06/07/2008 – ENQUÊTE Par VALERIO PELLIZZARI HELSINKI «Les sept moines Français séquestrés dans la nuit entre le 26 et le 27 mars 1996 a Tibhirine par un groupe islamique infiltré par la sécurité militaire (ndt DRS), furent tués depuis un hélicoptère de l'armée algérienne. L'engin aérien survolait la zone des reliefs montagneux de l'Altlas Tellien autour de Médéa en compagnie d'un autre hélicoptère. C'était la mi mai, après le crépuscule. L'équipage avait repéré le feu d'un campement et le chef d'escadrille en personne, un colonel, avait tiré sur le bivouac. Depuis quelques temps déjà, les forces régulières ne s'aventuraient plus sur le terrain dans cette zone impraticable, faiblement peuplée et contrôlée par les intégristes : elles se limitaient à faire des reconnaissances aériennes et à combattre avec l'aviation. Après l'attaque, les engins aériens atterrirent près du bivouac. Les hommes à bord comprirent vite qu'ils avaient frappée la cible erronée. Le chef d'escadrille appela le commandement de la base d'hélicoptères détaché à Blida et dit clairement : "Nous avons commis une idiotie, nous avons tués les moines". Ce fut ainsi que se conclut la séquestration». La personnalité qui raconte cet événement parle pendant trois heures, durant deux rencontres séparées et sans la médiation d'aucun interprète. Elle se trouve provisoirement en Finlande. C'est un haut fonctionnaire d'un gouvernement occidental qui durant ces années là travaillait à Alger, avait des relations personnelles avec des personnages locaux très importants, et qui n'avait pas de contacts avec le monde opaque des services. Elle tient à le souligner avec une fermeté éduquée. C'est une personne qui peut sans ambiguïté, écrire clairement sa profession sur sa carte de visite. «Je connais certes les intrigues profondes entre la nomenklature d'alger, entre les clans, les hauts officiers, les fonctionnaires de la toute puissante compagnie pétrolifère Sonatrach et les pays étrangers intéressés aux ressources énergétiques de cette ex colonie (ndt Française). Intéressés par conséquent à sa stabilité interne. Mais je crois que la politique ne peut descendre en deçà d'un niveau minimum de moralité. Je suis personnellement obligé de respecter le secret d'Etat que chaque gouvernement impose à ses fonctionnaires. Mais de cette manière le mensonge d'Etat se perpétue, avec lequel il n'est pas facile de coexister, surtout quand il se prolonge dans le temps. Il y a quelques années, la famille du Père Lebreton, une des victimes, avait déposé une plainte afin que soit instruite une enquête en France. Je croyais sincèrement que pour elles et les autres victimes allait finalement arriver une reconstruction claire et authentique des faits. Au lieu de cela rien n'a changé». Cela fait douze années que la mort de ces religieux reste enveloppée dans la réticence des institutions et dans l'indolence de la justice. C'est en décembre 2002 que Abdelkader Tigha, un jeune sous-officier du Centre de Recherche et d'information de Blida (1) qui avait déjà abandonné le DRS (2) et qui s'était réfugié à l'étranger, déclara publiquement que les moines avaient été conduits la nuit même du séquestre dans sa caserne avec deux véhicules militaires. Dans l'opération les islamistes les terroristes, représentaient seulement la main d'œuvre. Les vrais stratèges étaient des militaires «deviés». Ce fût le premier démenti précis et partiel du mensonge d'Etat. Mais sur la conclusion tragique de l'événement le mur de gomme a résisté jusqu'à aujourd'hui. «L'hélicoptère était un MI 24, un engin aérien de fabrication soviétique, doté comme on le sait d'armements utilisés avec une grande fréquence durant la guerre en Afghanistan. C'était une machine de guerre blindée très différente des hélicoptères légers que les Français avaient vendus aux algériens et qui étaient dotés de rayons infrarouges et d'autres systèmes électroniques de reconnaissance. Les corps des moines étaient criblés de balles. C'est pour cela, qu'au moment des funérailles il