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L'arrestation de Slimane Hamitouche est une autre insupportable torture infligée aux familles de disparus.
Publié dans Le Quotidien d'Algérie le 12 - 03 - 2020

J'ai suivi les procédures judiciaires dans de nombreux dossiers de militants arrêtés samedi dernier et j'ai été très affecté par la répression et la manière avec laquelle les manifestants pacifiques ont été traités. Ma peine s'est transformée en blessure avec
l'arrestation d'une des figures de la lutte des familles de disparus. İl s'agit de Slimane Hamitouche, placé sous mandat de dépôt à la prison d'El Harrach et accusé en
en vertu des articles 79 et 100 du Code pénal "d'atteinte à l'unité nationale" et "d'incitation à attroupement." Ce sont les mêmes charges collées à la majorité des détenus dont certains ont été acquittés après plusieurs mois de détention préventive.
L'emprisonnement de Slimane Hamitouche dit toute l'injustice d'un régime qui méprise le peuple. Cette mesure résume également le pouvoir de la police politique qui connaît Slimane Hamitouche, présent dans toutes les manifestations et les activités des familles de disparus depuis plus de 20 ans. C'est elle qui a décidé de l'emprisonner et a donné l'ordre de le faire. Et son ordre a été exécuté.
Slimane … De la douleur de l'enlèvement à l'injustice de la détention
Slimane, est né le 21 mars 1979, à El Mouradia, à Alger. Il a été élevé par son oncle maternel qui a été kidnappé dans les années 90 et n'a plus donné signe de vie depuis. Tout comme des milliers d'autres personnes kidnappées. Slimane n'a pas eu une enfance normale. Son adolescence et sa jeunesse, il les a passées, avec sa mère et quelques membres de sa famille, dans la quête de vérité sur le sort de son oncle. Au cours de ces années, il a subi les intimidations et les arrestations de la part des forces de sécurité. Sa détermination n'a pas été altérée, car Slimane sent qu'il a une grande dette envers son oncle qui l'a élevé après le divorce de ses parents.
J'ai connu Slimane durant les années où je travaillais dans la presse. Je le connais, tout comme je connais de nombreuses mères et épouses des kidnappés. Madame El-Akal, que Dieu lui fasse miséricorde, qui a longtemps cherché son fils et qui est morte jeune, le cœur consumé de chagrin. J'ai aussi connu madame Safia Fahassi, la conjointe du journaliste Djamel Eddine Fahassi, qui continue d'aider psychologiquement sa fille, aujourd'hui à l'université, et qui ne sait toujours ce qu'il est advenu de son père. J'ai connu Mme Ouaghlissi de Ouargla, Mme Saker de Constantine. Et aussi , Zineb Aribi, la mère de l'artiste disparu, enlevé à la maison, dans le quartier de Sorecal à Bab-Ezzouar. C'était un homme qui avait la passion de la peinture et qui adorait sa maman. J'ai connu Hassan Ferhati, Nacera Dutour et tant de mères qui nous ont quittées sans obtenir réparation.
Slimane me transmettait à chaque fois le salut de Khalti Zineb, la mère de l'artiste disparu. Cette grande dame, qui se rappelle encore d'une mémorable marche à pied d'Azeffoun vers la capitale après que la France coloniale eut bombardé les villages à la fin des années cinquante, ne déroge pas à une règle: chaque mois de Ramadhan, en dressant la table, elle met le couvert de son fils en disant: "peut-être qu'il reviendra avec Ramadhan".
Slimane connaît la plupart des mères et des femmes des kidnappés. Lui qui n'a eu ni l'enfance, ni l'adolescence, ni même de jeunesse, s'apprête à vivre ses 41 ans à la prison d'El Harrach. Slimane me connaît bien. Il connaît des journalistes qui écrivaient sur les disparitions forcées à l'époque où beaucoup dans la profession nous accusaient de défendre les terroristes et leurs familles.
Slimane ne connaissait ni les dessins animés, ni les stars de cinéma ou de football, comme c'est le cas des enfants et des jeunes de son âge. Slimane connaît aussi Rezzag Bara, Ksentini, Fafa et Lezhari … et d'autres représentants de la bureaucratie des droits de l'homme du régime.
Pour Slimane, le temps s'est arrêté le jour de la disparition de son oncle et, c'est pour cela qu'il a été de toutes les manifestations depuis le début du Hirak. Je le suivais constamment. J'ai même était un peu soulagé de voir que le Hirak était devenu pour lui une grande thérapie. Il a en effet pris conscience que sa cause était aussi celle de nombreuses Algériennes et de nombreux Algériens.
Quand la décision de le mettre en prison est tombée, Slimane n'a pas pensé à lui-même. Il a pleuré pour sa mère, qu'il a laissée malade et il s'inquiète que la nouvelle de sa mise en détention ne soit une source de complication pour sa santé. Qu'il soit une autre douleur qui aggrave les blessures de l'enlèvement de son frère qui veillait sur veillait sur eux.
Slimane cherchait la vérité, et il marchait vers une Algérie nouvelle, une Algérie où personne ne pourra être kidnappé, tué ou opprimé.
Slimane est l'illustration de la tyrannie du régime de police politique qui pris l'allure d'un ogre impitoyable même à l'égard des gens comme Slimane, qui depuis l'enlèvement de son oncle et de la douleur immense qui en a découlé, est frappé de bégaiement; douleur de l'enlèvement qui reste une blessure profonde dans l'histoire de la société et un point noir dans l'histoire d'un régime sans vision ni clairvoyance, un système oppresseur qui persiste à détruire l'Etat pour continuer à aggraver l'injustice.
Je sais que mes mots ne peuvent décrire le parcours de Slimane et la peine profonde que suscite son arrestation. Car les larmes me submergent en me souvenant de toutes les années passées où ce régime nous a imposé une guerre contre les civils et un président comme Bouteflika qui a osé dire aux mères de disparus, ils ne sont pas dans ma poche. Aujourd'hui, Tebboune qui a été imposé par les militaires , continue l'œuvre en arrêtant ceux qui ont souffert durant toutes ces années. En mettant en prison ceux qui ont subi durant ces années l'injustice et la douleur permanente et sans fin de la disparition forcée.
Redouane Boudjema


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