L'Algérie nouvelle a besoin d'un compromis historique loin de tout extrémisme religieux, identitaire ou régionaliste. Le changement de régime est désormais une question existentielle pour l'Algérie en tant que nation et en tant qu'entité politique et juridique. L'impératif de construire des passerelles pour le consensus et le dialogue pour y parvenir n'est pas né avec la révolution du 22 février. Il fait partie du parcours militants de certaines élites qui y ont oeuvré des décennies durant, certains ont été des opposants après l'indépendance, d'autres ont tenté de changer le système de l'intérieur avant d'être convaincus de son impossibilité. La révolution que nous vivons, ils l'attendaient car ils connaissaient le peuple dont ils faisaient partie et ont partagé ses luttes. Ils connaissaient également le mouvement de l'histoire et la dynamique des sociétés. Je me souviens qu'en 1999, après l'imposition de Bouteflika au pouvoir, j'ai rencontré avec le regretté journaliste Boudoukha Ali Bey, feu Abdelhamid Mehri. Nous avons échangé sur les décideurs qui ont imposé Bouteflika et ils nous a dit beaucoup de choses sur lesquelles je ne veux pas entrer dans le détail dans cet article. Je me contente de ce qu'il disait pour nous remonter le moral, calmer nos inquiétudes et notre déception de voir cet homme imposé au palais d'El Mouradia. Les mêmes propos ont été soulignés par feu Hocine Aït Ahmed, sous la forme d'un message aux décideurs en 2012, les appelant à la construction d'un nouveau consensus – après le consensus de la nation en 1954 – pour changer le système de pouvoir. Construire des ponts de consensus a été, et encore plus durant les dix dernières années, une préoccupation constante du trio Abdelhamid Mehri, Hocine Aït Ahmed et Mouloud Hamrouche. Cependant les réseaux "d'allégeance et de coercition-corruption", ainsi que les a nommé ce dernier, y ont répondu par des campagnes médiatiques planifiées par les différents appareils chargés du financement – ou de l'assèchement de sources de financement – du système médiatique. Le 16 février 2011, feu Abdelhamid Mehri n'a pu trouver que le siège du FFS pour rendre publique la lettre adressée au président Abdelaziz Bouteflika appelant à un Congrès national général pour changer de système de pouvoir car tous les espaces étaient fermés et nécessitaient une autorisation préalable. Dans cette lettre chargée de messages, Mehri s'est adressé à Bouteflika et à tous les clans et réseaux en concurrence pour la corruption et l'oppression: " Vous êtes aujourd'hui au sommet d'un régime politique dont la mise en place n'est pas de votre seule responsabilité. C'est un régime à l'édification duquel a participé quiconque a assumé une part de responsabilité publique depuis l'indépendance, que ce soit par son opinion, son travail ou son silence. Mais aujourd'hui, de par votre position, vous assumez, et avec vous tous ceux qui participent à la prise de décision, une grande responsabilité dans la prolongation de la vie de ce régime qui, depuis des années, est bien plus marqué par ses aspects négatifs que positifs. Il est devenu, en outre, inapte à résoudre les épineux problèmes de notre pays qui sont multiples et complexes, et encore moins à le préparer efficacement aux défis de l'avenir qui sont encore plus ardus et plus graves." Cette lettre, soutenue par Hocine Aït Ahmed a travers un communiqué transmis aux médias, a été accueillie par une partie de la presse par de la désinformation, de la déformation ou par le silence. Ni Bouteflika, ni aucun responsable au pouvoir n'a répondu à la lettre pourtant porteuse d'un projet de feuille de route pour l'organisation d'un Congrès National devant aboutir à des mécanismes permettant à l'Algérie d'éviter de reproduire les drames vécus ou de connaître le destin de certains pays arabes. En mars 2012, dans une sortie médiatique qui ressemblait à un message d'adieu, Hocine Aït Ahmed s'est adressé aux cadres de son parti, et aussi aux décideurs du pouvoir, lui qui était attristé par la destruction de la Libye et du début de la détérioration de la situation au Yémen et en Syrie. C'était une leçon sur la nécessité de faire la distinction entre l'Etat et le pouvoir. Il y a évoqué ce que subit le peuple Algériens comme violences. Violence de l'exclusion, violences des années 90, violence des discours du pouvoir, des appareils et des réseaux qui gravitent autour. Aït Ahmed les a accusé de de reproduire les discours coloniaux contre les Algériennes et les Algériens. Il a appelé les tenants du pouvoir à reconnaître que la violence est un échec et à aller vers un compromis pour construire l'Etat. Hocine Aït Ahmed mettait en garde contre la persistance du pouvoir à mener les mêmes politiques. "Nous vous l'avons dit, nous vous le redisons, votre politique risque de mener à la perte de notre pays". Ces mises en garde et conseils n'ont pas reçu d'écoute de la part des centres et des réseaux du pouvoir. Elles n'ont pas suscité l'intérêt des médias dont beaucoup étaient occupés à diffuser des mensonges et des rumeurs sur de prétendues contacts d'Aït Ahmed avec les responsables du régime. Un journal lié aux appareils a poussé l'infamie jusqu'à publier une fausse information sur son entrée secrète présumée en Algérie par l'aéroport de Bouteflika… et sa rencontre avec Bouteflika et Toufik. Le 30 mars 2014, dans un contexte de lutte des clans et des réseaux informels du régime à travers le système de propagande médiatique, Mouloud Hamrouche a interpellé de façon directe, dans une conférence de presse, Bouteflika en tant que président de la République et les deux généraux de corps d'armée, Ahmed Gaïd Salah, chef d'état-major de l'armée et Mohamed Mediene en tant que chef des services de renseignements. Il les a rendus responsables de devoir parvenir à un consensus pour réaliser le changement souhaité. Les médias liés aux réseaux et aux clans ont, comme d'habitude, oeuvrés à personnaliser les choses en parlant des ambitions présidentielles présumées de Mouloud Hamrouche. Le contenu politique du message est, par contre, totalement occulté. Aujourd'hui, sept mois après le début de la révolution pacifique, les détenteurs du pouvoir ainsi que les réseaux et les clans qui aspirent à continuer à gérer le pouvoir, ne semblent pas avoir compris les messages de Abdelhamid Mehri, ni les mises en garde et appréhensions de Hocine Aït Ahmed, ni les analyses et éclairages de Mouloud Hamrouche, ni la révolution des millions. Ils se préparent avec les mêmes figures, les mêmes réseaux et clans à imposer une élection qui risque de compliquer la crise davantage et d'édifier des murs de divergences entre les Algériennes et Algériens au lieu de construire des ponts pour le dialogue et la concertation afin que les élections soient le début d'un processus de construction de l'Etat et oeuvrer à protéger l'Algérie comme entité politique et juridique. Traduit de l'arabe par le HuffPost Algérie – Article original