n'y avait que les têtes qui furent déposées dans les cercueils. Les autorités algériennes quant à elles s'empressèrent de parler de "dépouilles découvertes". Et elles auraient continué à utiliser cette formule rituelle et trompeuse si un moine, le Père Armand Veilleux, à cette époque Procureur de l'ordre des Cisterciens, n'avait insisté afin de donner l'ultime Adieu à ses confrères afin d'obtenir l'ouverture des cercueils. Avant lui, le médecin légal des français avait visité les corps, il était au courant que les dépouilles étaient imprésentables et en avait référé à ses supérieurs. Ces cadavres massacrés auraient révélés au monde entier qui avait tiré sur sept cibles sans défense. Parce que ces projectiles là ne pouvaient appartenir qu'à un arsenal d'une armée régulière et n'étaient guère en dotation aux guerriers islamiques, qui, souvent lors de leurs incursions sanguinaires recouraient à l'arme blanche, organisaient des faux barrages en utilisant les uniformes de la gendarmerie et garaient des voitures piégées dans les rues les plus fréquentées». Après le massacre, pendant quelques journées fébriles et confuses, une version officielle des faits fut construite. Au fil des années elle a montré des failles et des contradictions. Ce séquestre au monastère avait été planifié afin de montrer le danger que représentait la déferlante islamique de manière à provoquer l'indignation internationale durant le séquestre des sept cibles humaines désarmées et qui devait se terminer avec leur libération et démontrer ainsi la fiabilité et l'efficience des autorités locales. Ce devait être la répétition à plus grande échelle, plus retentissante, du faux séquestre réalisé en 1993 quand trois fonctionnaires du consulat français avaient été capturés et libérés après 72 heures sans qu'ils aient subis la moindre égratignure. «Une semaine après l'attaque de l'hélicoptère, le communiqué numéro 44 diffusé par le Gia (3), annonça que les moines avaient été tués le 21 mai. Dix jours après, les autorités colmataient le retard en déclarant que les "dépouilles" avaient étés retrouvées. Quiconque aurait analysé le message attribué aux fondamentalistes, en se consultant avec des spécialistes de l'Islam – même sans savoir ce qui s'était passé 7 jours auparavant autour du feu de camp du bivouac – aurait pu facilement déduire qu'il s'agissait d'un faux document maladroitement construit par des mains militaires. Le communiqué précédent, le numéro 43 s'était révélé encore plus faux avec des citations erronées de versets coraniques. Il fut réexpédié après avoir été corrigé par les séquestreurs et transmis à la radio de Tanger (4). Il était signé par l'émir Djamal Zitouni, un vendeur de poulets notoirement inculte, infiltré par le DRS au sein des milieux islamistes, rapidement promu aux sommets de la hiérarchie intégriste et aussitôt brusquement éliminé. Le communiqué 44 devait aux yeux de autorités algériennes dissimuler l'attaque de l'hélicoptère afin de prouver la responsabilité des islamistes. Les autorités algériennes avaient annoncé la découverte des corps le 31 mai, exactement un mois après la mort survenue pour causes naturelles du Cardinal Duval un personnage légendaire dans ce pays. C'était une coïncidence manifestement suspecte. Dans leurs calculs, l'émotion suscitée par la disparition sereine et “douce” de Duval devait en quelque sorte atténuer, contenir et neutraliser l'émoi mondial suscité par l'assassinat des moines de tiberihine et leur brutale décapitation réalisée une fois de plus à l'arme blanche. Les funérailles de fait furent célébrées à Notre Dame d'Afrique unissant en une unique cérémonie Duval et les Trappistes de l'Atlas». De cette manière l'affaire du séquestre se concluait neuf semaines après son début avec l'exaltation des sept martyrs chrétiens tués officiellement par les intégristes dans un pays Islamique et enterrés aux contreforts de la montagne dans laquelle pendant des années ils avaient vécus, comme dans une deuxième patrie bien intégrés avec les