Révolution russe pour l'Espagne ! Le sélectionneur Julen Lopetegui, fragilisé la veille par l'annonce surprise de sa nomination au Real Madrid, a été démis hier à deux jours de l'entrée en lice face au Portugal au Mondial-2018, un cataclysme qui plonge la Roja dans une crise inédite. L'effet domino de la démission de Zinédine Zidane au Real a été dévastateur pour le football espagnol: deux semaines plus tard, le club merengue a scellé le recrutement d'ici juillet de Lopetegui, qui venait pourtant de prolonger jusqu'en 2020 avec l'Espagne, provoquant une crise de confiance autour du technicien basque. Le nouveau président de la fédération espagnole (RFEF) Luis Rubiales, élu pour faire le ménage après les scandales de l'ère Angel Maria Villar (1988-2017), n'a pas eu d'autre choix que de limoger le Basque, qui aurait pu être accusé de manque d'implication ou de favoritisme pro-Real.
«Ridicule» planétaire La presse espagnole a évoqué aussitôt la possibilité d'un attelage incluant le directeur sportif de la sélection Fernando Hierro, ancien entraîneur d'Oviedo en 2e division (2016-2017), et l'entraîneur des Espoirs Albert Celades. Une décision entérinée par la fédération qui a confié les destinées techniques de la Roja à l'ancien capitaine des Merengues et de la sélection espagnole. «Fernando Hierro assumera la charge de sélectionneur national à la Coupe du monde en Russie», écrit la RFEF dans un communiqué quelques heures après le coup de tonnerre du limogeage de Lopetegui. Voilà la Roja plongée dans le doute alors qu'elle était invaincue en 20 rencontres sous Lopetegui et qu'elle s'avançait forte de son jeu léché et de ses stars planétaires, les Iniesta, Isco, Ramos ou Piqué. Mais il est dans la nature même de cette sélection d'être travaillée par des forces centrifuges, à l'image même de l'Espagne, régulièrement secouée par les revendications catalanes ou basques. En football, ces déchirements s'incarnent avec la rivalité entre les deux grands clubs du pays, FC Barcelone et Real Madrid. L'âge d'or de la Roja est d'ailleurs intervenu lorsque les sélectionneurs Luis Aragonés (2004-2008) et Vicente del Bosque (2008-2016) ont réussi à minimiser ces frictions internes, guidant l'Espagne vers un triplé historique Euro-Mondial-Euro entre 2008 et 2012. Lopetegui, nommé en 2016, avait jusque-là réussi à naviguer entre ces deux pôles grâce à son passé de gardien de but au Real puis au Barça dans les années 1990.
Rubiales «trahi» Mais sa nomination à Madrid est venue rompre cet équilibre, laissant planer le soupçon du favoritisme pour un technicien âgé de 51 ans qui devait affronter vendredi soir Cristiano Ronaldo, la star portugaise du Real. La presse espagnole a d'ailleurs multiplié les attaques, jugeant le calendrier de cette annonce particulièrement malvenu: une «bombe», un «missile», un «coup de canon contre la sélection», ont écrit les journaux. Même s'il a assuré ne pas se sentir «trahi», Rubiales a refusé d'être mis devant le fait accompli. «La RFEF ne peut pas rester en marge d'une négociation avec un de ses employés et découvrir un accord 5 minutes avant un communiqué officiel (du Real)», a accusé le dirigeant. «Le meilleur entraîneur pour la sélection était Julen Lopetegui et pour moi c'est un professionnel impeccable. Mais la manière de faire est importante», a-t-il dit. Il faudra voir si la Roja parvient à conserver son cap sans le technicien basque. Les joueurs, eux, se retrouvent ballottés entre leur fidélité à Lopetegui et la décision de principe de Rubiales, ancien président du syndicat espagnol des footballeurs. Artisan de l'âge d'or Après une belle carrière de joueur (89 sélections, trois Ligues des champions), Hierro a été l'un des artisans de l'âge d'or de la sélection espagnole en occupant le poste de directeur sportif de la Roja entre 2007 et 2011. Sur cette période, la sélection espagnole a remporté l'Euro-2008 puis la Coupe du monde 2010, avant de décrocher sur sa lancée l'Euro-2012. Après ce mandat de quatre ans, Hierro est devenu manager de Malaga (2011-2012) puis entraîneur-adjoint de Carlo Ancelotti au Real Madrid (2014-2015). Sur la saison 2016-2017, il était l'entraîneur principal d'Oviedo, qui a terminé 9e de la deuxième division espagnole, avant de revenir en novembre dernier au poste de directeur sportif de la Roja. Face à ce criant manque de références sur un banc de touche, Hierro a pour lui la connaissance du vestiaire et ressemble à une solution de continuité pour l'équipe espagnole, invaincue depuis 20 rencontres mais forcément ébranlée par cette révolution de palais. L'Espagne, donnée parmi les favorites du Mondial, s'en remettra-t-elle ?