Mi-Juillet 2015: Vol Mulhouse-Alger par Aigle-Azur: Seulement trois altercations à relever. D'abord à l'embarquement à Mulhouse. On annonce que les titulaires de cartes d'embarquement avec inscription « 1 » embarquent en premier, car leurs sièges sont à l'arrière de l'avion. Cela n'empêche pas de nombreux passagers disposant de l'inscription « 2 » et « 3 » de demeurer imperturbables à l'avant de la file et bloquer ainsi l'embarquement. Altercation entre un passager « 1 » et une passagère « 2 ». Les esprits s'échauffent. L'homme lance un mot de travers. La dame l'insulte copieusement, et ce n'est pas franchement du Baudelaire qu'elle propose. Elle recommande même au bonhomme de rompre son jeûne pour se calmer...la maternité de Constantine qui se moque du Val-de-Grâce...Altercation 2 : l'avion a à peine atterri que des passagers se mettent debout pour saisir leurs bagages, nouvelle prise de bec entre un passager impatient et un autre qui lui rappelle les principes de civilité. Altercation 3 devant la PAF: un monsieur s'en prend à une famille avec bébé car elle « n'a pas respecté la chaine ». Et pourtant un signe indique bien qu'un guichet est spécialement réservé pour les familles avec enfants... Courtoisie es-tu là ? Quelques jours après l'Aïd, virée à Bousmaïl, sur la côte à l'ouest d'Alger: Sur le bitume abondement bosselé que quelques-uns persistent à appeler « autoroute », on roule à 80 km/h. Soudain, on aperçoit une camionnette au ralenti à 10-20 km/h. Je freine sec et arrive à éviter le contact. Quand le trafic le permet, je dépasse la camionnette sur la gauche et proteste gentiment. Le jeune conducteur me fait signe qu'il ne comprend pas pourquoi je proteste, l'air de dire : « qui veut aller loin ménage sa monture...». Le saviez-vous ? Il y a des fous du volant qui roulent à moins de 20 km/h. A l'entrée de Bousmaïl, de jeunes marchands vendent des fruits et légumes de part et d'autre de la route. Un écriteau en arabe style Al-Jazeera attire mon attention : « جديدة بطاطا : عاجل خبر » (Nouvelle urgente : patates fraiches) ». Les algériens modestes ne manquent pas d'humour... Vers le 20 Juillet : la presse se fait l'écho de coups de feu autour de la résidence de Bouteflika à Zeralda. Des généraux sont virés dans la foulée. Personne ne les pleure, sauf une certaine presse dressée pour pareilles circonstances. Comble de l'absurde et du ridicule: la famille d'un général dégommé prend la défense de ce dernier par voie d'un communiqué de presse. Aux USA ils ont la « Première Famille », en Algérie nous avons la « Famille du Général». Nous en avons même quelques 300. Que s'est-il passé à Zeralda ? Il y a presque autant de versions que d'algériens. Un coup d'état qui a foiré faute de conspirateurs? Un faux attentat pour régler des comptes? Des jeunes soulards qui auraient escaladé les murs de la résidence présidentielle pour aller réclamer à Bouteflika une baisse des taxes sur l'alcool ? Une réunion entre brigands sur le partage de la rente qui aurait mal tourné? Faites vos jeux, rien ne va plus au sein du pouvoir nauséabond. Remaniement ministériel : le plus zélé panégyriste de Bouteflika, Amara Benyounes, est débarqué sans gloire. Aubaine pour les caricaturistes qui sont unanimes à relever que Bouteflika ne gouverne pas seulement avec la tête comme nous l'assurait Benyounes, mais aussi avec le pied... La baisse du prix de pétrole : 110 dollars en 2014, 40 aujourd'hui. Tout le monde en parle. Fait très marquant : la totalité des gens rencontrés souhaite de tout cœur que le baril atteigne un seuil encore plus bas, 15 dollars si possible, comme au milieu des années 90 ! Partout la même rengaine : Le baril à 120 dollars n'a profité qu'aux voleurs du pouvoir, tels Chakib, Saïd, Ghoul, Saïdani, et bien sûr à la caste des généraux. Alors oui, que le satané pétrole descende plus bas que l'eau du robinet ! Y-a-t-il condamnation plus forte du pouvoir crapuleux? Autre cas d'unanimité : je n'ai rencontré personne qui défende la