Le 14 mai 2018, l'Organisation internationale du travail a rendu public un rapport fort instructif «Emploi et questions sociales dans le monde 2018 : une économie verte et créatrice d'emplois».(*) La lutte pour limiter le réchauffement climatique au-dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels – limite préconisée par l'Accord de Paris de 2015 — créera des emplois dans des proportions inimaginables, soutient en substance le document. Contrairement aux appréhensions connotant la transition énergétique en matière d'emplois, «la transition vers une économie verte entraînera inévitablement des pertes d'emplois dans certains secteurs à mesure que la proportion d'activités à forte intensité de carbone et de ressources baissera, mais ces pertes seront plus que compensées par de nouvelles possibilités d'emploi. Par exemple, les mesures prises dans le domaine de la production et de l'utilisation de l'énergie entraîneront la perte d'environ 6 millions d'emplois, mais aussi la création de 24 millions d'autres approximativement. Cette augmentation nette d'environ 18 millions d'emplois dans le monde sera le résultat de l'adoption de pratiques durables, comme la modification du bouquet énergétique, l'utilisation accrue de véhicules électriques et l'amélioration de l'efficacité énergétique dans les bâtiments existants et futurs.» Toutefois, si au niveau régional, on peut espérer des créations nettes d'emplois dans les Amériques, en Asie et Pacifique et en Europe, s'élevant respectivement à 3,14 et 2 millions d'emplois, grâce aux mesures prises en matière de production et de consommation d'énergie, en revanche, il pourrait y avoir des pertes nettes d'emplois au Moyen-Orient (-0,48%) et en Afrique (-0,04%) si les tendances actuelles se prolongent, «en raison de la dépendance de ces régions à l'égard, respectivement, des énergies fossiles et des mines». Par ailleurs, l'adoption de pratiques agricoles plus durables peut créer des emplois salariés dans les moyennes et grandes fermes biologiques et permettre aux petits exploitants de diversifier leurs sources de revenus à la faveur d'une transition vers l'agriculture de conservation. Complétée par des mesures de soutien aux travailleurs, l'adoption de l'agriculture de conservation peut contribuer à la transformation structurelle dans les pays en développement. En parallèle, la conversion à une économie circulaire qui met l'accent sur la réutilisation, le recyclage, la remise à neuf et la réparation des biens créera environ 6 millions de nouvelles possibilités d'emplois dans le monde entier, ces activités remplaçant le modèle traditionnel d'«extraction, production, utilisation et élimination». Une fois rassuré quant à l'impact de la transition sur l'emploi, il reste à se convaincre de son inéluctabilité et de son urgence, en raison de la pression insoutenable de l'activité économique sur l'environnement, dans un contexte de pénurie de ressources et de capacité limitée à absorber les déchets. En effet, en 2013, par exemple, l'humanité a utilisé 1,7 fois plus de ressources et de déchets que la biosphère a pu régénérer et absorber. De fait, l'activité humaine a déjà provoqué une altération irréversible de l'environnement à l'échelle mondiale. Il reste à organiser cette transition de façon «juste et efficace». «Les institutions, l'élaboration des politiques et leur mise en œuvre efficace sont essentielles pour une transition juste», précise encore le rapport. Le dialogue social, l'élimination de la discrimination en matière d'emploi et de profession et la bonne gouvernance sont les fondements de cette transition, voulue «efficace et juste». Dans ce cadre, «les programmes publics pour l'emploi peuvent aussi être des outils performants pour faire face à l'impact du changement climatique sur les travailleurs et leurs revenus, tout en améliorant l'atténuation. La moitié des 86 programmes publics pour l'emploi dans 62 pays étudiés comportent une composante environnementale. Ils proposent souvent des soins de santé, des formations et d'autres avantages». Enfin, une transition juste accroît le potentiel de création d'emplois décents grâce à «l'intégration des questions liées au travail et à l'environnement». Ce rapport du BIT constate que l'écologisation des économies peut avoir un effet global positif sur la croissance et l'emploi. Le scénario d'une hausse des températures limitée à 1,5°C, encouragé par l'Accord de Paris, permettrait probablement aussi de dégager des résultats positifs en matière d'emploi. Qu'en est-il de l'économie verte en Algérie ? Une étude comparative avec les deux autres pays du Maghreb a été effectuée par une équipe de chercheurs l'an dernier.(**) Au sens commun, l'économie verte recoupe trois dimensions : primo, l'entreprenariat vert ou durable ; secundo, les modes de consommation et de production durables ; et, tertio, la responsabilité sociétale des entreprises. L'accent est mis sur les études récentes révélant le potentiel exceptionnel de cette économie car 99 % de l'énergie utilisée et fossile, polluante, tarissable et subventionnée, et 40% de cette énergie est destinée aux ménages. Elle est la cause de dommages environnementaux considérables (rejet et stockage de déchets chimiques dangereux). Seconde dimension de l'économie verte au plan local : les modes de consommation et de production durable. Dans la vie de tous les jours, le sac en plastique est dangereusement ancré et acté dans la culture locale ; un Algérien en utiliserait quelque 200 par an. La consommation globale de l'Algérie est estimée à 7,7 milliards d'unités par an. Un attachement persistant malgré la sonnette d'alarme tirée partout dans le monde quant à la nocivité de ce type d'emballage sur la santé publique et surtout sur l'environnement. Troisième dimension de l'économie verte : la responsabilité sociétale des organisations. La norme ISO 26000 édicte «la responsabilité d'une organisation vis-à-vis des impacts de ses décisions et activités sur la société et sur l'environnement, se traduisant par un comportement éthique et transparent qui contribue au développement durable, y compris à la santé et au bien-être de la société». Dix-sept entreprises, publiques et privées, ont mis en place la norme ISO 26000 relative à la responsabilité sociétale et qui favorise l'innovation. Au total, un pool de 14 experts nationaux a été créé et 17 organisations volontaires ont adhéré à la mise en œuvre des principes de responsabilité sociétale selon les lignes directrices de la norme y afférente dans le cadre du projet RS MENA (responsabilité sociétale pour région Moyen-Orient-Afrique du Nord). A. B. (*) Organisation internationale du travail, «Une économie verte et créatrice d'emplois», 14 mai 2018, (**) Ammar Belhimer, J. Ph. Bras, Baudouin Dupret, Mohammed Mouaqit, Quand le droit se saisit de l'environnement : Pétition de principe ou préoccupation profonde ? HAL, 26 octobre 2017 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-0162456