Les familles, quant à elles, accusent le président de la République de complicité. “Oui à la vérité, à la justice, non à l'impunité !”, c'est sous ces mots d'ordre que la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'Homme (Laddh), SOS-Disparus et l'Association nationale des familles de disparus (ANFD) ont inscrit la manifestation qui les a réunis, hier, à la salle des fêtes de Birkhadem. Intitulée Conférence nationale sur les disparitions forcées, cette rencontre a vu la participation de quelques personnalités politiques, dont Ahmed Djeddaï et Mustapha Bouhadef du Front des forces socialistes (FFS). Ayant pour l'occasion quitté leur lieu de rendez-vous hebdomadaire devant l'ex-Observatoire national des droits de l'Homme, les mères et les épouses des disparus étaient par ailleurs présentes en force. Reconnaissables aux portraits de leurs enfants qu'elles brandissaient face à la caméra de l'Unique, ces femmes ont constitué l'essentiel de l'assistance d'une salle clairsemée où le sujet en débat n'a pas attiré grand monde. Pourtant… “Moi aussi, je n'avais jamais cru que mon mari disparaîtrait. Personne n'est à l'abri. Tous les Algériens sont concernés par ce drame”, a clamé Safia Fahassi du haut de la tribune. Epouse du journaliste de la Chaîne III, Djamel Fahassi, porté disparu depuis plusieurs années, elle a pris l'engagement de tout faire pour retrouver sa trace. Devenue porte-parole de l'ANFD, Safia s'est insurgée, hier, contre le mépris et l'indifférence des autorités qui se sont évertuées à tromper l'opinion publique en présentant les disparus comme étant des terroristes réfugiés dans les maquis, à l'étranger ou tués par leurs pairs et jetés dans des charniers. “Nous ne sommes pas des familles de terroristes, mais des Algériens comme tous les autres. Nous réclamons justice et vérité”, s'est écriée l'oratrice. Reconnaissant les enlèvements effectués par les groupes armés, elle stigmatisera davantage les services de sécurité qui ont, “sous le couvert du tout sécuritaire, fait de la torture et du rapt une pratique courante”. “Pourtant, personne ne nous croit. Lorsqu'on a institué en 1998 les bureaux de réception des plaintes au niveau des sièges de wilaya, les agents chargés de l'opération se faisaient le devoir de nous intimider en nous reprochant de porter des accusations contre les autorités”, a confié Safia Fahassi. Elle évoquera par ailleurs l'insistance des pouvoirs publics à classer les affaires, en persuadant les familles de se faire délivrer des jugements de disparition et ensuite des actes de décès. “On nous a même proposé des indemnités”, s'est indignée la porte-parole de l'ANFD. “Vous avez pris nos enfants vivants, rendez-les nous vivants”, c'est ce que réclame également Nassera Dutour. Porte-parole de SOS-Disparus, elle est également intervenue à la tribune pour “crier à l'abandon et dénoncer l'amalgame”. “Quand il était ministre de l'Intérieur, Sellal s'était prononcé sur le dossier en affirmant que des personnes prétendues disparues ont été retrouvées soit dans les prisons, soit dans les maquis. C'est faux, car jusqu'à présent aucun cas de disparition n'a été élucidé”, a-t-elle démenti. Revenant à son tour sur le rôle joué par les bureaux de wilaya, elle s'est interrogée sur leur démantèlement précoce sans avoir finalisé leur travail. Au sujet du président de la République qui avait, un moment, “ranimé l'espoir en engageant une politique de concorde nationale”, la conférencière a rappelé à l'assistance son reniement quand, au terme de sa campagne référendaire, il s'est déclaré impuissant à régler le problème. “Les disparus ne sont pas dans mes poches”, avait-il, lors d'un meeting, répondu aux supplications d'une mère de disparu. À cette dernière, il lui avait alors reproché de lui faire honte en criant avec ses semblables, dans les capitales occidentales leur détresse. “C'est notre dernier recours. Aujourd'hui, nous demandons à ce que la justice internationale intervienne pour juger les bourreaux”, a exigé Mme Dutour. En tournée sur le Vieux Continent pour plaider la cause des disparus, elle vient de participer à Genève à une rencontre de la Fédération internationale des familles de disparus pour sensibiliser l'opinion internationale sur cette tragédie qui, au Chili, en Argentine, au Maroc, a causé une fracture sociale insurmontable. “La justice internationale doit se saisir de ce drame”, a de son côté insisté Me Ali Yahia Abdenour. Intervenant au nom de la Laddh, il a annoncé qu'une résolution vient d'être prise par la Commission des droits de l'Homme des Nations unies élevant la disparition forcée au rang de crime contre l'humanité et préconisant le jugement des coupables devant les instances internationales. Pour le président de la Laddh, les coupables en Algérie sont connus : les généraux. Pour le moment, a-t-il dit, ces derniers bénéficient d'une totale impunité au gré d'une justice inféodée et d'un régime dictatorial. Résultat, l'on compte aujourd'hui, selon l'orateur, quelque 18 000 cas de disparition. “Officiellement, ils sont 7 000. Or, sachant que beaucoup de familles, notamment à l'intérieur du pays, ont peur de porter plainte, le chiffre est beaucoup plus important”, a-t-il dit. S. L. Disparition de Benbara, député FLN en France Benflis demande l'accélération des recherches. Son parti suit au jour le jour les développements de cette affaire. Dix jours après sa disparition, le député FLN pour le nord de la France, Abdelmalek Benbara, n'a toujours pas donné signe de vie. Son parti est préoccupé au plus haut point. Contacté hier, un responsable du bureau politique indique que sa direction a procédé à des démarches légales avec les autorités françaises pour retrouver le parlementaire algérien. Le FLN, qui soutient la famille du disparu, a demandé aux responsables français à ce que tous les moyens soient mis en œuvre pour accélérer les recherches. Même Ali Benflis, le secrétaire général du parti, en a parlé, selon notre source, à ses interlocuteurs lors de sa visite à Paris qui a pris fin avant-hier en fin de journée. Abdelmalek Benbara a été chargé en collaboration avec la représentation diplomatique de l'Algérie en France, d'organiser entre autres, des rencontres entre le Chef du gouvernement et le mouvement associatif algérien dans l'Hexagone. C'est d'ailleurs après la fin des préparatifs de ce déplacement, jeudi dernier, que le député en question a disparu. Sa famille a alerté le consulat général et l'ambassade dès vendredi. Les tentatives de sa localisation en l'appelant sur son portable ont été sans résultats. Nouveau arrivé en politique, sa famille et les responsable du FLN ne lui connaissent pas d'ennemis. Les autorités françaises et algériennes ne privilégient pour l'instant aucune piste. S. R.