construction de la Grande Mosquée à 3 milliards de dollars. Là aussi, la même litanie : honte à Bouteflika de n'avoir pas construit à la place des hôpitaux, des universités, des infrastructures de sport et de loisir pour les jeunes, etc. La Mosquée de Bouteflika aura le même sort que celle de Hassan-II, à savoir la désertion des fidèles, car elle n'aura pas été construite pour la gloire de Dieu mais pour celle d'un homme. Lors d'une soirée de fête de mariage, un cousin d'Oran me raconte des histoires à dormir debout. Les gendarmes ont récemment arrêté un policier oranais qui arrondissait ses fins de mois en louant la nuit son pistolet déchargé à des malfrats qui s'en servaient pour des braquages nocturnes. La police au service du citoyen braqueur. Une autre ? A quoi servent les paraboles volées ? Les voyous d'Oran les utilisent comme boucliers lors de batailles au sabre entre quartiers...l'inventeur de la parabole a-t-il jamais pensé à une utilisation pareille ? Pas certain.... Lors de la même soirée, un pilote d'Air Algérie, proche de la retraite et connu pour sa droiture, raconte que récemment, avant le départ d'un vol vers l'étranger, le steward est venu le voir dans la cabine de pilotage avec un message d'une extrême urgence : le fils de Saïdani, accompagné du fils d'un ministre, demande au pilote de les transférer en première classe. Le pilote ordonne au steward de mettre la paire de voyous au fin fond de l'appareil ! Bravo commandant ! Le retour approche. Je vais au marché Ali Mellah pour faire des courses. Je m'arrête en premier devant le marchant de dattes, achète pour 13 kg de la magnifique Deglet Nour. Je dis au marchand de bien paqueter le tout, et que je passerai prendre ma commande une fois mes autres courses achevées. Quelques minutes plus tard, un homme m'apostrophe discrètement pour me dire que le marchand a ajouté une quantité de vieilles dattes. J'hésite sur la marche à suivre. Je discute avec ma femme et nous nous persuadons tant bien que mal qu'il pourrait bien s'agir d'un règlement de compte entre marchants concurrents. Je passe récupérer mes paquets de dattes sans faire de vagues. Après le voyage, j'ouvre les paquets et découvre que l'homme qui m'a alerté avait raison. Ce n'est pas l'arnaque du siècle – quelques 2 kg de vieilles dattes ajoutées- mais le geste écœure...Il semble que quelques-uns dans la société ont adopté les mœurs des gens du pouvoir: s'ils peuvent, par roublardise, traitrise, ou mensonge soulager le citoyen d'un dinar de plus, ils le feraient sans états d'âmes. Le fils de Saïdani n'a surement pas payé son billet en classe économique, mais malgré cela, et malgré les milliards que son père a volés, il ne rechigne pas devant la possibilité de voyager gratos en première classe… Il n'est pas bienséant de s'en prendre au physique des gens, mais force est de constater que parfois, ce qui est à l'intérieur d'une personne se transmet naturellement à son visage, comme par capillarité. A ce propos, une connaissance d'El-Bayadh me dit que là-bas, on dit du visage de Saïdani que c'est un « bouqradj darbouh b'coup de pied....». On notera qu'au Sud, tout a un lien avec le thé... Vers la fin Juillet : Mme Benghabrit, toujours monolingue après 53 ans d'indépendance, se propose d'enseigner à nos enfants en derja. Chez les laïco-francophiles, les hourras pleuvent. Normal chriki ! Chez les baathistes, on crie à la trahison. Ya waddi matetnirvawsh comme on dit en « arabe » ! Au fait, quelle derja veulent-ils apprendre à nos gosses? Voici un petit extrait qui date d'un siècle et dont on pourrait s'inspirer. L'auteur n'en est autre que le « sheikh » Kaddour Benghabrit, le grand-père de la ministre de Bouteflika. Il haranguait en ces termes les pauvres soldats maghrébins allant à l'abattoir de Verdun: « يا اولاد ادزاير، يا اولاد ماروك، جيت لكم توّه من عند الشيخ موسيو كليمونصو عليه السلام، قال لي ما يحب إلا أولاد الدزاير وولاد مروك. والليلة يطلب ليكم الكسكوس باللحم، ويزيدلكم الكاردوفان (ربع ليتر من