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Un bad trip jusqu'au bout de l'enfer
KHALIL DE YASMINA KHADRA
Publié dans Le Soir d'Algérie le 31 - 07 - 2018

Le nouveau roman de Yasmina Khadra, Khalil, sera sur les étals des librairies le 20 août 2018, chez Casbah-Editions. Le 25 du même mois, date de son lancement, une rencontre publique et une séance de dédicaces avec l'auteur sont prévues à Sidi-Bel-Abbès.

Outre l'Algérie, le livre paraîtra simultanément en France (Julliard), en Italie (Sellerio) et en Espagne (Allianza). Le public algérien est naturellement en droit de se demander si ce nouveau roman va répondre, cette fois encore, à leur attente tant l'écrivain a un talent reconnu, lui dont on ne se lasse pas de lire les histoires.
De fait, on peut déjà souligner que Khalil est à la hauteur des œuvres précédentes, peut-être même parmi les plus remarquables. Le récit est dense, complexe, dur, palpitant, bouleversant.
La fureur et la folie des hommes, leurs frustrations, leur psychologie sont mises en scène dans les règles de l'art. Car, en plus de parfaitement maîtriser sa technique, l'auteur fait intervenir d'autres règles liées à l'inconscient, l'instinct, l'inspiration, la passion, le délire, la folie, le rêve. Le tout s'inscrit dans un système complexe d'images et d'émotions entrecroisées, contrariées, qui insufflent un mouvement tumultueux à l'intrigue. Dans Khalil, Yasmina Khadra poursuit son œuvre de renouvellement littéraire et d'immersion dans l'inconscient humain, tout en continuant d'explorer le monde et d'interroger l'actualité brûlante.
Dans son dernier roman, l'écrivain s'est inspiré des attentats du 13 novembre 2015 en France, une série de fusillades et d'attaques-suicides perpétrées par une organisation terroriste islamiste à Paris, à Saint-Denis, aux abords du Stade de France. Au cours de la soirée, trois kamikazes se font exploser près de l'enceinte du stade, alors que trois autres individus mitraillent des terrasses de cafés et de restaurants dans les 10e et 11e arrondissements de Paris.
Le troisième commando s'est attaqué à la salle de spectacle du Bataclan (11e arrondissement), le lieu des attentats les plus meurtriers. Des Belgo-Marocains y étant impliqués, à l'époque on parlait beaucoup de «la filière belge», de ses ramifications, etc. Parmi les explications des «experts» et autres politologues quant au profil psychologique des «djihadistes», il y avait beaucoup d'élucubrations coupées de la réalité.
Dans Khalil, justement, Yasmina Khadra propose de dépasser de telles théories peu sensées. Il entraîne le lecteur de l'autre côté du miroir, de l'autre côté de la réalité, à la recherche de la vérité (si tant qu'il y en ait une). Pour ce faire, il s'est mis dans la peau d'un kamikaze et il a créé Khalil, un jeune Bruxellois né dans une famille d'origine marocaine. L'auteur suit, pas à pas et à la trace, le parcours et la dérive tragique du jeune homme. Surtout, il a fait de Khalil le narrateur de cette histoire, le «je» personnel étant la plus simple façon d'humaniser le texte et de révéler l'intimité du personnage, ce qui se passe dans son esprit.
La plongée est alors vertigineuse : l'attitude, les idées qui déterminent, orientent l'action de Khalil sont mises à nu, de même que ses humeurs, ses pensées intimes, ses doutes, ses frustrations, ses rêves... Un homme dans toute sa complexité et sa fragilité. Un homme qui se met d'étranges folies dans la tête, souvent insaisissable, mais un homme capable d'analyser et de s'analyser malgré un comportement faussé. Parfois même d'une implacable lucidité et pouvant décider de son destin. Khalil est un personnage actif, ayant du caractère, fait de chair et de sang, qui se creuse le cerveau, déchiré de contradictions. La force de l'écrivain, c'est de rendre, tout au long du récit, ce côté humain, captivant, loin des stéréotypes et des profils du «prêt-à-penser».
Dire le monde tel qu'il est, pour Yasmina Khadra, c'est déjà démarrer en trombe et dès l'entame du récit : «Nous étions quatre kamikazes ; notre mission consistait à transformer la fête au Stade de France en un deuil planétaire» («Les oiseaux d'Ababil», première partie).
