Le Monde https://www.lemonde.fr/idees/article La récente arrestation du journaliste Ihsane El Kadi illustre une fuite en avant répressive du pouvoir, désastreuse pour l'image de l'Algérie. Publié le 02 janvier 2023 L'image d'un journaliste menotté est terrible. Celle d'un média mis sous scellés, désespérante. En arrêtant, le 24 décembre 2022, Ihsane El Kadi, directeur et fondateur de Radio M et du magazine Maghreb Emergent, dont les bureaux ont été perquisitionnés et fermés, les autorités d'Alger ne pouvaient ignorer le choc qu'un tel raid policier provoquerait autant en Algérie qu'à l'étranger. Ihsane El Kadi, placé le 29 décembre sous mandat de dépôt, est une figure emblématique du journalisme algérien indépendant. Avec son équipe, il s'était illustré aux premières loges du Hirak, le mouvement de protestation populaire surgi en 2019 autour de revendications démocratiques. Le resserrement de l'étau répressif à la faveur des mesures de restrictions sanitaires anti-Covid en 2020 ne l'avait pas intimidé. C'est un symbole qui vient d'être frappé. Le régime d'Alger n'a pas l'air de se soucier outre mesure de l'effet calamiteux qui en découle sur son image. L'admiration qu'avait inspirée le spectacle de foules pacifiques et joyeuses du Hirak, qui avait radicalement renouvelé le regard porté sur l'Algérie, n'est plus qu'un souvenir en charpie. L'heure est à la sidération face à la fuite en avant répressive d'un régime en pleine revanche après avoir craint pour sa survie. L'attaque en règle contre le pôle de média de M. El Kadi n'est que le dernier épisode d'une campagne de démantèlement méthodique ciblant depuis deux ans les foyers résiduels du Hirak. Nombre de leurs figures sont acculées à l'exil pour échapper à la prison, toute critique du système dirigeant relevant dorénavant d'incriminations de « terrorisme » et de « sabotage ». L'atmosphère est devenue à ce point étouffante que les Algériens en viennent à considérer que le pluralisme d'opinions se portait mieux sous l'ère de l'ex-président Abdelaziz Bouteflika, pourtant honnie pour sa dérive dans la corruption et le népotisme. Une impasse Le régime du président Abdelmadjid Tebboune se sent pourtant assez en confiance pour ignorer les dégâts collatéraux de sa surenchère autoritaire. A l'intérieur, il pense pouvoir acheter la paix sociale avec le rebond des prix du pétrole, selon un scénario éprouvé mais factice et court-termiste. Et, à l'extérieur, il table sur la restauration du crédit stratégique de l'Algérie, géant des hydrocarbures courtisé par les Européens en quête d'alternatives au gaz russe. La France d'Emmanuel Macron ajoute ses propres raisons à ces dispositions bienveillantes : le pari de la réconciliation mémorielle et la coopération sécuritaire au Sahel. Aussi les démocrates algériens ne devront guère espérer des chancelleries européennes, en tout cas dans le répertoire des déclarations publiques. Mais d'autres formes de soutien doivent être dispensées, en particulier l'accueil d'exilés conformément aux lois de l'asile et le refus de céder à des demandes d'extradition d'opposants qui ont fait le choix courageux et honorable de militer pacifiquement pour des droits fondamentaux. Il faut également espérer pouvoir compter sur la solidarité que des sociétés civiles du nord de la Méditerranée peuvent témoigner, afin que les démocrates d'Algérie ne se sentent pas abandonnés. Chacun doit être bien conscient de l'impasse à laquelle est condamné l'entêtement sécuritaire à Alger : il est illusoire de vouloir « consolider le front interne », pour reprendre le mot d'ordre officiel, en asphyxiant la citoyenneté, l'indispensable ferment de toute nation. Le Monde