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Chronique à jeun
Publié dans Le Soir d'Algérie le 23 - 05 - 2018

Le temps est clément. Pour un mois de mai, c'est un régal. Et ces premières journées de jeûne se passent à merveille. Pour moi, du moins. Pour vous, je ne sais pas. Tout de même, il faut reconnaître que l'on ne souffre pas autant que s'il faisait chaud. Comme l'année dernière, par exemple. A cet égard, je fais cette chronique à jeun. Je suis face à mon ordi ; j'essaye d'ordonner mes idées ; ce n'est pas simple ; il y a des jours comme ça où la caboche refuse de secouer ses méninges ; il faut que j'en parle à mon toubib préféré, il saura m'expliquer cette panne. Puis Ramadhan pour Ramadhan, autant en parler ; c'est la moindre des choses, car l'Algérien ne tardera pas à tomber en léthargie, notamment lors des dix derniers jours ; ce sont les jours du bourricot ; c'est ainsi que j'ai entendu dire, du temps de mes vertes années. En ce moment, le cheval est au triple galop ; alors, le jeûneur ne sent pas grand-chose. Puis, la météo nous annonce de la chaleur ; attention à la soif !
Avant-hier, en soirée, juste avant la prière des tarawih, j'ai entendu cet appel de l'imam de la mosquée (je cite de mémoire, bien sûr) : « Chers frères, j'ai une annonce à vous faire. Les prieurs qui viennent avec des chaussures de marque, notamment les chaussures de sport, doivent faire attention au vol ; ne les laissez pas à l'endroit habituel ; mettez-les dans un sachet et faites-les rentrer à l'intérieur de la mosquée avec vous ; ce n'est pas grave...» Je ne sais pas quelle lecture en faire. Il y aurait du vol en l'air, ou je ne m'y connais pas. Sauf que j'ai toujours cru que la mosquée est le coin le plus sûr au monde, non ? Incroyable, qui aurait le culot de voler à l'intérieur d'une mosquée, la maison de Dieu ? A entendre cette annonce de l'imam, il faut croire que des mains malhonnêtes chouravent les chaussures de marque de nos prieurs. Si on ne peut plus prier en paix, les mosquées se videront d'elles-mêmes. Je ne fabule pas, les amis. J'ai bel et bien entendu l'imam faire l'annonce, en clair et avec forts décibels. C'est comme je vous le dis ! Ah, il a même conseillé aux fidèles de se ramener avec des claquettes. Par temps de pluie, ce n'est pas conseillé. Où va-t-on, mes amis ? Les solutions existent, que je sache. Il faut aller avec son temps. Embaucher un vigile, voire plusieurs ! Leur travail consistera à veiller jalousement les pompes de nos fidèles ; ainsi, il ne risque pas d'y avoir des vols. Les chaussures de marque seront à l'abri de toutes les convoitises. A moins d'aller plus loin et de placer la mosquée sous surveillance vidéo ! La technique fera le reste ! Franchement, je me suis marré au début ; puis, je me suis gratté le crâne ; j'ai essayé un coup, en sirotant un thé ; puis je me suis dit : «Akher zaman ! » C'est ce que disait ma grand-mère, en son temps. Puis, chacun se fera une idée de cette annonce. Personnellement, j'aurais mis ma godasse la plus dégueulasse pour dissuader les amateurs de chaussures de marque ; bien fait pour leurs pommes !
Quittons le monde des voleurs ! Avez-vous remarqué que l'on se souhaite «saha ftourkoum» à tout bout de champ ? De jour comme de nuit. Ah si l'Algérien pouvait être aussi civique tout le temps ! Mais le mois de jeûne est particulier, à un point inimaginable. Il est neuf heures du matin, le téléphone sonne (il sonne même à des heures indues, au point où celui qui dispose d'un mobile se croit être autorisé à appeler à n'importe quelle heure) ; allô ; oui ; c'est moi ; ah salut ; tu dors encore, marmotte ? Non, tu viens de me réveiller ; ah, désolé ; je suis à la retraite, ya kho ; ce qui n'est pas ton cas ; tu as besoin de quelque chose ; non, juste pour te demander si on pouvait se voir en soirée, tu paieras un «kelb lkawkaw» ? Nchallah ; Ihi, salut et saha ftourek. C'est quoi ce «saha ftourek» ? Il n'est que neuf heures du matin, tu dérailles ? Je n'ai pas eu de réponse ; il a raccroché sans demander son reste, maintenant qu'il pense avoir déjà sa sucrerie nationale. Je me suis gratté le crâne, un crâne où la matière grise roupille du sommeil du juste ; que faire, maintenant que l'autre gus m'a fait sortir du lit ? Aller au marché ? Je n'y tiens pas. Prendre un bouquin ? Ce n'est pas le moment. Ah, si à mon tour, je sonnais un pote que je sais en hibernation fi Ramadhan ! Allez, je tente le coup. Allô...
Le premier jour du jeûne, je suis sorti me dégourdir les jambes. J'ai poussé ma déambulation jusqu'au centre-ville (l'bilaj), chacun vaquait à ses occupations. Puis, juste en face de moi, j'ai cru voir un attroupement ; quoi, une manifestation juste avant l'adhan ? C'est du domaine du possible, pensé-je in petto. Je me suis arrêté net ; j'ai reconnu la boutique du «Tounsi» du coin ; une queue comme pas possible ; des jeûneurs, patients jusqu'au martyre, attendant leur tour, pour acheter le kilo de zalabia. Pas possible ? Si, tu vois bien qu'il y a un attroupement. C'est bien la première fois que je vois une chaîne réglementaire ; ça rappelle le service militaire. Pas possible ? Si ! Arrête de répéter la même chose ; tu radotes, vieux. J'étais tenté de prendre mon mobile et de filmer la scène ; mais, j'avais peur de la réaction des jeûneurs. Puis, le souvenir de l'ami qui partait régulièrement à Boufarik, pour s'acheter la «cherbet », revient à ma mémoire carnivore. J'ai été tenté de rajouter ma carcasse au nombre ; je me suis ravisé, à temps ; je n'ai plus le droit au sucre.
Je vais vous donner quelques mauvaises nouvelles de la semaine (désolé, je ne veux pas être le seul à supporter le fardeau) : les véhicules made in bladi seront plus chers. Il n'y a qu'à consulter «Ouedkniss» et essayer de dénicher une caisse à moindre frais ; à moins de s'offrir des souliers de marche, pour le train «11». La ville des Issers croule sous les ordures ; s'il n'y avait que cette ville, j'aurais compris ce phénomène ; sauf que là, le drame est à l'échelle nationale.
A Mila, un enfant a été asphyxié par le monoxyde de carbone ; paix à ton âme, petit ! Les imams menacent de sortir dans la rue ; pas tous, ceux de l'UGTA ; pas tout de suite, après le Ramadhan (ouf ! sauvé par le gong !). A El-Bayadh, le directeur de l'Andi met fin à sa vie ; il n'avait que trente-six ans.
Le régime est en faillite, dixit Louisa Hanoune ; ça, on le sait déjà ; mais que faire ? Les comités populaires... A Boumerdès, les chiens errants et les sangliers sèment la panique ; c'est simple : il n'y a qu'à instituer des battues. A Djanet, il y a eu l'arrestation de trois individus en possession d'une kalachnikov ; c'est dire que l'hydre est encore debout. Encore Louisa Hanoune : «Le régime en place est une menace pour la stabilité.» Arrêtez, Madame, de nous faire peur ! Dites-nous : que faire ?
Y. M


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