Mercredi 16h30, veille de l'Achoura. Les Constantinois, soucieux toujours de célébrer cette fête, malgré les effets de la crise, étaient encore dans les marchés de la ville pour les achats de fruits secs et de friandises, et autres viandes blanches pour le repas de la soirée. Soudain, de fortes pluies s'abattent sur la ville et ses environs. Des pluies diluviennes qui commencent à former des torrents dans certaines parties de la ville, notamment la banlieue nord, qui s'est habituée à ce genre de déluges. Personne ne se doutait que ces pluies exceptionnelles vont marquer la mémoire collective, après celles survenues le 25 août 2015 à Ali Mendjeli. Une heure de précipitations a suffi à provoquer la catastrophe. Les premières informations parvenues grâce aux vidéos circulant sur les réseaux sociaux vers 18h font état d'un véritable déluge survenu sur le contournement de la RN27, au quartier Djebli Ahmed, plus connu par El Kantouli, dans la commune de Hamma Bouziane, à 5 km du centre-ville de Constantine. Un affluent de l'oued Rhumel, oued Ziad, situé à proximité de la route, a reçu d'énormes quantités d'eau provenant du pont Bouberbara (ex-d'Aumale), déjà submergé. Les images sont choquantes. Elles rappellent curieusement ce qui s'est passé à Bab El Oued en 2001. Des torrents de boue se sont déversés sur la route, complètement inondée, emportant des dizaines de véhicules vers la partie basse de la chaussée sur une hauteur de plus d'un mètre. Même la barrière en béton séparant les deux parties de la route s'est avérée incapable de retenir des eaux en furie. Des centaines de personnes ont été prises au piège dans leurs véhicules, alors que deux bus ont été complètement bloqués. Piégés par les eaux en furie Il a fallu compter sur la réaction spontanée des riverains, des commerçants et autres piétons et conducteurs de passage dans la localité d'El Kantouli, qui ont organisé les premières opérations d'évacuation des passagers, dont des femmes et des enfants, à travers une longue chaîne humaine formée sur le talus situé près de la route. Malheureusement, on déplore deux morts, selon le bilan de la Protection civile. Un homme R. Ch., âgé de 55 ans, et une femme H. Z., âgée de 37 ans, décédés sur place, ainsi que 18 personnes légèrement blessées. Les victimes se trouvaient toutes à l'intérieur de leurs véhicules sur ce tronçon névralgique reliant Constantine à la RN79, menant vers Mila, et la RN27, menant vers Jijel, mais aussi vers la RN3 menant vers Skikda, d'où l'importance du trafic routier, surtout en cette veille de l'Achoura, où de nombreuses personnes étaient de retour vers leurs domiciles en fin de journée. Des dizaines de voitures n'ont pas résisté à la pression des eaux. «Après leur prise en charge sur place par nos éléments, les blessés ont été évacués en urgence vers les établissements hospitaliers les plus proches des lieux, afin de subir les soins nécessaires», a déclaré, à El Watan, le lieutenant Noureddine Tafer, chargé de communication de la Protection civile. Le même responsable a avancé le chiffre de 45 véhicules légers et deux bus des transports en commun touchés par le déluge. «Ces véhicules ne peuvent pas être considérés comme des dégâts matériels, parce qu'ils n'ont pas été gravement endommagés. Pour ce qui est de l'estimation des dégâts, seules les sociétés d'assurance peuvent déterminer la valeur des pertes», a-t-il tenté de minimiser. La même source a précisé que 70 sapeurs-pompiers, 12 camions d'intervention et 6 ambulances ont été mobilisés dans différentes opérations à travers les régions touchées. Des opérations ont duré toute la nuit pour dégager la route. Des coupures d'électricité dans plusieurs cités A des degrés différents, les cités de la ville ont subi les dégâts de ces chutes de pluie. Mais c'est la banlieue nord qui a été la plus touchée. Des maisons