Charniers, réseaux terroristes et de trafic de drogue, réouverture du dossier des liquidations physiques. Les services de sécurité marocains ont procédé, au cours des trois derniers jours à l'arrestation de deux groupes d'activistes islamistes composés de 47 personnes du courant «salafiste djihadiste» dans deux villes du Royaume, Mekhnès et Salé. L'information a été donnée par la presse marocaine qui a lié cette opération aux enquêtes menées par ces mêmes services après le démantèlement d'un important groupe d'«Ansar Al Mahdi», constitué de quelque 56 activistes en fin de juillet dernier dont des militaires et un officier de police. Toujours d'après la presse locale, les personnes arrêtées étaient prises en filature depuis plus d'une année et leurs communications mises sous table d'écoutes. Cette alerte a provoqué un branle-bas de combat au sein des différents corps des services de sécurité qui semblent avoir mis le paquet pour dénouer les fils de la toile tissée par l'organisation islamiste. Démantèlement de la toile islamiste Le ministre de l'Intérieur, Chkib Benmoussa, avait ensuite annoncé l'arrestation d'un groupe de quatre femmes dont deux épouses de pilotes de la Royal Air Maroc (RAM). Des informations livrées à la presse par le ministre marocain ont fait état de relations existantes entre ce groupe féminin et la veuve d'un membre d'Al Qaîda, le marocain Karim Mejjati, tué en Arabie Saoudite en 2005, en plus des fréquentations avérées avec Hassan Khattab, le chef présumé du réseau marocain Ansar El-Mahdi dont elles finançaient les activités. Depuis cette date, des mesures de sécurité draconiennes ont été décidées pour contrôler les accès à l'aéroport de Casablanca. Néanmoins, les autorités marocaines ont affirmé ne pas avoir pu déceler une quelconque preuve d'éventuels liens entre les réseaux démantelés et les organisations terroristes internationales. Une façon, peut-être, de calmer le jeu pour permettre aux enquêteurs de continuer leurs recherches sans donner l'alerte qui pourrait contraindre les réseaux islamistes à fermer toute voie de communication entre leurs différentes cellules. Dans le même sillage, les médias chérifiens ont annoncé le démantèlement d'un autre groupe composé de huit activistes islamistes dans la ville de Taza ayant des relations avec le même mouvement salafiste marocain. Ce qui montre bien que le phénomène n'est pas isolé. Ces arrestations coïncident avec l'éclatement de scandales ayant trait à l'institution militaire et au règne du Makhzen durant une quarantaine d'années. En effet, la publication, cette semaine, du livre-scandale «les services de Sa Majesté par un ancien officier des Forces armées royales (FAR), Mahmoud Tobji accablant l'institution militaire de tous les maux du Royaume et les révélations sur l'existence de charniers disséminés un peu partout dans le sol marocain, placent le Maroc dans l'oeil du cyclone. Mardi dernier, un autre scandale mettant en cause des officiers de haut rang, impliqués dans le trafic de drogue à grande échelle, a fait la une des médias marocains. Douze responsables dont un lieutenant-colonel de la gendarmerie, des officiers de police et des cadres du ministère de l'Intérieur ayant le rang de «caïd» du milieu, ont été suspendus de leurs fonctions après le démantèlement d'un réseau de trafic de drogue et l'arrestation d'un grand baron de la drogue activant entre Casablanca et Tanger, Mohamed Kharraz (alias Chérif Bin Louidane). Les services de sécurité sont remontés jusqu'à l'ancien chef de la police judiciaire à Tanger (1996-2003) et actuel directeur de la sécurité des Palais royaux. Selon le ministre de l'Intérieur, c'est le roi Mohammed VI, en personne, qui a pris la décision de le suspendre de son poste. L'enquête n'a pas encore dévoilé tous ses secrets et risque d'éclabousser bien des personnages de très haut rang et de ce fait, lever le voile sur le fonctionnement des réseaux de trafic de drogue qui ont des ramifications locales, régionales et internationales. L'Algérie étant un pays voisin, considérée comme une voie de transit et de consommation est concernée directement par les révélations sur d'éventuelles connexions avec les filières locales, pouvant découler du démantèlement de tels réseaux et des aveux des personnes arrêtées. La carte du roi Mohammed VI Cette vague d'arrestations qui survient au Maroc est l'aboutissement de la nouvelle campagne de lutte contre la corruption et le trafic de drogue mise en oeuvre par les autorités du pays depuis 2003 dans le cadre de la «moralisation de la vie publique». C'est cette question que soulève justement le «livre-brûlot» de l'ancien officier des FAR, aujourd'hui installé en Europe. De là à soupçonner une certaine coordination entre la campagne médiatique amorcée de l'étranger et les opérations de lutte contre les réseaux terroristes et de drogue sévissant dans le Royaume, il n' y a qu'un pas que certains analystes n'hésiteront, sans doute pas, à franchir. D'autant plus qu'un autre dossier aussi brûlant, les charniers marocains de l'ancien régime, a été déterré après un silence de plusieurs décennies. A voir de près l'enchaînement des événements qui se succèdent, il s'agit vraisemblablement d'une véritable révolution qui s'enclenche dans le Royaume chérifien. Le tout semble être orchestré par le Palais royal en quête de renouveau. Mais pour ce faire, le roi doit préalablement se détacher de l'emprise de la hiérarchie militaire qui serait, de l'avis de nombreux observateurs, le véritable centre du pouvoir. Les fosses communes et les charniers déterrés à Casablanca et Bouskoura ont fait suite au rapport remis par l'Instance dite d'équité et de réconciliation (IER) le 30 novembre 2005, instance mise en place par le roi Mohammed VI et qui a commencé ses travaux en avril 2004. Récemment, des tombes où seraient inhumés deux opposants marocains tués lors des événements de 1973 au Maroc ont été localisées dans un cimetière d'Errachidia, a annoncé, hier, le Conseil consultatif marocain des droits de l'homme (Ccdh, public). Il s'agit des restes de Mohamed Benouna et de Moulay Slimane Alaoui, tués tous les deux par balles, lors des événements de mars 1973, survenus au Moyen-Atlas. Cette affaire vient se greffer au dossier lourd de la disparition de la figure emblématique de l'opposition marocaine, Mehdi Benbarka, enlevé à Paris en 1965, actuellement entre les mains de la justice française. Ces dossiers déterrés aujourd'hui mènent directement vers un personnage emblématique de l'ancien régime marocain, à savoir, l'ancien ministre de l'Intérieur et homme de confiance de feu Hassan II, Driss Basri, actuellement en exil et qui a déjà été entendu par le juge Patrick Ramaél. Le Maroc donne l'impression d'être prêt à l'exercice difficile d'exorcisme des vieux démons qui l'ont habité des décennies durant. Revisiter l'histoire du Royaume semble passer inéluctablement par la voie risquée de l'implosion. Les ingrédients sont déjà là. L'exemple voisin est à ses portes.