habitants des lieux, travaillant ensemble la terre du monastère. «Les autorités locales bénéficiaient d'au moins un soutien externe influent en la personne de l'archevêque d'Alger Mgr Henri Tessier qui cautionnait leur version des faits. Grand connaisseur du monde Islamique, il avait dès le début du séquestre adopté une ligne très circonspecte et prudente sur Tibhirine. Il n'était pas d'accord sur l'ouverture des cercueils et sur la sépulture des moines dans le monastère. Il ne voulait pas détériorer les rapports construits durant tant d'années de dur et patient travail entre l'église catholique et le gouvernement algérien alors que sévissait la guerre civile qui avait éclaté en 1992. Même aux moments où le terrorisme apparaissait plus violent et acharné, sa résidence située sur la colline avait toujours gardé la grille d'entrée ouverte et il n'y avait pas de militaires en uniforme à monter la garde. Pour lui, la vérité officielle ne montrait guère d'ombres alarmantes, bien au contraire, elle pouvait être acceptée sans perplexité. D'une certaine manière il était soutenu dans sa ligne de conduite par le général Rondot qui avait longtemps occupé les sommets de la hiérarchie des services de sécurité français et qui durant le printemps de l'année 1996 travaillait en tant que consultant au ministère de la défense à Paris. Il avait débarqué à Alger immédiatement après le séquestre et avait assuré à l'archevêque que l'affaire se serait conclue très rapidement d'une manière positive. Dès son arrivée, Rondot se rendait régulièrement chaque jour au bureau du général smaïl lamari, vice du DRS et ami personnel de longue date. On peut dire que l'église et l'armée partageaient publiquement le même point de vue». Avant la tragique conclusion de cet événement, il y avait en cours une négociation pour la libération qui avait pour support une cassette qui montrait les moines encore en vie filmés à l'intérieur d'une caserne avec un journal imprimé à une date récente. «Le 30 avril un émissaire des séquestreurs s'était présenté à l'ambassade française. Il s'était fondu dans la chaîne des algériens qui chaque jour se présentaient pour la demande de visa. Ses preuves en tant qu'envoyé de l'émir Zitouni étaient très floues : il n'avait jamais révélé son nom et démontrait une attitude plutôt suspecte, comme s'il craignait un piège. Les français l'avaient pris au sérieux. Il demanda selon le scenario habituel, un échange de prisonniers, de l'argent et des papiers pour s'expatrier. Afin de le protéger les français l'avaient fait sortir de l'ambassade dans un de leur véhicule en lui donnant quelques numéros de téléphone en guise de contact mais depuis ce jour là ils n'eurent plus de nouvelles. Ils furent vite convaincus qu'il avait été éliminé ». A cette date précise, les militaires «déviés» ne savaient plus où se trouvaient les moines. Le faux séquestre avait déraillé. Certains officiers des services étaient convaincus depuis un certain temps, que les religieux de Tibhirine étaient restés au monastère non seulement pour continuer leur vie faite de prières et d'humble travail agricole mais surtout dans le but de fournir de temps à autre des informations aux français sur les mouvements de la guérilla et des soldats de l'armée régulière opérant dans la zone. En somme, ces soutanes protégeraient des informateurs occasionnels. C'est une des nombreuses légendes, sans fondement en ces douze années de fuite de la vérité. «En revanche, une autre chose est vraie : Un groupe formé d'autorités locales dont le plus actif était le préfet de Médéa était convaincu que les moines, avec leur neutralité et de par les soins prodigués à tous par le père Luc le médecin, constituaient une présence inadéquate et dérangeante dans cette zone. Il fallait leur flanquer la peur à ces religieux étrangers et les convaincre à abandonner les lieux. Le préfet avait lourdement insisté afin qu'ils partent. L'archevêque d'Alger quand à lui non avait exercé aucune pression sur eux, cependant il leur avait offert