Le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, a saisi l'opportunité de la réunion gouvernement-walis, qu'il a clôturée, jeudi dernier, au Palais des Nations à Club-des-Pins pour rappeler certaines vérités «crues» sur la situation financière très difficile du pays. Chiffres à l'appui, le chef de l'exécutif tire la sonnette d'alarme et, en filigrane, prépare l'opinion à de prochaines réformes et mesures peu populaires mais néanmoins indispensables. Certainement, après la présidentielle. Kamel Amarni - Alger (Le Soir ) - «Je vous rappelle, dira-t-il d'emblée, que le prix du baril de pétrole a connu une grave chute de 70% en 2014, passant de plus de 100 dollars à près de 30. Le budget de l'Etat a pu tenir jusqu'en 2016 grâce à une épargne publique proche de 6 000 milliards DA accumulée dans le Fonds de régulation des recettes (…) Ce fonds a été totalement épuisé au début de l'année 2017.» C'est, en effet, cette situation qui avait poussé le gouvernement à recourir au financement non conventionnel, c'est-à-dire à l'endettement auprès de la Banque d'Algérie, à partir de cette période. «A ce jour, annoncera Ouyahia, le Trésor a emprunté près de 4 000 DA auprès de la Banque d'Algérie, ce qui représente une dette publique de 36% du PIB.» Le Premier ministre estime que «cela n'est pas une catastrophe comme le prétendent certains et cela n'a pas produit une explosion de l'inflation comme d'autres l'annonçaient : l'inflation est à moins de 5%». Cela étant, Ouyahia prévient que cette solution n'est que conjoncturelle : «Le financement du Trésor auprès de la Banque d'Algérie cessera en 2022 conformément à la loi. D'ici là, nous devrons avoir progressé dans les réformes qui nous permettront de rétablir l'équilibre du budget de l'Etat.» Cela, avertit encore Ouyahia, en évitant «aussi de tomber dans l'illusion d'une remontée des prix du pétrole : ils viennent de perdre de nouveau 30% ces dernières semaines». Pour éviter des conséquences dramatiques de ce deuxième grand choc pétrolier que connaît le pays après celui de 1986, Ouyahia n'ira pas par trente-six chemins en annonçant des «réformes à un rythme supportable». Connaissant la frilosité du front social et la difficulté de faire admettre quelques réformes douloureuses, le Premier ministre prendra le soin de préciser en effet : «Nous devons rationaliser nos dépenses grâce à des réformes qui sont en cours de préparation et qui seront mises en place à un rythme supportable pour la société et sans casser la dynamique de développement.» Des réformes qui seront d'ordre social et économique. Ouyahia citera à titre d'exemple les commandes publiques. «Nous devons pousser les entreprises qui contractent les commandes publiques de réalisation à revoir à la baisse leurs offres.» De même que «les ministères et les wilayas doivent adapter leurs demandes de projets à réaliser non seulement à la situation financière du Trésor mais aussi à la réalité du portefeuille national des projets déjà inscrits». Ouyahia révélera, d'ailleurs, sur ce sujet que «les mesures prises avec les ministères bloquent toute nouvelle inscription jusqu'en 2021». En contrepartie, nuancera-t-il, «nous continuerons à dégeler des réalisations déjà entamées, selon les capacités financières disponibles». Pour rappel, d'innombrables projets avaient été, en effet, gelés, comme mesures d'urgence face à la chute brutale des prix du pétrole par un Conseil des ministres restreint, en juin 2014. Certains ont, depuis, été dégelés notamment dans les secteurs de l'éducation, du logement, ou des infrastructures de base. Ouyahia justifie la levée du gel sur certains de ces projets par les exigences de faire face à un autre défi : la croissance démographique. Il donne d'ailleurs un chiffre qui donne un aperçu sur l'ampleur de ce défi : «Comme vous le savez, la population augmente à présent chaque année d'un million de citoyens. Ce sont là autant de demandes nouvelles dans tous les domaines.» Il s'agit, en particulier, d'infrastructures dans le domaine de l'éducation, du logement et, enfin, de l'emploi. «Combattre les troubles dans les cités, les stades et la voie publique» Dans son discours devant les membres du gouvernement, les walis, les élus locaux mais aussi tous les cadres de l'Etat, le Premier ministre n'a, par ailleurs, pas manqué d'évoquer l'autre fléau qui frappe de plein fouet la société algérienne ces dernières années : la violence. «S'agissant de l'amélioration de la sécurité publique, le pays soutient un nombre incalculable d'associations locales qui doivent être mises à contribution dans la prévention des incidents et dérapages sur le terrain.» Ceci, côté sensibilisation. En parallèle, Ouyahia ordonne aux représentants de l'Etat de faire montre de fermeté face à ce fléau. Il dira, à cet effet, que «l'Etat s'est également doté d'importantes forces de police et de gendarmerie parfaitement formées pour contenir toutes tentatives de semer le trouble dans les cités, dans les stades et sur la voie publique. Le gouvernement compte sur vous, mesdames et messieurs les walis, pour faire usage, avec discernement, de ces moyens préventifs et de maintien de l'ordre». Il faut dire, en effet, que depuis quelques années, notamment avec l'avènement brutal du «printemps arabe», l'Etat a sciemment fermé les yeux, se distinguant parfois par un laxisme excessif à l'égard de ce phénomène de la violence et même d'incivisme qui s'est propagé de manière alarmante. En août dernier, Ouyahia avait d'ailleurs dénoncé «cette propension au populisme chez certains, dès qu'il s'agit de combattre les troubles et l'émeute». K. A.