Maroc / mardi 30 septembre par Isidore Chambouletout L'oncle du roi Mohammed VI a grièvement blessé par balles un policier qui voulait lui infliger une contravention pour avoir grillé un feu rouge. L'indignation gronde au royaume enchanté du Maroc mais la justice passera-t-elle sur un membre de la famille royale ? On a la gâchette facile dans la famille royale marocaine. C'était le cas du roi Hassan II lorsqu'il s'agissait de chasser le gros gibier et c'est celui de son beau frère quand un agent de la circulation veut le verbaliser. Hassan Yacoubi, époux de la princesse Lalla Aïcha et oncle du roi Mohammed VI, a tiré à bout portant et à balles réelles le 9 septembre au soir sur Tarik Moubhib, 31 ans, qui réglait la circulation à un carrefour du quartier d'Anfa, à Casablanca, la capitale économique du Maroc. Le policier a été grièvement blessé à la jambe. Plombé pour un feu rouge A l'origine de cette colère de Hassan Yacoubi ? Tarik Moubhib voulait tout simplement appliquer la loi en lui collant un PV pour avoir grillé un feu rouge avec son rutilant 4×4 Infinity noir. L'agent ignorait, bien entendu, à qui il avait affaire. Sinon, comme il est hélas de coutume au Maroc, il aurait salué le personnage royal d'une courbette en lui souhaitant bonne route. Mais là, même pas le temps de se confondre en salamaleks ! « Tu n'es qu'un moustique et tu oses me demander mes papiers », a attaqué d'emblée Yacoubi. « Je suis ton maître et seigneur ! » Le pauvre agent de la circulation n'en menait déjà pas large quand l'oncle de Mohammed VI lui a demandé sans même attendre une réponse : « crois tu être le seul à avoir une arme ? Moi aussi j'en ai une, espèce d'insecte ». Puis, il a plongé la main dans sa boîte à gants avant d'en sortir un revolver et de tirer à bout portant sur le policier qui s'est écroulé. Ce dernier a rapidement été évacué en ambulance pendant que Yacoubi s'est retranché dans son véhicule encerclé par une foule de témoins et de badauds indignés par la scène. Paradoxalement, c'est la flicaille encadrée par le préfet de Casablanca qui a sorti le personnage royal de cette situation inédite. Les policiers l'ont même conduit au commissariat dans son propre 4X4 pour lui épargner le panier à salade… L'oncle du roi est maboule, vive l'oncle du roi Fait exceptionnel pour un Maroc où la famille royale jouit de tous les privilèges possibles et imaginables, la très officielle agence de presse MAP a pondu une dépêche trois heures après l'accident. Elle y raconte qu'un dénommé Yacoubi, sans préciser son lien de parenté avec le roi, a tiré sur un agent de la circulation le blessant légèrement (qu'importe si trois semaines plus tard, le pauvre homme est toujours à l'hôpital). La MAP précise en outre que l'agresseur « souffre depuis plusieurs années de la maladie de Korsakoff qui provoque une grave dégénérescence mentale ». Le tonton flingueur a donc « suivi plusieurs traitements psychiatriques depuis cinq ans. (…) Depuis 1995 il avait un permis de port d'armes qui lui a été immédiatement retiré ». Voilà pour la prose officielle. De façon tout aussi exceptionnelle, la presse marocaine indépendante ne s'est pas privée de raconter l'évènement et de s'indigner que pareil cuistre jouisse d'un permis de port d'armes malgré sa « maladie » mentale. « La belle astuce ! » s'est même exclamé le quotidien marocain Le Soir Echos, sceptique sur la maladie de Korsakoff dont est sensé souffrir l'oncle de Mohammed VI. Causée notamment par un alcoolisme chronique, elle peut provoquer de l'amnésie, des troubles sensoriels ou moteurs voire des états de grande confusion, mais certainement pas de l'agressivité. Ce qui met toutefois le plus en fureur certains journalistes, comme les organisations de défense des droits de l'homme, est que, trois semaines après l'accident, le procureur du roi a certes ouvert une enquête mais n'a toujours pas inculpé Yacoubi. Il s'est, en revanche, dépêché de l'envoyer dans un asile psychiatrique mais la rumeur qui cavale dans les rédactions marocaines veut que le malade est déjà rentré à la maison. Dans le même registre moyenâgeux, la Direction Générale de la Sureté Nationale (DGSN), dont dépend le malheureux agent, n'a pas défendu son policier. Surveillé en permanence dans sa chambre d'hôpital par des collègues, qui empêchent de rentrer certains membres de sa famille, Mouhib a été joint au téléphone, la semaine dernière, par un journaliste de l'hebdomadaire marocain Tel Quel. Ses propos sont édifiants : « Je ne peux pas déposer plainte moi-même. C'est à l'administration de prendre contact avec un avocat et de décider des suites à donner à l'affaire. Pour l'instant, je n'ai rien vu venir ». De leur côté, les directeurs des deux principaux quotidiens arabophones, Rachid Nini d'Al Massae et Ali Anouzla, d'Al Jarida al Oula, ainsi que deux organisations des droits de l'homme, l'AMDH et le CMDH, ont demandé à Mohammed VI dans leurs éditoriaux qu'il accepte, pour la première fois dans l'histoire du royaume, qu'un membre de sa famille soit jugé. Mohammed VI franchira-t-il le pas ? Les paris sont ouverts mais il est permis d'en douter.