Mehdi El Djezaïri (Auteur) : Poutakhine, l'enfant interdit El Watan 23 octobre 2009 Auteur d'un roman fiction stoppé dans sa fabrication par la police, Mehdi El Djezaïri revient sur cette décision arbitraire qu'il qualifie d' « acte de tyrans incultes qui nous gouvernent ». Votre livre a été saisi au niveau de l'imprimerie et vous vous êtes temporairement exilé à l'extérieur d'Algérie pour voir venir la suite des événements. Que s'est-il réellement passé ? Oui, mon livre a été arrêté de fabrication par le commissariat de police de Bab Ezzouar, sans aucune raison légale. J'ai eu peur, je me suis enfui parce que je connais bien leurs méthodes de torture et d'humiliations. Pour eux, l'homme libre, l'expression, n'existent pas. Ils ne savent que cogner, frapper, torturer, humilier, c'est leur seule culture. Bien que parsemé d'envolées pamphlétaires contre le régime, votre roman est une fiction sans personnages réels où les attaques restent globales. Comment expliquez-vous alors cet acte de censure ? Ok, mon livre, à ce jour, n'est pas censuré. A part ces gesticulations policières, le livre est distribué le plus normalement du monde sauf qu'il n'est plus disponible dans les librairies. Il le sera bientôt. l A la fin du livre, on peut lire une dédicace particulière, « A Monsieur le président, demandeur servi de 3e mandat et tous les autres à venir », suivie d'une interpellation : « Quand l'Algérie saignait et pleurait ses enfants, où étiez-vous M. le Président ? » Est-ce la raison de l'interdiction ? Je vous rappelle qu'officiellement, à ce jour, mon livre n'est pas interdit. Il est vrai que j'y interpelle le président de la République pour lui demander où il était quand l'Algérie saignait et pleurait. J'attends à ce jour sa réponse et celle de ses proches. Votre livre est violent. Correspond-il à ce qu'est l'Algérie aujourd'hui ? Il se dit et s'écrit aussi que mon livre est violent, ce qui suggère un auteur « aigri » écrivant au « vitriol ». Ce n'est pas vrai, j'ai toujours été calme et serein. J'écris tranquillement avec certitude et conviction. J'écris avec ma sueur et mon cœur, avec ma mémoire aussi. Ce n'est pas mon écrit qui est violent. Il n'est jamais violent mon écrit. Il ne fait que raconter et restituer les violences et les dénis de vie de la société. Mon métier de sondeur me porte tout naturellement à observer et à mesurer ces colères qui ne sont pas miennes. Les miennes sont trop petites, banales même. Quand Aïcha El Aamia éclate ses colères de maman orpheline, elle pleure et rugit au nom de toutes ces mamans inconsolables qui pleurent toujours et toujours leurs enfants mangés par la mer, dévorés par la mauvaise gouvernance. C'est cela la vraie violence ; pas la photo qui la montre ou le verbe qui l'explique. Poutakhine parle aussi d'amour, beaucoup d'amour dont notre peuple est privé depuis longtemps, depuis toujours. Or ces manques, ces déficits d'amour et de tendresse, portent à des déviances, à des malheurs, à tous les excès. Regardons et lisons autour de nous ; la prostitution fait des ravages, officiellement elle n'existe pas. Les Chinois creusent des trous à notre place, les Français nous apprennent à ouvrir et fermer un robinet, les paysans de la Brie nous préparent notre pain, quelques aventuriers égyptiens nous apprennent à tenir un téléphone, des petits Philippins nous donnent à boire. MM Sellal et Barkat sont toujours ministres. C'est cela la vraie violence faite à tout un peuple. C'est cela que mon livre raconte un peu. C'est cela que je raconterai toujours tant que je serai en vie. Mon deuxième roman, La Vestale rouge, sortira en février prochain. MM. Sellal, Barkat et Rahmani seront toujours ministres. Ainsi va l'Algérie. Ainsi vont les Algériens ! Jusqu'à quand ? Le Salon du livre approche, allez-vous vous présenter avec votre livre ? Oui, je participerai au Salon du livre où j'ai acheté un petit espace