Les éditions Média-Plus de Constantine feront paraître dans les prochains jours Hadjira. La ferme Ameziane et au-delà, un livre poignant écrit par l'historienne française Claire Mauss-Copeaux. L'auteure s'est appuyée sur le témoignage douloureux de Hadjira, une Algérienne rescapée de la ferme dite «Ameziane», un Centre de renseignement et d'action (CRA) de Constantine à l'époque coloniale, en réalité un centre de torture, d'où on n'en sort presque jamais. Hadjira, une jeune militante engagée pour la liberté et l'indépendance de l'Algérie, a été raflée chez elle, de nuit, par une unité de parachutistes français et enfermée avec d'autres «suspects» à la ferme «Ameziane», le siège du Centre de renseignement et d'action (CRA) de Constantine. Aujourd'hu, dans ses propos, il n'y a ni haine ni vengeance. Simplement le souci de témoigner de la vérité. Claire Mauss-Copeaux est historienne de la guerre d'Algérie et des violences de guerre. Elle est l'auteur du livre pionnier devenu un classique, Appelés d'Algérie, la parole confisquée. Elle pense que si l'historien doit décrire les faits, il ne peut occulter les souffrances endurées et exprimées par les protagonistes eux-mêmes. Claire Mauss-Copeaux a publié plusieurs ouvrages sur les mémoires des conflits. Pour cela, elle a croisé des récits de vie aux archives. Son terrain d'investigation couvre les deux rives de la Méditerranée. Elle est notamment l'auteur de La Source, Mémoires d'un massacre, Oudjehane, 11 mai 1956 (Payot, 2013 ; Média-Plus, 2015) et Algérie, 20 août 1955, Insurrection, répression, massacres (Payot et Rivages, 2011 ; Média-Plus, 2012). La démarche de Claire Mauss-Copeaux est inédite. Connue pour ses travaux sur les appelés en Algérie durant la guerre, puis sur les massacres du Constantinois, elle a notamment démontré la précocité des violences durant cette guerre d'indépendance en utilisant une méthode qu'elle a fait sienne, celle de l'histoire orale. Cette méthode est à l'œuvre dans son nouveau livre qui s'arrête sur l'itinéraire d'une jeune Algérienne, Hadjira, issue d'une famille favorisée, militante active pour l'indépendance de l'Algérie, engagée au Front de libération nationale (FLN), arrêtée puis torturée dans la ferme «Ameziane». Les souvenirs de Hadjira sont retranscrits avec soin et recontextualisés. Son récit nous fait entrer dans l'enfer de la ferme réquisitionnée par les autorités coloniales et transformée, en 1958, en centre de renseignement et d'action. Le récit nous fait entrer aussi dans l'écurie où les femmes attendent la séance de torture. Les militaires et les policiers interrogent, aussi longtemps que les responsables le jugent nécessaire, des suspects raflés à Constantine et dans sa région. La faim, la saleté, les insultes préludent aux gifles, aux coups de pied et de poing, puis aux supplices de la baignoire, de l'électricité et de la roue. Des Algériennes n'en ressortent pas vivantes. Hadjira se souvient de Meriem Saâdane. Dans la ferme, toute humanité a disparu, jusqu'aux noms et prénoms. Ainsi, quand Hadjira en sort et intègre d'autres lieux du dispositif répressif (le commissariat du Coudiat puis le camp du Hamma), elle note : «Enfin, notre nom était écrit ! Nous étions identifiées, nous ne risquions plus de disparaître. Enfin nous existions.» (p. 103) Née en 1937, Hadjira avait 21 ans lors de son arrestation. Elle est issue d'une famille de notables. Un de ses grands- pères était cadi et l'autre mufti. Son père, de double culture, est devenu interprète judiciaire au tribunal de Guelma puis, en 1942, à Constantine. Il choisit d'inscrire sa fille dans un cursus scolaire complet. Claire Mauss-Copeaux a retrouvé ses livrets scolaires. Ils montrent ses nombreuses aptitudes en classe. Hadjira devient, elle aussi, une fille dotée d'une double culture et travaille aux PTT après avoir participé à la grande grève des lycéens et étudiants de mai 1956. Son père cherche un appartement au quartier européen. Le propriétaire est prêt à signer le bail. Avec son allure d'Européen, son nom de famille à consonance italienne et son métier, le père de Hadjira semble être le parfait candidat. Mais en découvrant le prénom «Ahmed», le propriétaire se rétracte. La famille cherche un autre logement, non loin du premier, rue Fronton. Dans ce quartier, les Algériennes sont nombreuses à venir comme employées de maison. Hadjira note : «Presque tout le monde avait une femme de ménage. Maman, elle aussi, avait une femme de ménage, qui venait l'aider, mais nous l'appelions par son prénom et, à midi, elle mangeait à table, avec nous.» (p. 35) Pour les autres, ces femmes sont des «Fatmas», selon la terminologie coloniale de l'époque. Ainsi, donner un prénom, c'est redonner une dignité. Hadjira sera placée dans une «classe pour Arabes» alors qu'elle est inscrite dans une «classe normale». Les propos, en apparence anodins mais lourds de sens, de voisines, comme le «tu es comme nous» qu'une européenne de Constantine adresse à Hadjira l'a font réfléchir. Avec la guerre, la «chasse aux Arabes» et les «ratonnades» se multiplient. Hadjira choisit son camp, celui du FLN. Sur le conseil de son amie Fadila, la sœur de Meriem, elle rejoint l'organisation politico-administrative du FLN. Elle choisit aussi de transporter des fonds et des armes, et de transformer son logement en refuge. «Claire, tu as dû te rendre compte qu'il m'a été très difficile de raconter ces événements», confie-t-elle à l'historienne (p. 8). Mais il faut des années avant que les deux femmes se rendent ensemble dans la ferme, faisant resurgir le souvenir traumatique. «Même si cela reste difficile pour moi d'écrire, je le fais avec tout mon cœur, et j'irai jusqu'au bout, jusqu'au bout d''Ameziane''. Cette page que je noircis, j'aimerais qu'elle puisse figurer en bonne place dans ton ouvrage, Claire, car c'est pour moi une sorte de dédicace» (p. 10), dit Hadjira à Claire Mauss-Copeaux. Kader B.