Le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, «invite» le président de l'Assemblée populaire nationale à «préserver son image d'ancien moudjahid» et à «tirer les conclusions nécessaires», c'est-à-dire déposer sa démission, comme réclamé par les 361 députés appartenant aux partis de l'Alliance, dont le Rassemblement national démocratique que dirige Ouyahia. Kamel Amarni - Alger (Le Soir) - Ouyahia a d'ailleurs profité de l'occasion d'une activité du RND, «une conférence nationale des femmes du parti» pour tenir une «rencontre avec la presse» tenait-il à préciser, hier samedi à la Mutuelle de la centrale syndicale de Zeralda. Le Premier ministre tenait, à l'évidence, à s'exprimer et lancer des messages. Notamment, s'agissant de ce qu'il convient d'appeler «l'affaire Bouhadja». D'emblée, il dira : «Ce qui se passe à l'Assemblée n'est pas une crise. C'est un problème interne à l'APN. C'est un problème entre le président de l'APN et ses pairs qui l'avaient élus à ce poste.» Cette sortie calculée du patron du gouvernement constitue en fait la position du pouvoir dans cette affaire. «Certes, expliquera Ouyahia, la Constitution ne prévoit pas de cas de destitution par retrait de confiance (…) Ce que dit Bouhadja n'engage que lui. Je n'ai pas à le commenter. Le RND a cent députés à l'Assemblée et ils ont tous signé la motion. Au total, ils sont 361 députés à la signer, soit les troisquarts de l'Assemblée. De quelle légitimité doiton alors tenir compte ? Celle des textes ou celle de la réalité sur le terrain ?». Cela étant, et en des termes très diplomatiques, Ouyahia invitera Bouhadja à jeter l'éponge. «Il n'y a pas de crise à l'APN mais une situation de blocage. Et je ne pense pas que le président de l'APN, avec son passé et sa sagesse, accepte une telle situation de blocage». Et, pour mettre fin aux folles spéculations entourant toute cette affaire, Ouyahia dira, crûment, et à plusieurs reprises : «Dans tous les cas, il n'y aura pas de dissolution de l'APN, car il n'y a pas de crise politique dans le pays pour aller vers la dissolution. Je dis cela, pour vous la presse, mais aussi pour certains qui veulent faire peur aux députés en brandissant cette menace de dissolution». Ici, Ouyahia cible clairement Saïd Bouhadja qui, depuis l'éclatement de cette affaire, tente de faire renverser la vapeur en sa faveur en brandissant, dans les coulisses, le spectre de la dissolution, qui est effectivement la hantise de tout parlementaire. Le patron du RND et Premier ministre confirme, à sa manière, l'action concertée des partis de l'alliance dans cette affaire et, partant, la position de l'Etat, c'est-à-dire la présidence : «Oui, bien sûr que les députés du RND m'ont consulté au sujet de la pétition ou de la motion. Et je vous informe que je n'ai pas objecté cette démarche». D'un autre côté, Ouyahia signifiera à Bouhadja qu'il ne pourra en aucun cas peser sur le cours des événements : «Même le projet de loi de finances pour 2019 ne pourra être bloqué. La Constitution est claire et permet au président de la République de légiférer. D'autant plus, d'ailleurs, que cette Loi de finances ne prévoit aucun nouvel impôt». Ouyahia ira encore plus loin lorsqu'il ajoutera : «Je n'ignore pas les desseins de certains qui tentent de faire croire qu'on ira vers la dissolution pour organiser des législatives anticipées et reporter les présidentielles. Il n'y aura ni dissolution, ni plan B ni aucun autre scénario. Les élections présidentielles auront lieu en avril 2019. Reste juste à en fixer le jour et la date exacts». Pourquoi la présidence ou Bouteflika n'interviennent pas directement dans cette affaire, comme ne cesse de le réclamer Bouhadja ? «Il y a le principe de séparation des pouvoirs. Il (Bouhadja Ndlr) tire sa légitimité des députés qui l'ont élu. Notre souhait est qu'il fasse primer la sagesse dans cette affaire». Profitant de l'occasion de cette rencontre avec la presse, Ouyahia a tenu, par ailleurs, à réitérer son appel «au président Abdelaziz Bouteflika pour se présenter pour un cinquième mandat». «Il n'y a pas de crise entre l'Algérie et la France» Sur un autre plan, diplomatique celui-là, le Premier ministre a tenu à s'exprimer sur les récents développements connus dans les relations entre Alger et Paris. «Il n'y a aucune crise entre l'Algérie et la France. L'Algérie n'a fait qu'appliquer la règle de la réciprocité sur deux dossiers, que sont la politique des visas et la protection des représentations diplomatiques.» Cela dit, Ouyahia dissocie les relations officielles entre les deux pays avec la sortie de l'ancien ambassadeur de France à Alger, Bernard Bajolet : «Je crois, personnellement, qu'il est utile de lire son livre (de Bajolet Ndlr) entièrement. Il y consacre 30 pages pour l'Algérie car on ne peut pas écrire plus que cela, plus de 30 pages, pleine de haine envers l'Algérie. C'est un torrent de haine. (…) Bajolet peut déverser son fiel, mais comme le dit l'adage, les chiens aboient et la caravane passe. Le Président Bouteflika a été élu par le peuple algérien». Pour Ouyahia, Bajolet représente un camp, celui qui, en France, n'a jamais digéré l'indépendance de l'Algérie, à savoir l'extrême droite. Cela étant, les relations officielles «suivent leur cours normal. D'ailleurs, des réunions au niveau des experts, puis des ministres sont prévues pour les jours à venir. Et la réunion de la haute commission mixte que présideront les deux Premier ministres des deux pays se tiendra en décembre prochain à Alger». Ouyahia a, en outre, abordé dans sa sortie de ce samedi, de nombreuses autres questions de l'actualité nationale, comme les récents changements au sein de l'armée, les intempéries, l'épidémie de choléra ainsi que les contestations épisodiques, au sud ou alors les manifestations récurrentes des rappelés de l'armée. Au sujet de ces derniers, il dira sans ambages : le ministère de la Défense nationale a, à plusieurs reprises, précisé qu'il s'agissait, non pas des rappelés au service national, mais d'éléments radiés de l'armée. Aussi, je me demande pourquoi ces gens-là ne se manifestent qu'à chaque fois qu'approchent des échéances électorales majeures? Sont-ils en train de manifester pour réclamer des droits ou sont-ils utilisés ?». Cette accusation de Ouyahia rappelle celle lancée par le chef d'état-major de l'ANP, Ahmed Gaïd Salah, en août dernier qui lançait une ferme mise en garde à «certaines parties et personnes qui sont prêtes à mettre l'Algérie à feu et à sang pour préserver des privilèges ou arriver au pouvoir»… K. A.