et des commerces ont été envahis par les eaux dans les cités Emir Abdelkader (ex-Faubourg Lamy), Sakiet Sidi Youcef (ex-La Bum) et Ziadia, alors que la trémie de la cité Daksi a été fermée à la circulation. A Djebel Ouahch, où les torrents ont charrié sur leur chemin des pierres et des gravats, les habitants ont réussi à sauver d'une mort certaine une collégienne et un écolier emportés par les eaux. Selon des témoins oculaires, la jeune fille a été tirée de sous un bus où elle risquait d'être écrasée. Des routes ont été complètement inondées au Chalet des Pins, la cité des Mûriers et sur la route d'El Khroub. Les pluies torrentielles de mercredi ont dévoilé les défaillances de gestion dans nombre de secteurs dans la ville Constantine et ont provoqué la colère de la population. «Ces inondations ne sont pas survenues à cause de la mauvaise gestion. C'est une catastrophe naturelle qui a eu lieu suite au débordement de l'oued Ziad, l'un des affluents du Rhumel. Nous n'avons pas un système de contrôle du niveau d'eau dans tous les oueds et les ruisseaux, c'est pourquoi nous n'avons pas pu intervenir à l'avance», a déclaré Khalil Chelfi, le chargé de communication de la Société des eaux et de l'assainissement de Constantine (Seaco). «Je vous rappelle que la Seaco a mobilisé, dès le début de cette saison, une vingtaine de camions de curage, dans plusieurs cités de Constantine pour nettoyer les avaloirs et les conduites. Nous avons commencé par les points noirs et nous poursuivons toujours nos interventions, une fois un problème signalé. J'ajoute que la Seaco envisage une autre opération dans le même sens à partir du mois de décembre», poursuit-il. La population de Constantine a subi aussi d'autres désagréments suite à ces chutes de pluie. Plusieurs cités ont connu des coupures du courant électrique mercredi en fin d'après-midi, dont certaines se sont prolongées jusqu'à la matinée d'hier, comme c'est le cas pour la vieille ville. Contacté par nos soins afin d'avoir plus de détails sur les interventions des équipes de la Société de distribution de gaz et de l'électricité (SDE), le chargé de communication de cette entreprise nous a affirmé qu'il ne détient aucun détail sur ces coupures ou les interventions de équipes de la SDE. Le wali critiqué par des internautes Selon les images des inondations postées sur les réseaux sociaux, montrant parfaitement l'ampleur de la catastrophe, il a fallu l'intervention de l'ensemble des effectifs de la daïra de Constantine et celle de Hamma Bouziane, ainsi que les riverains pour faire sortir les passagers, piégés dans leurs voitures. Par ailleurs, des internautes ont largement pointé du doigt la mauvaise gestion des autorités locales. On retiendra parmi ces commentaires : «Arrêtez de délivrer des permis de construire dans les zones inondables», «Aux lèche-bottes qui veulent que leur président de la République brigue un 5e mandat, voici les fruits de sa politique extraordinaire…» et «Je vis dans une petite localité en France, une fois les responsables locaux ont appris que l'hiver sera pluvieux, ils ont mobilisé des équipes pour refaire les conduites et les avaloirs, afin d'éviter les catastrophes.» D'autres internautes n'ont pas manqué de critiquer le wali de Constantine, Abdessamie Saïdoun, lorsqu'il a dit : «Il y a une exagération en qualifiant de catastrophe ce qui s'est passé à Constantine. C'est vrai, les images sont effrayantes, mais il n'y a aucun effondrement de maisons ou autres dangers. Dieu merci.» Cette déclaration a suscité la colère de certains Constantinois qui ont partagé ses déclarations avec sa photo, en commentant : «Dans notre pays, il faut qu'il y ait un cataclysme pour dire que c'est une catastrophe» ou «La honte, bien sûr, il est tellement protégé et il voit les gens de haut, il ne peut pas sentir le malheur des Constantinois.»