El Watan Resté jusqu'ici à l'ombre du scandale, le directeur des nouveaux programmes (DNP) relevant de l'Agence nationale des autoroutes, Mohamed Khelladi, jette un pavé dans la mare en accusant gravement le ministre des Travaux publics, Amar Ghoul, dans l'une des plus grosses affaires de corruption. Cité comme témoin, le responsable, un ancien officier de la Gendarmerie nationale, a participé non seulement à l'enquête préliminaire dirigée par les officiers de police judiciaire dépendant du Département du renseignement et de la sécurité (DRS) en révélant des informations compromettantes sur certains responsables du ministère des Travaux publics, mais également sur les sociétés chinoises et japonaises qui ont décroché les marchés. Ses révélations ont fait tache d'huile, ce qui probablement lui a valu d'être relevé de ses fonctions, le 13 décembre 2009, par le ministre des Travaux publics. Une semaine plus tard, M. Khelladi, selon des sources proches du dossier, a rédigé un rapport détaillé et documenté sur l'implication direct de M. Ghoul dans l'affaire. Pour nos interlocuteurs, la fin de fonctions de M. Khelladi « n'a absolument rien à voir avec sa compétence ou sa manière de gérer son département ». Ils expliquent que « trois jours après cette décision, il a été reçu par Amar Ghoul qui lui a proposé un poste au sein de son cabinet. Il le soupçonnait de rouler pour les services de renseignement, alors il a tenté de le récupérer en lui promettant la protection du président de la République. Il lui a proposé de travailler au sein de son cabinet pour organiser un portefeuille de 40 entreprises dépendant du secteur des Travaux publics ». En contrepartie de ce poste, le ministre lui aurait également demandé « de ne plus témoigner » sur cette affaire et « de garder le silence » sur son chef de cabinet (sous contrôle judiciaire), sur le directeur général de l'Agence des autoroutes et sur trois directeurs régionaux des programmes. « Mais Khelladi a rejeté l'offre parce qu'il n'a jamais été intéressé par les postes de responsabilité », notent nos interlocuteurs, affirmant que le rapport remis au juge comporte des révélations extrêmement graves. Il s'agirait, selon eux, d'une dizaine de dossiers parmi lesquels celui du recours à certains sous-traitants en contrepartie de commissions. Selon nos sources, ces pratiques ont fait l'objet de lettres signées par M. Khelladi et transmises au ministre des Travaux publics, lui demandant de mettre en place une commission d'enquête d'autant que des rumeurs faisaient apparaître ce dernier comme directement concerné. « Le ministre n'a pas voulu prendre en compte cette demande. Il n'a fait que transférer le courrier au directeur général de l'ANA, alors que deux cadres dirigeants de cette agence ont des liens directs avec les sous-traitants mis en cause », indiquent-ils. Plus grave, nos sources affirment que le responsable de la direction des nouveaux programmes a levé le voile sur des « contrats illégaux » dont ont bénéficié certains transporteurs ; il aurait cité le cas de ceux qui ont paralysé par un mouvement de grève les bases des sociétés chinoises à Relizane, indiquant qu'« ils ont été imposés aux chantiers chinois par le ministre en personne et que le responsable du tronçon Est, désigné par Amar Ghoul, a sous-traité avec des entreprises alors qu'elles n'avaient même pas introduit de dossiers ou informé la direction centrale ». En fait, ce que M. Khelladi voulait démontrer, à en croire nos sources, c'est que le département qu'il dirigeait chapeautait trois directions régionales (Est, Ouest et Centre) dont les responsables, « tous du MSP », ont été désignés par le ministre « avec lequel ils travaillaient directement sans passer par lui dans le but d'imposer des sous-traitants préalablement choisis au détriment de la qualité des travaux ». L'ancien directeur des nouveaux programmes, ajoutent nos interlocuteurs, est également revenu sur le marché lié à la réalisation du tronçon Centre, dont le montant relatif aux charges aurait été revu à la baisse de plus de 15 milliards de dinars, ce qui, pour M. Khelladi, « prouve qu'il y a eu des surfacturations » pour certains marchés. Mieux, d'après lui, « la corruption dans ce domaine se pratique dans l'évaluation de la quantité de matériaux de construction, souvent surévaluée, mais aussi dans la tarification unilatérale ». Les sous-traitants proches du ministre et du MSP Pour ce qui est du volet technique, le rapport, soulignent nos sources, fait état de graves défaillances. Ainsi, M. Khelladi aurait cité le cas des matériaux non conformes aux normes européennes achetés à des prix excessifs. Un autre cas est relatif à l'instruction signée par Amar Ghoul à l'issue d'une visite de chantier, imposant le remplacement de toutes les glissières métalliques longeant les autoroutes et les routes nationales par d'autres en béton, sans aucune étude technique. En fait, révèlent nos sources, cette décision a été prise « pour donner les marchés à des sociétés appartenant à son entourage et celui du MSP et qui exercent dans le domaine sans aucune autorisation ». Pour ce qui est du paiement des situations, l'ex-DNP aurait accusé le ministre de s'être « empressé » de les régulariser « sans pour autant s'assurer de la qualité » des travaux réalisés. Il aurait affirmé, à propos du contrôle technique, que les négociations avec les laboratoires de suivi et de contrôle de qualité ont été menées par le secrétaire général de l'ANA et leur choix a été opéré sur instruction du ministre et de son chef de cabinet sans qu'il en soit informé alors que cela relève de ses prérogatives. Plus grave encore, nos interlocuteurs précisent que M. Khelladi, aurait eu « des preuves sur des commissions versées par un bureau d'études de l'Ouest au ministre ». A propos de la gestion du projet d'autoroute, l'ex-DNP aurait levé le voile sur des défaillances en matière de moyens humains et matériels mis en œuvre pour la réalisation. A ce sujet, il aurait cité le cas du groupe japonais bénéficiaire de la réalisation du tronçon Est qui, selon lui, ne serait qu'« une entreprise fictive » qui n'a même pas les moyens humains nécessaires à la hauteur de l'importance du marché. M. Khelladi aurait saisi par écrit le ministre en 2007, mais aucune mesure n'a été prise, précisant que la responsabilité incombe néanmoins au comité d'évaluation technique des marchés au niveau de l'ANA. Plus grave, pour l'ex-responsable, le groupe japonais aurait versé d'importantes commissions et fait appel à des sous-traitants qui auraient été pour beaucoup dans le retard dans l'achèvement des travaux. La cerise que M. Khelladi aurait mise sur le gâteau concerne la facture des travaux supplémentaires, qui aurait atteint les 7 milliards de dollars, payée sur instruction du ministre. Pour lui, ajoutent nos interlocuteurs, la responsabilité incombe aux responsables de l'ANA qui auraient négligé le volet lié au respect des délais de réalisation et donc les surcoûts induits par les retards. Autant de révélations qui risquent de faire changer le cours de ce scandale.