La 3e édition des Journées internationales de philosophie d'Alger s'est ouverte, hier, à l'Institut français sur le thème de la violence. L'événement qui se poursuit aujourd'hui donne la parole à une dizaine de chercheurs et philosophes algériens et étrangers. Ce thème s'est imposé selon la philosophe et islamologue Razika Adnani, présidente et fondatrice des Journées de la philosophie, car «le phénomène de la violence a toujours accompagné l'histoire de l'humanité et l'être humain n'a pas cessé d'y recourir pour réaliser ses désirs et ses objectifs». Elle est fondamentalement une question philosophique puisqu'elle est débattue, analysée et étudiée depuis l'Antiquité à nos jours. Certains philosophes l'ont condamnée, d'autres l'ont justifiée comme Hegel, Marx et Jean- Paul Sartre. Lors de sa conférence inaugurale intitulée «La conscience morale face à la violence», Razika Adnani part du postulat : la violence est immorale par principe. Et de développer : elle est immorale car elle consiste en l'usage de la force afin de causer une douleur physique ou psychologique chez l'autre, afin de le contraindre à la soumission ou à l'acceptation de nos désirs. C'est donc nier l'autre et lui dénier ses droits. La conférencière insiste : la violence est immorale quels que soient les arguments utilisés par celui qui l'exerce et quelles que soient les circonstances. La prise de conscience quant à ce caractère immoral ne date pas d'aujourd'hui, précise-telle, mais elle est plus fortement marquée à l'ère contemporaine notamment après le traumatisme des deux Guerres mondiales et la mise en place des droits humains. La question est donc : pourquoi persiste- t-elle ? Razika Adnani invoque Platon qui écrivait : «Nul n'est méchant volontairement» pour étayer la thèse selon laquelle la violence serait le résultat direct d'une conscience inactive, démissionnaire ou spectatrice. Ce qui engendre la banalisation de la violence : «Banaliser, c'est cesser de condamner, voire accepter» et cela conduit à «une moralisation tacite de la violence », mais parfois explicite également, à travers le discours (considérer la violence comme le seul moyen de se protéger et se faire respecter au sein du groupe) et les concepts (légitime-défense, violence légitime ou monopole de la violence par l'Etat selon Max Weber, guerre juste, guerre sainte, etc.) Ces concepts, poursuit l'intervenante, tire leur sens du principe «La fin justifie les moyens» : si la finalité est morale comme dans le cas d'une guerre d'indépendance, les moyens immoraux (la violence) sont, de ce fait, légitimés. Or, il existe toujours un risque que ces moyens s'accaparent la valeur morale de l'objectif et deviennent indépendants de la fin qui les justifie. Ainsi, elle évoque l'exemple algérien : ou comment la violence «moralisée» de la guerre d'indépendance n'a pas cessé pour autant une fois l'indépendance obtenue. Et d'expliquer : «Un peuple qui obtient son indépendance par la violence risque de sublimer cette dernière et la considérer comme l'unique moyen d'atteindre ses objectifs. En outre, aucun travail éducatif n'a été fait au lendemain de l'indépendance pour rétablir la violence dans sa définition strictement immorale. Enfin, l'absence d'une justice forte et équitable est le meilleur terreau pour la violence sociale». Par ailleurs, Razika Adnani revient sur les cas impérieux où la violence s'impose comme le seul mode d'action possible : la légitime défense et la lutte pour se libérer. Or, nuance-t-elle, «il est indispensable que la conscience morale demeure vigilante et lucide quant au caractère immoral de la violence et quant à la nécessité de cesser son usage dès que l'objectif est atteint». Les journées internationales de philosophie d'Alger se poursuivent aujourd'hui avec, au programme, quatre conférences animées par la critique cinéma Nadia Meflah sur le thème «Qu'est-ce qu'une image violente ?», l'universitaire Naïma Hadj- Abderrahmane qui interviendra sur le rapport de la philosophie à la question de la violence à travers les cas de Platon et d'El Kindi, le professeur Smaïl Mehnana qui nous parlera de la violence symbolique dans l'espace public et enfin le chercheur Guillaume Sibertin-Blanc qui abordera le thème «Qu'y a-t-il face à la violence ? Contre-violence, non-violence, anti-violence ?». S. H.