Les trois hommes politiques ont reconnu que la reconstruction, 50 ans après la déclaration du 1er Novembre, reste à réaliser. Alors que les autorités, ses organisations satellitaires, ses invités et sa clientèle, célébraient, dans la matinée, dans un cadre fastueux, au Club-des-Pins, le cinquantenaire de la révolution avec comme point d'orgue un gala à la Coupole, trois figures de proue du gotha politique national, Hocine Aït Ahmed, figure historique et néanmoins leader du front des forces socialistes (FFS), Abdelhamid Mehri, ancien secrétaire général du FLN, et Mouloud Hamrouche, ex-Chef du gouvernement, décidaient plutôt d'exprimer leur déception, dans un cadre plus sobre, face à la population, sur le chemin parcouru par l'Algérie depuis le recouvrement de l'indépendance et les perspectives de son avenir. C'était dimanche soir, à la salle Omnisports de Aïn Benian, celle-là même où lors de la campagne pour la présidentielle de 1999, Hocine Aït Ahmed a été pris d'un malaise. C'est enfin, un lieu non loin du… Club-des-Pins, réputé aussi comme étant le fief du FFS. Face à une salle pleine comme un œuf, chauffé comme au temps de la contestation populaire aux cris de “Bouteflika, Ouyahia, houkouma irhabia”, ou encore “Pouvoir assassin”, les trois personnalités, qui avaient toutes les peines du monde pour rejoindre la tribune aménagée pour la table ronde de circonstance, font d'emblée, un constat qu'on peut résumer en quelques mots : “l'Ètat algérien reste à construire.” “Le mérite de la victoire ne revient pas à une seule personne ni à un groupe, mais à tout le peuple algérien”, dit Aït Ahmed en guise d'introduction. Une évocation suffisamment porteuse pour provoquer une standing ovation. Avant de continuer sa harangue, un petit incident technique : le micro tombe en panne. Une occasion pour l'ancien chef de l'OS de lancer une boutade, loin d'être dénuée d'arrière-pensées. “On dit que je suis un homme qui bouge, mais je ne bouge pas n'importe comment et avec n'importe qui”, lance-t-il sous un tonnerre d'applaudissements. “Le droit à l'autodétermination a été confisqué en 1962 et l'assemblée a été dessaisie de sa souveraineté. Nous n'avons pas tiré les leçons de huit ans de lutte”, reprend-t-il ensuite, non sans préciser au passage que “l'Etat était mal parti. Il est tombé entre des mains plus ou moins mafieuses”. “Nous n'avons pas réussi à fonder un Etat démocratique qui devait parachever l'indépendance du pays”, estime pour sa part Abdelhamid Mehri. Selon lui, “l'Histoire doit être libérée de toutes les chaînes”. “Le combat aujourd'hui, ajoute-t-il encore, c'est la quête de la vérité historique et le parachèvement des valeurs de novembre.” Sans doute le plus virulent, Mouloud Hamrouche, que Hocine Aït Ahmed n'hésite pas à appeler “Dda L'mulud”, affirme de son côté que “nous sommes réunis parce que n'avons pas notre liberté”. “À l'indépendance, on a construit un pouvoir, mais pas un Etat”, soutient celui qui qualifie ses compagnons de “géants de l'Histoire”. “Il nous faut un Etat de tous les algériens”, tranche-t-il. Mais ce n'était pas tant l'évocation de certaines péripéties de l'histoire et leurs conséquences sur l'Algérie poste-indépendante qui semblaient susciter la curiosité des présents, pour la plupart des jeunes, faut-il sans doute le noter, autant le désir de connaître le regard que portent les trois personnalités sur la période actuelle. “La violence n'est pas un choix, mais imposée par les circonstances (…) on avait refusé la violence même verbale. Mais quand elle est dans toute la société, il faut voir comment trouver une solution”, soutient Mehri en réponse à une question relative à la décennie noire. Pour lui, “la lutte engagée contre le terrorisme s'est transformée en moyen de répression des libertés”. Toutefois, il ne cache pas son optimisme pour l'avenir du pays : “Les changements vont venir plus vite que vous ne le pensez”, dit-il. Une analyse que partage aussi Aït Ahmed. “Il ne faut jamais tomber dans la violence car c'est ce qu'on recherche”, avertit le leader du FFS. “C'est le mensonge qui a ruiné le pays”, ajoute-t-il. Même s'il admet qu'il n'est pas facile de prévenir l'avenir, il estime, cependant, qu'“on est en train de préparer une autre décennie noire”, en ce sens, selon lui, qu'il y a un fossé entre le peuple et le système conjugué au maintien de l'état d'urgence. Avant de clore son intervention, il lance : “50 ans barakat !”. Par ailleurs, il appelle à la mobilisation et suggère qu'il convient de jeter les ponts pour une alternative démocratique, même avec le pouvoir, s'il le faut. Comme Mehri, il reste convaincu que tôt ou tard, l'Algérie retrouvera le chemin, car “le monde change”. Hamrouche, pour sa part, qui considère que “la société est privée des mécanismes de la pratique démocratique”, soutient qu'aujourd'hui, “on est dans une situation d'exception et qu'on a aggravé les lois contre les libertés”. À l'unanimité, ils ont convenu de la nécessité de la mobilisation de la société. K. K.