الخمر) بقرعة كبيرة، وفي الصباح يحب يشوفكم في الفرون (الجبهة) باش تحاربو الالمان، وتنحّيوا لهم دين والدين بوهم، ويلعن والدين بوهم. كولو آمين ». (د. محمد أمطاط. الجزائريون في المغرب. ص 170) Mon frère va rendre visite à son ami qui habite dans un haut immeuble classé au patrimoine universel car disposant d'un ascenseur en état de marche. Avant d'arriver sur place, l'ami téléphone à mon frère pour lui dire de ne pas s'étonner de voir un jeune africain « conduire » l'ascenseur. En effet, les habitants de l'immeuble ont « embauché » le jeune homme afin d'empêcher les enfants de saccager l'ascenseur. Mon frère est instruit de glisser 10 DA au jeune homme, c'est le tarif de la « course ». Je me mets à la place du « conducteur d'ascenseur » : il y a pire comme métier en effet, mais quand même ! N'aurait-il pas été plus judicieux aux habitant de cet immeuble huppé d'apprendre à leurs enfants dès le bas âge qu'il n'est « pas bien » de saccager un ascenseur, jeter des papiers, des chewing-gums ou des bouteilles dans la rue, cracher par terre, écrire sur les murs... Un rituel : dès le coucher du soleil, des feux d'artifice sont lancés un peu partout dans le ciel d'Alger. Le manège dure des fois jusque tard dans la nuit. Que fête-t-on en cette fin de Juillet ? Pourquoi ce gaspillage bête et méchant? N'empêche, les explosions sont très désagréables, mais les forces de l'ordre ne se soucient guère de cette activité malsaine. Tant pis pour les couche-tôt, les malades, les bébés... Une pensée me traverse l'esprit à la vue du JT stalinien qui nous présente les images d'un « conseil des ministres ». Quand l'histoire jugera les hommes et femmes politiques du pouvoir actuel, et singulièrement les centaines de ministres qui ont défilé ces dernières années, elle retiendra en priorité contre eux le crime de l'imposture et du parjure. Il se peut que certains ministres n'aient jamais touché, et ne toucheront jamais à l'argent public. Cependant, nous pouvons dire avec une certitude absolue que tous les ministres, sans exception, sont des menteurs et des « زور شهود ». En participant en toute connaissance de cause à des « conseils des ministres » factices, où un vieillard lourdement handicapé fait semblant d'officier alors qu'il en est strictement incapable, les ministres sont en effet coupables de tromperie et de trahison envers le pays. N'y-a-il pas un homme ou une femme parmi eux pour se lever et dire : « M. le Président, au nom du sang des martyrs, au nom des générations présentes et futures, arrêtons cette sinistre comédie ! Vous êtes extrêmement malade, vous êtes incapable de bouger ou de parler, et encore moins de gouverner, partez vous soigner et vous reposer, et laissez le pays à plus apte que vous »....Non, dans tout le personnel politique du pouvoir, il n'y a malheureusement pas un seul homme, pas une seule femme capable de dire la « vérité » au peuple au moins une fois. Ô rage ! Ô désespoir ! Dernière image du pays en cet été 2015: sur le tarmac de l'aéroport d'Alger, un majestueux Boeing -777 tout neuf, aux couleurs du Qatar. A côté de cet aigle des airs, les petits Boeing-737 usés d'Air Algérie font figure de « maqnine » qu'on aurait trempé dans de l'eau glacée. Oui, les Sheikh du Golf ont les moyens de chouchouter leurs citoyens. Mais qu'en est-il du Maroc voisin, qui vient d'acquérir des Boeing-787 Dreamliner, dont l'un a déjà commencé à faire la liaison Casa-Alger ? Pourquoi n'avons-nous pas acheté d'avions spacieux pour transporter les algériens dignement ? Pourtant nous avons beaucoup de destinations qui sont parmi les plus rentables au monde. Nous avons bien un Airbus-340 flambant neuf qui pourrait rivaliser avec les Boeing 777 ou 787, mais c'est un avion interdit aux algériens. C'est l'avion présidentiel. Il est garé quelque part, faute de président à transporter. Il est à l'image de cette Algérie de Juillet 2015 : un pays garé quelque part, en attendant un président qui peut...présider, et un gouvernement qui peut gouverner.