Homme intègre, militant infatigable et enfant du peuple resté fidèle à l'idéal démocratique national, Maître Ali Yahia Abdenour nous as quittés à l'âge de 100 ans. Un siècle de combats pour la dignité humaine, une vie pour l'Algérie. Né le 18 janvier 1921 à At Yahia, sur les hauteurs de la Kabylie, il a investi le combat du peuple algérien pour sa liberté alors qu'il était jeune. En 1945, il adhère au Parti du Peuple Algérien (PPA) qu'il finit par quitter, suite à la crise dite berbériste en 1949. En 1955, il rejoint le Front de Libération Nationale (FLN). L'année d'après, il est arrêté, puis, assigné à résidence. Il ne sera libéré qu'en 1961. Il devient, alors, secrétaire général de l'Union Générale des Travailleurs Algériens (UGTA). A l'indépendance, il est élus député de la wilaya de Tizi-Ouzou à l'Assemblée Nationale Constituante. La dérive du parti unique connue par le pays amène Maître Ali Yahia Abdenour à figurer parmi les membres fondateurs du Front des Forces Socialistes (FFS) en 1963. De 1965 à 1968, il a été ministre des Travaux publics et des Transports, puis, ministre de l'Agriculture et de la Réforme agraire. SON COMBAT POUR LA DIGNITE HUMAINE. Devenu avocat, Maître Ali Yahia Abdenour s'est consacré à défendre la cause des opprimés et à promouvoir le combat pour les droits de la personne humaine en Algérie. Face aux manœuvres du régime qui voulait une ligue des Droits de l'Homme satellitaire, à l'image de ses organisations de masses, Maître Ali Yahia Abdenour se lance dans le combat de création d'une organisation non gouvernementale qui aura pour nom la Ligue Algérienne pour la Défense des Droits de l'Homme (LADDH). Privé d'agrément, il sera arrêté en 1985, pour avoir envoyé un télégramme de protestation au Président Chadli Bendjedid, contre l'interpellation des groupes d'enfants de Chouhada qui voulaient célébrer le jour de l'indépendance, séparément des cérémonies officielles, en déposant des gerbes de fleurs au monument aux morts. Ensemble, ils furent transférés à la prison de Berrouaghia avant d'être déférés devant la cour de la sûreté de l'Etat de Médéa. Les questions posées aux inculpés tournaient autour de la constitution d'une association des droits de l'Homme, sous l'épée de Damoclès de l'accusation toute faite d'agir en faveur de la « main étrangère ». Homme d'honneur, Maître Ali Yahia Abdenour s'est farouchement opposé à l'arrêt du processus électoral, décidé par les Janviéristes en 1992. L'Algérie paiera un lourd tribut en vies humaines, en destructions tous azimuts et en pertes économiques, suite à ce coup d'Etat contre le processus démocratique. Dans l'espoir d'assécher les « fleuves de sang », il participe aux différentes réunions organisées, en 1994 et en 1995, par la communauté de Sant'Egidio à Rome. Réunis du 8 au 13 janvier 1995, les signataires du Contrat National (connu sous le nom du Contrat de Rome) proposent une offre de paix dans un pays en guerre. Une offre qui sera rejetée par la junte militaire et combattue par la police politique et ses satellites. En réalité, l'idée centrale de ce contrat articulée autour du « rejet de la violence pour accéder ou se maintenir au pouvoir » dérangeait au plus haut point les tenants du pouvoir en Algérie. Déterminé, Maître Ali Yahia Abdenour l'a été sa vie durant. Son attachement viscéral à la paix, aux Droits de la personne humaine et au droit du peuple algérien de vivre libre, d'exercer sa souveraineté et d'être heureux dans la pluralité de ses composantes et ses diverses richesses culturelles, a toujours été au cœur de tous les combats qu'il a menés et de toutes les initiatives auxquelles il a pris part. Heureux d'assister au formidable coup d'accélérateur donné par le peuple algérien à l'histoire, Maître Ali Yahia Abdenour ne pouvait, hélas, pas participer physiquement aux manifestations. Cela dit, il a mis l'âme de son cœur dans les messages qu'il a adresses aux manifestants et, surtout, à la jeunesses via des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux. Enfant du peuple, Maître Ali Yahia Abdenour a vécu pour l'Algérie de toutes les Algériennes et de tous les Algériens. Reposez en paix, Maître. Le peuple algérien a repris le flambeau du combat pour la citoyenneté que vous et vos semblables parmis nos illustres aînés lui avez légué. Ak-iṛḥem Ṛebbi. ANNEXE : La plate-forme de Rome. Texte intégral de la plate-forme portant « contrat national » et sanctionnant la rencontre de huit partis algériens d'opposition à Rome, organisée par l'association catholique Sant'Egidio, du 8 au 13 janvier 1995(1). A. Cadre : valeurs et principes. Les participants s'engagent sur la base d'un contrat national dont les principes sont les suivants et sans l'acceptation desquels aucune négociation ne serait viable : La déclaration du 1er novembre 1954 : « la restauration de l'Etat algérien souverain démocratique et social dans le cadre des principes de l'islam » (art. 1). Le rejet de la violence pour accéder ou se maintenir au pouvoir. Le rejet de toute dictature quelle que soit sa nature ou sa forme et le droit du peuple à défendre ses institutions élues. Le respect et la promotion des droits de la personne humaine tels qu'énoncés par la Déclaration universelle, les pactes internationaux sur les droits de l'homme, la convention internationale contre la torture et consacrés par les textes légaux. Le respect de l'alternance politique à travers le suffrage universel. Le respect de