettant ses collègues dans l'embarras, seul Hocine Ait Ahmed se démarque et se prononce sans ambages en faveur des résolutions soummamiennes. « Les divergences entre nous (délégation extérieure) et Alger (le groupe piloté par le duo Abane-Ben Mhidi) ne sont pas essentiels. Ben Bella et Boudiaf contestent surtout les structures... Moi, je donnais mon soutien aux décisions du congrès. Elles correspondent à un besoin ressenti par tous », témoigne le dernier chef historique encore en vie.
Encore une fois, il ne s'agit pas de contester à Ben Bella le droit de s'opposer aux résolutions de la Soummam. Mais, la question à laquelle aucun détracteur de la Soummam n'a pas répondu est la suivante : après le report sine die de la rencontre de bilan de fin janvier 1955, pourquoi les opposants ne se sont pas manifestés ? Pourquoi ils n'ont rien fait pour rétablir le contact entre les zones –le terme wilaya est apparu après le congrès de la Soummam – ?
Car, « avant le congrès historique du 20 août 1956, chaque wilaya vivait renfermée sur elle-même et volait de ses propres ailes... Il était possible d'avoir six politiques différentes, six stratégies différentes, six tactiques différentes et aussi six peuples différents, comme il existait six wilayas différentes », déclare Lakhdar Bentobbal lors de la réunion des cadres, tenue au Maroc, le 5 février 1960. Hélas, après avoir dénoncé le pouvoir personnel de Messali Hadj, certains ne rêvent que de le remplacer. D'ailleurs, en 1962, Ben Bella va proclamer la naissance du bureau politique en dehors des institutions de la révolution.
Pour conclure, il va de soi que le congrès réunificateur s'impose après les événements de novembre 1954. En effet, dès lors qu'un appel est lancé au peuple algérien et autres formations politiques, la plateforme des activistes –la troisième tendance du PPA-MTLD –est de fait dépassée. En outre, si la France avait accepté de négocier avant l'adoption de la plateforme de la Soummam, qui aurait pu prétendre parler au nom de tout le peuple ? Enfin, au nom de quel droit et de quel principe révolutionnaire un initiateur d'un projet devient-il le représentant de tout un peuple ? En tout état de cause, c'est à l'ensemble de ces questions que le congrès de la Soummam a répondu en créant un organe exécutif, le CCE, et un organe législatif, le CNRA. En 1962, lors des négociations avec la France, c'est ce dernier qui avalisera les accords en réunissant les 4/5 de ses membres. Comme quoi, même si les détracteurs rejetaient ses résolutions, ils n'avaient pas une autre alternative à proposer.
Ait Benali Boubekeur


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