d'expression pour écouter, pour parler, seulement parler aux gens, aux petites oreilles trompées pour leur dire la grosse imposture qui nous enlève et nous empoisonne la vie. Oui j'ai acheté cet espace pour dire et exprimer, plus que mon livre, mes colères d'Algérien humilié tous les jours par les discours officiels et les partants de la mer. J'ai honte de voir nos enfants mangés par la mer, par la bêtise de la mauvaise gouvernance : mon livre le dit. Vous avez été torturé en Algérie, comme vous le rappelez en annexe à la fin de votre livre. Dans quelles conditions cela a-t-il été fait ? Oui, comme je l'affirme dans mon livre, j'ai été torturé plusieurs fois et pour rien. Mais ces tortures dont je porte encore les traces ne sont rien, vraiment rien par rapport à celles que subissent toujours mon peuple, mes frères, mes sœurs. Il faut qu'on en parle sérieusement. Ecoutez, entendez ces révoltes de petites gens, ignorées, humiliées, oubliées, ne comptant vraiment pour rien et qui veulent tout juste être entendues mais qui ne le seront pas, ne le seront jamais. Mon livre dit que ces révoltes assemblées, associées, feront un jour une seule flamme. Notre brasier national qui nous montrera notre Bastille, notre Octobre pour battre ces tyrans incultes qui nous gouvernent. C'est mon intime conviction. Poutakhine, est-ce un gros mot russe ou une allusion au plus vieux métier du monde encore en vigueur dans le pays ? Non. C'est un nom composé. De Pouta, celui qui a converti, à Oran, Juana La Loca, la Reine folle, fille de Charles Quint, à l'Islam. Et de Khine, celui qui a converti Sid Ali Nadji au Christianisme. Extrait : J'ai écrit ce livre pour raconter nos hontes et nos peurs cachées et réprimées de tous nos non, pour dire arrêtez de voler et de détourner nos vies ! Non ! S'il vous plaît, arrêtez de nous manger par vos interdits ; par tous vos « Yadjouz et La Yadjouz ! » Arrêtez de nous réconcilier avec les tueurs, les égorgeurs de bébés, les faiseurs de scrutins gagnants… Dans mon récit frêle et maladroit, craintif des censures et tortures qui ont fait saigner mes pores et mes veines, peu le savent ou ne veulent le savoir, mes silences d'abord, je sonde et fouille les géographies humaines des Algérie lointaines et contemporaines. J'écris ce livre pour rappeler humblement l'odeur des sangs qui ont arrosé cette noble terre, d'Hannibal à Mohamed Boudiaf. J'y raconte surtout et beaucoup, la goutte et les rivières de larmes des mamans mortes de douleur, attendant des retours et des réparations impossibles. Je raconte dans mon livre arraché à mes récréations, la profonde misère des pères orphelins, chargés et cassés pour toujours de chagrin et de larmes invisibles qu'ils ne diront jamais. Jamais. Les vrais souffrants ne parlent pas, ne disent jamais rien. Ils saignent et se saignent en silence. Je saigne moi-même en racontant atrocement cela. Je raconte aussi, dans cette petite chose de livre, parfois quand la conscience me libère, contenant mes rages d'humain, croyez-moi mes amis, en pleurant parfois moi-même, je raconte les terribles batailles entre chiens et humains, tous Algériens, enfants et vieillards finissant, se disputant des poubelles trop pleines dans un ordre sans cesse changeant ; humains contre humains, chiens contre chiens, parfois chiens contre humains. C'est cette Algérie hideuse et humiliante que je montre dans toutes ses forfaitures et ses trahisons contemporaines. Mon livre raconte cette Algérie-là des désespérés et des perdus qui n'ont plus rien à perdre. Je raconte en pleurant, en me faisant violence, en me saignant à vif, l'Algérie des voyous, l'Algérie des dénis et du non-droit, l'Algérie des Texans, l'Algérie des Marocains, l'Algérie d'Oujda, l'Algérie des coopérants la vendant et la revendant à l'encan, au plus offrant, au mieux disant. Mehdi El Djezaïri. Poutakhine. Editions à compte de l'auteur. 432 pages. 980 DA