en guise d'endroit alternatif un couvent de sœurs Clarisses situé dans une autre région. Le faux séquestre afin d'effrayer les têtus religieux n'avait pas été programmé au quartier général d'alger aux sommets de l'appareil des services mais en périphérie. Même le CTRI de Blida soutenait cette opération. Et ce n'était pas le fruit du hasard que les véhicules qui avaient prélevés les moines provenaient de ce centre et que c'était à ce même endroit qu'ils étaient revenus en tant que prisonniers le 27 mars. Pendant ce temps là à Alger l'armée régulière – pas les services déviés – cherchaient avec vigueur les séquestrés. Quiconque passait durant les jours successifs sous le bureau du général responsable du centre opérationnel voyait la lumière des lampes allumées : il avait donné l'assurance qu'il aurait cherché les moines avec tous les moyens et qu'il n'aurait jamais donné l'ordre de tirer». Cette histoire est une confirmation ultérieure de la présence de deux âmes dans l'armée algérienne divisée entre la composante patriotique, nationaliste et la composante des services déviés, des généraux affairistes, liés à une gestion tortueuse du pouvoir. En 1956, l'Algérie n'était pas encore un pays indépendant, mais Abane Ramdane, l'idéologue du Front National, dénonçait déjà les chefs de la naissante armée de libération d'incompétents et d'arrivistes. Il sera assassiné un an après. Tout comme le président Boudiaf, figure historique et respectée de la guerre de libération, nommé depuis peu aux commandes du pays. De cet attentat rien ne fut jamais révélé. Trois ans plus tard, un des fondateurs du Front Islamique en exil en France, Abdelbaki Sahraoui, fut assassiné dans une mosquée de Paris. La chronique de l'Algérie indépendante est pleine d'homicides excellents, commis dans la patrie et au delà des frontières. Comme celui de Monseigneur Claverie, l'évêque d'Oran. « Cette mort doit être considérée comme un prolongement de Tibhirine. Deux mois après les funérailles des moines, le ministre des affaires étrangères Hervé de Charette s'était rendu en Algérie. Il avait insisté pour se rendre au monastère où les moines avaient été enterrés. Les Algériens étaient furieux de cette requête renouvelée avec obstination par le ministre qu'ils considéraient une démonstration typique d'arrogance de la part des ex colonisateurs. Ils l'avaient déclaré en public, à voix haute et sans réticence. Ce séquestre représentait encore un nerf à vif, un chapitre embarrassant dans les relations bilatérales. A la fin, ils cédèrent. C'était le premier août 1996. A cette occasion, le ministre rencontrait aussi l'évêque d'Oran Monseigneur Claverie, une personnalité ouverte, éloignée des méthodes feutrées et solennelles. Le religieux lui avait déclaré : "Nous connaissons les responsables de la mort des moines". Peu après Monseigneur Claverie prit un vol de ligne anticipant son départ fixé pour le jour suivant. Très peu de personnes étaient au courant de ce changement de programme de dernière minute à part les personnes chargées du protocole, un fonctionnaire d'Air Algérie qui avait brutalement jeté à terre un passager et les plus proches collaborateurs. A son entrée à l'évêché une bombe l'attendait lui et son chauffeur. Contre toute loi de la Physique, la porte fut éjectée par le souffle de l'explosion en direction opposée à celle indiquée dans le rapport des enquêteurs locaux. Dans l'affaire de moines, l'évêque d'Oran peut être considéré comme la huitième victime». NDT: (1) les CTRI sont les centres territoriaux de recherche et d'investigation. La torture y est aussi pratiquée. Il en existe à Blida, Oran et Constantine (2) DRS : Département du renseignement et de la sécurité (3) Gia : Groupe armé islamique Article de La Stampa : Les moines en Algérie tués par les militaires Article en relation : L'homme qui voulait pardonner mais ne savait pas qui Voir l'article sur le quotidien Ouest-France Retrospective d'un article d'Armand Veilleux sur la Raison d'Etat QUI TUE QUI EST UNE VRAIE QUESTION.