la légitimité populaire. Les institutions librement élues ne peuvent être remises en cause que par la volonté populaire. La primauté de la loi légitime. La garantie des libertés fondamentales, individuelles et collectives que sont la race, le sexe, la confession et la langue. La consécration du multipartisme. La non-implication de l'armée dans les affaires politiques. Le retour à ses attributions constitutionnelles de sauvegarde de l'unité et de l'indivisibilité du territoire national. Les éléments constitutifs de la personnalité algérienne sont l'islam, l'arabité et l'amazighité ; la culture et les deux langues concourant au développement de cette personnalité doivent trouver dans ce cadre unificateur leur place et leur promotion institutionnelle, sans exclusion ni marginalisation. La séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. La liberté et le respect des confessions. B. Mesures devant précéder les négociations 1. La libération effective des responsables du FIS et de tous les détenus politiques. Assurer aux dirigeants du FIS tous les moyens et garanties nécessaires leur permettant de se réunir librement entre eux et avec tous ceux dont ils jugent la participation nécessaire à la prise de décision. 2. L'ouverture du champ politique et médiatique. L'annulation de la décision de dissolution du FIS. Le plein rétablissement des activités de tous les partis. 3. Levée des mesures d'interdiction et de suspension des journaux, des écrits et des livres prises en application du dispositif d'exception. 4. La cessation immédiate, effective et vérifiable de la pratique de la torture. 5. L'arrêt des exécutions des peines capitales, des exécutions extra-judiciaires et des représailles contre la population civile. 6. La condamnation et l'appel à la cessation des exactions et des attentats contre les civils, les étrangers, et de la destruction des biens publics. 7. La constitution d'une commission indépendante pour enquêter sur ces actes de violence et les graves violations des droits de l'homme. C. Rétablissement de la paix Une dynamique nouvelle pour la paix implique un processus graduel, simultané et négociécomprenant : d'une part, des mesures de détente réelles : fermeture des camps de sûreté, levée de l'état d'urgence et abrogation du dispositif d'exception ; d'autre part, un appel urgent et sans ambiguïté pour l'arrêt des affrontements. Les Algériennes et les Algériens aspirent au retour rapide de la paix civile. Les modalités d'application de cet engagement seront déterminées par les deux parties en conflit avec la participation active des autres partis représentatifs. Cette dynamique exige la participation pleine et entière des forces politiques représentatives et pacifiques. Celles-ci sont en mesure de contribuer au succès du processus en cours et d'assurer l'adhésion de la population. D. Le retour à la légalité constitutionnelle Les partis s'engagent à respecter la Constitution du 23 février 1989. Son amendement ne peut se faire que par les voies constitutionnelles. E. Le retour à la souveraineté populaire Les parties prenantes aux négociations doivent définir une légalité transitoire pour la mise en œuvre et la surveillance des accords. Pour cela, elles doivent mettre en place une conférence nationale dotée de compétences réelles, composée du pouvoir effectif et des forces politiques représentatives. Cette conférence définira : Les structures transitoires, les modalités et la durée d'une période de transition, la plus courte possible, devant aboutir à des élections libres et pluralistes qui permettent au peuple le plein exercice de sa souveraineté. La liberté de l'information, le libre accès aux médias et les conditions du libre choix du peuple doivent être assurés. Le respect des résultats de ce choix doit être garanti. F. Garanties Toutes les parties prenantes à la négociation sont en droit d'obtenir des garanties mutuelles. Les partis, tout en gardant leur autonomie de décision : s'opposent à toute ingérence dans les affaires internes de l'Algérie ; dénoncent l'internationalisation de fait qui est le résultat de la politique d'affrontement menée par le pouvoir ; demeurent convaincus que la solution de la crise ne peut être que l'œuvre exclusive des Algériens et doit se concrétiser en Algérie s'engagent à mener une campagne d'information auprès de la communauté internationale pour faire connaître l'initiative de cette plate-forme et lui assurer un soutien ; décident de lancer une pétition internationale pour appuyer l'exigence d'une solution politique et pacifique en Algérie ; appellent la communauté internationale à une solidarité agissante avec le peuple algérien ; décident de maintenir les contacts entre eux en vue d'une consultation et d'une concertation permanentes. Les signataires : Pour la Ligue algérienne de défense des droits de l'homme, Abdenour Ali Yahia. Pour le Front de libération nationale (FLN), Abdelhamid Mehri. Pour le Front des forces socialistes (FFS), Hocine Aït Ahmed et Ahmed Djeddaï. Pour le Front islamique du salut (FIS), Rabah Kebir et Anouar Haddam. Pour le Mouvement pour la démocratie en Algérie, Ahmed Ben Bella et Khaled Bensmaïn. Pour le Parti des travailleurs, Louiza Hanoune. Pour le Mouvement de la renaissance islamique (Ennahda), Abdallah Djaballah. Pour Jazaïr musulmane contemporaine, Ahmed Ben Mohammed. Source : Le Monde diplomatique, mars 1995, page 7.https://www.monde-diplomatique.fr/1995/03/A/6228