Premières présentations, tout aussi énergiques : «Serrés dans la voiture qui nous transportait à vive allure sur l'autoroute, nous ne disions rien. Il y avait deux ‘'frères'' que je ne connaissais pas, un devant Ali le chauffeur, l'autre sur la banquette arrière à côté de Driss, et moi.» Dans ce chapitre d'ouverture, le lecteur découvre les premiers liens visibles avec l'histoire qui va suivre. Grâce au monologue intérieur de Khalil, alors que la voiture roule vers le Stade de France. Molenbeek... «La voix de Lyès revenait sans cesse me rappeler à l'ordre : ‘'Tu veux finir comme Moka ?'' Moka était un peu l'idiot de Molenbeek. A soixante ans, il demeurait le même gamin des faubourgs où les nuits arrivent trop vite.» Lyès, lui, appartient à une génération qui ne veut pas pourrir sur pied. Pourtant, «à l'époque, l'adolescent Lyès n'avait ni dieu ni prophète». Comme pour d'autres, «eh bien, tout ça était fini. Kamis et barbe rougie au henné, Lyès avait trouvé sa voie et occupait le rang d'émir, preux chef de guerre». Surtout, il avait changé le destin de Khalil : «Il m'avait éveillé aux indicibles beautés intérieures et avait fait de moi un être éclairé. Ma ‘'chienne de vie'', je l'avais roulée dans un torchon et jetée au caniveau. Ce que je laissais derrière moi ne comptait pas. Le meilleur de moi-même était au bout de cette route qui filait droit, aussi euphorique qu'un tapis volant.»
L'auteur continue de filer les métaphores. L'art du monologue fait entrer en scène d'autres personnages : «Je n'avais jamais été à Paris. Ma tante maternelle y résidait, pourtant. (...) Ma tante avait bien négocié sa vie ; elle habitait un beau quartier donnant sur la Seine et, malgré son veuvage prématuré, elle avait fait de ses deux filles un médecin et une architecte, et de son fils un banquier, alors que ma jumelle Zahra, à peine mariée, avait été répudiée sans ménagement au bout de quelques mois, et que Yezza, ma grande sœur, trimait dans un atelier clandestin à soixante-dix kilomètres du bercail, tandis que moi, le garçon, le mâle, celui qui se devait de faire la fierté de son père, je n'avais même pas été fichu de tenir deux années de suite au lycée.»
Le narrateur essaie, en vain, de faire le vide dans sa tête. Allait-il manquer à sa famille ? «A ma jumelle, sans doute. A ma mère, peut-être. Pas à Yezza. Pas à mon père. Nous ne nous connaissions presque pas, mon père et moi... Ma famille, c'étaient les copains ; ma maison, la rue ; mon club privé, la mosquée.» Les parents ? «Ils moisiront comme les herbes folles, pitoyables et inutiles, décrétait un prêcheur venu de Londres donner un sens à notre existence». Dans la voiture, il y avait Driss, l'alter ego : «Nous nous connaissions depuis notre plus tendre enfance, Driss et moi. Nous habitions le même immeuble, rue Melpomène, à Molenbeek, avions été à la même école, assis côte à côte au fond de la classe, contents de faire les malins...» Khalil est déterminé à aller jusqu'au bout, «plus que jamais, malgré les mauvaises questions» qui lui traversaient l'esprit. Il ne veut pas finir comme Moka. La chute du chapitre premier est magistrale : «Arrivé à cette ultime bretelle, j'étais fixé sur mon cap : j'avais choisi sous serment de servir Dieu et de me venger de ceux qui m'avaient chosifié. En ce vendredi 13 novembre 2015, j'allais accomplir les deux à la fois.»
La suite est bourrée de rebondissements, de scènes et séquences en action continue, de dialogues réels, percutants (le franc-parler des personnages aux psychologies diverses). Yasmina Khadra use d'un style ardent, impétueux, explosif pour accompagner Khalil jusqu'au bout de l'enfer. Dans ce voyage initiatique à rebours, le narrateur se réveille régulièrement de son cauchemar, mais le cauchemar continue de se poursuivre à cent à l'heure. La faille, le doute, les questions, l'absurdité du monde ? Malgré lui, ou peut-être à cause de sa personnalité ambivalente, Khalil va traverser une autre frontière : il fait des incursions timides de l'autre côté du miroir, à la quête de lui-même. Car l'être intelligent a la faculté de connaître et de comprendre ses semblables, quoique, ici, un fragile philosophe. «C'est la première fois de ma vie que je me sens important», avoue le kamikaze. «Mon aller simple pour le Firdaous», ironise-t-il ensuite en prenant son ticket de RER. «Driss et moi avions été préparés pour la mission au cours des cinq dernières semaines. (...)
Le cheikh voulait vérifier si nous étions des «bombes solvables», ajoute-t-il, mi-figue, mi-raisin. Khalil a donc une «dette» à payer. Il est l'un des oiseaux d'Ababil : «Je glissai ma main dans la poche de mon veston, pensai à Driss, à ma sœur jumelle et à ma mère, récitai la chahada en mon for intérieur et pressai sur le poussoir relié à ma ceinture d'explosifs... Rien. Je mis plusieurs secondes à réaliser que la charge que j'avais autour de la taille ne répondait pas...» Les événements s'accélèrent. Le rythme est haletant. Khalil réalise qu'il est toujours vivant. Hurlement des sirènes. Des attentats ont eu lieu place de la République. Il appelle Rayan, un ami d'enfance qui vient le récupérer en voiture. Rayan le dépose à l'entrée de Mons où habite Yezza. En examinant la ceinture d'explosifs, khalil découvre un téléphone portable dissimulé derrière le système de mise à feu. «Avait-on cherché à me faire exploser à distance ?» s'est-il demandé.
Entretemps, il apprend une triste nouvelle : «Ma cousine est décédée pendant qu'elle festoyait dans un concert. Je suis vivant alors que je devais mourir. Ce sont les foucades du destin. Personne n'échappe au sien.» Autre ironie du sort, Driss est mort en kamikaze, même s'il «a été sa seule victime». Le problème, c'est maintenant de convaincre Lyès et le cheikh qu'il n'était pas un lâche, que la faute incombait à l'artificier. Ah! Driss. «Rayan, Driss et moi sommes nés entre mars et juillet 1992. Dans le même immeuble, rue Melpomène, à Molenbeek. (...) Rayan, Driss et moi avions appris à tenir sur nos pattes sous le même toit et nous nous étions cassé la figure sur le même carrelage...» Sauf que «Rayan était un élève brillant», que «son mari tué dans un accident de la route», la mère de Rayan «élevait son fils unique avec une totale abnégation».
Depuis, Rayan était devenu un «as de l'informatique» et travaillait dans une société de management. «Driss excella en menuiserie, où il laissa deux doigts. Moi, je vivotais de petits boulots et d'air frais, sans trop me soucier du lendemain.» Réaction de Rayan à la mort de Driss : «Driss voulait tuer des gens qui ne lui avaient rien fait. Où est Dieu dans tout ça ? Il s'agit de barbarie.
C'est lâche, minable et triste...» Bien sûr, Khalil est convaincu du contraire : «Driss avait choisi l'éternité. J'étais sûr qu'il était comblé, ‘'là-haut'', ange parmi les anges baignant dans la félicité.» Il pousse alors ce cri (dans un monologue intérieur en italiques) : «Tu veux trinquer avec tes patrons, épouser une mécréante, vivre sans Dieu et sans retenue ? C'est ton choix. Nous avons fait le nôtre, Driss et moi... (...) J'étais la lie de l'humanité, Rayan (...). Et la mosquée, plus qu'un refuge, m'a recyclé comme on recycle un déchet. Elle a donné une visibilité et une contenance aux ‘'intouchables'' que nous étions, Driss et moi.»
Depuis son retour, Khalil se sentait «un mort-vivant errant dans le brouillard» et «aussi vide qu'un sachet gonflé de vent». Engagé par Souleymane le Turc comme livreur et gardien de nuit, il «oublie» de faire sa prière, ne voit pas l'ombre d'un «frère» («Que Dieu me pardonne, j'étais presque content de ne pas les croiser sur mon chemin»). Mais alors, qui est vraiment Khalil ?
«Le concerto en do mineur pour un kamikaze» (le titre de la deuxième partie du livre) ressemble à une sonate en plusieurs mouvements, alternativement lents et rapides. Le travail d'introspection (les éclairs de lucidité, les interrogations) le dispute à l'immersion et à l'action. Beaucoup de choses vont arriver, à un train d'enfer. Khalil est reçu par le cheikh («l'imam révéré»). Il a été choisi pour frapper des cibles à Marrakech.
Les attentats du métro, à Bruxelles, ont fait cinq morts. Renié par son père, sa sœur jumelle morte dans les attentats du métro, il est réconforté par les «frères» qui, pourtant, lui avaient caché la vérité (sur la mort de Zahra) et avaient avancé la date de son départ pour le Maroc.
Khalil en était arrivé là. Et, «ces choses-là, Rayan ne pouvait pas les comprendre. Et Moka qui lui disait : ‘'Le devoir, Khalil, est de vivre et de laisser vivre. Il n'y a pas plus précieux que la vie et nul n'a le droit d'y toucher.'' Alors, «à quoi servirait mon suicide ? à gâcher les rêves des autres parce que j'avais pris les miens en grippe ? J'étais arrivé au bout des choses, épuisé, pitoyable et aigri». Khalil n'allait-il laisser derrière lui qu'amertume et regrets ? La chute finale à cet état de bad trip vécu par le narrateur est désarçonnante, mais une sorte d'aboutissement logique.
Cela s'appelle conclure avec panache. En plus d'être fin psychologue, l'auteur laisse au lecteur la liberté d'imaginer, d'interpréter. Yasmina Khadra ne cherche pas à faire dans la manipulation ou le voyeurisme, il veut rester dans l'implicite, dans l'art du raccourci et du sous-entendu, du non-dit. La magie de l'écriture, c'est aussi cette part de mystère et de secret, toutes ces touches d'humanité qui illuminent le roman et amortissent ses effets coup-de-poing.
Les consciences tourmentées trouveront, dans Khalil, certaines réponses aux questions qu'elles se posent. Un livre à dévorer.
Hocine Tamou
Yamina Khadra, Khalil, Casbah éditions, Alger 2018, 264 pages, 990 DA.


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