La maison de La Casbah, � la fin du film, s��tait effondr�e, mais pas notre �quipe nationale, vendredi soir, � la fin du match. L�id�e de projeter le film �tait, finalement, plut�t f�conde. En plus de Boudebouz, quelqu�un avait pens�, en effet, � Ali la Pointe pour gagner le match contre l�Angleterre, et Sa�dane, qui ne savait pas comment contrer Steven Gerrard et Wayne Rooney, avait trouv� l�id�e excellente. Raouraoua, lui, avait jubil�, clamant qu�il aurait m�me aim� ajouter le renfort du colonel Haou�s et de Zighout Youcef pour neutraliser Michael Carrick et Joe Cole. Alors, un des dirigeants, en arborant sa Rolex, a donn� un coup de fil sur son t�l�phone Vertu Ferrari � 18 000 euros, avec fond d��cran et sonnerie r�alis�e � partir de l�enregistrement du d�marrage du moteur de sa Ferrari 612 Scaglietti. Le lendemain, le film La Bataille d�Alger �tait l�. Et c�est ainsi que Karim Ziani, Yebda, Matmour et toute la bande des joueurs alg�riens se sont retrouv�s � regarder La Bataille d�Algerdans leur h�tel � San Lameer, en Afrique du Sud, tenus de s�inspirer d�un film sorti en 1966, racontant la Bataille d�Alger de 1957, afin de gagner un match de Coupe du monde en 2010. L�homme � la Rolex avait d�abord parl� aux joueurs, d�un ton grave : �Vous verrez comment les combattants alg�riens, avec rien, ont pu r�sister aux parachutistes fran�ais venus en force pour mater Alger. Quoi, Capello serait-il plus fort que le g�n�ral Bigeard et Jamie Carragher que Massu ?� Un vieux supporter, grincheux, avait r�torqu� qu�� l�inverse des combattants de la Bataille d�Alger, les joueurs n�allaient pas combattre �avec rien� et qu�il �tait bien difficile de ressentir l��motion d�Ali la Pointe quand on gagne 100 000 euros par mois, qu�on regarde l�heure sur une Rolex � 40 000 euros et qu�on t�l�phone avec un Vertu Ferrari � 18 000 euros assorti � sa Ferrari 612 Scaglietti gar�e dans la villa de Marbella. �Et ne l�oubliez pas : la m�re d�Ali la Pointe a v�cu dans le besoin, � Miliana, depuis 1962�� Personne ne l�avait �cout� et le film s��tait achev�, comme on le sait, par l��croulement de la maison de La Casbah, la maison du 5, rue des Abderames, o� s'�taient r�fugi�s les quatre r�sistants du FLN, Ali Ammar, dit �Ali la Pointe�, Hassiba Ben Bouali, Mahmoud Boumahdi et P'tit Omar et que les militaires fran�ais plastiqu�rent le 8 octobre 1957. La demeure s�est effondr�e sur ses quatre occupants, entra�nant dans sa chute l��croulement de la maison voisine. Bilan : 17 morts dont 8 enfants. Cinq rue des Abderames, Notre orgueil porte une adresse. Un laurier pour quatre cadavres... On dit que Halliche a pleur� devant l�image du gamin P�tit Omar, de son vrai nom Yacef Omar, jeune martyr de 12 ans qui fait partie des quatre h�ros embl�matiques de la Bataille d�Alger et dont aucune rue ne porte le nom. �Pourquoi ?� demanda- t-il � Raouaraoua. Occup� � t�l�phoner, ce dernier n�avait pas r�pondu, mais le supporter grincheux avait murmur� : �La mis�re d'un enfant n'int�resse personne !� Un joueur rempla�ant avait marmonn� : �Et dire que nos enfants ne savent rien de P�tit Omar�� On entendit le supporter grincheux r�pondre � lui-m�me : �Nos enfants nous sont vol�s, de toutes les fa�ons. Ils sont vos otages. Dans vos �coles, on leur enl�ve de la t�te ce que nous y avons mis.� - Qui leur enl�ve ce que vous y avez mis ? s�inqui�ta l�homme � la Rolex. - Ceux qui savent que la lumi�re cr�e le peuple et que la nuit enfante la pl�be. - C�est quoi cette histoire de la nuit ? Quel rapport avec le match ? - Nos enfants nous sont vol�s. Ils naissent �veill�s, ils grandissent en ben�ts. Une population de nigauds arrange les puissants. Ils savent que chaque enfant qu'on instruit est un homme qu'on gagne. Ils n�aiment pas les hommes qu�on gagne. Ils pr�f�rent l'ignorance. L�ignorance, c�est �a la nuit, monsieur ! L�ignorance du monde, de leur pass�, de leur prestige. C�est �a la nuit. La nuit qui commence l'ab�me. Nous vivons dans l�ab�me. Et cherche le rapport avec le match ! Antar Yahia, lui, �tait subjugu� par Hassiba Ben Bouali, membre d�un des r�seaux des fedayin le plus d�cisif de la Bataille d'Alger, celui des poseuses de bombes, et fut heureux de noter qu�une grande rue porte son nom � Alger ainsi qu'un grand lyc�e et l'universit� de Chlef, sa ville natale. Cinq rue des Abderames : Notre orgueil porte une adresse. Un laurier pour quatre cadavres... Cinq rue des Abderames... Derri�re cette porte, fils A l'odeur d'un �glantier, Tu chercheras l'offrande de Hassiba Entre les seins d�sesp�r�s de La Casbah. Cinq rue des Abderames. C'est l'heure de la lune et du muletier, ta t�te blonde contre deux chars, tes vingt ans et la haine de Bigeard. N�fissa arr�te la fontaine, la poseuse de bombe va mourir... Cinq rue des Abderames... Derri�re cette porte, � l'odeur d'un �glantier, je chercherai l'offrande de Hassiba, entre les seins d�sesp�r�s de La Casbah. J'irai humer dans ta nouvelle rue, ce qui nous reste de gloire, mais j'ai peur d'y perdre pied, p�lerin abandonn�, dans une cath�drale chim�rique. Trouverai-je dans les derniers galets et dans le ressac de la mer, un sel de grandeur et un soup�on d'immortalit� ? Le match est pour vendredi� Lui, il redoute Peter Crouch, le joueur de Tottenham. Un vrai renard d�avant-centre. Peter Crouch et Frank Lampard. Comment d�fendre le drapeau vert face � Peter Crouch et Frank Lampard ? Peter Crouch, un demi-si�cle apr�s Bigeard, une �ternit� apr�s Hassiba Ben Bouali� Hassiba, dans quelle �ternit� as-tu exist� ? M�me Sidi Ramdane a oubli�... Qu'ai-je � dire � cette foule orpheline V�tue de tes serments, Et de la proph�tie des Aur�s, Que j'ai vu implorer le n�ant, Autour d'un soldat inconnu, De la sauver de l'infini ? Cette foule orpheline qui crie aujourd�hui, �coute bien, �One, twoo, three, viva l�Alg�rie� Le match est fini. Nous avons r�sist� � l'Angleterre. Cinq rue des Abderames... Notre errance vient d'une tombe abandonn�e. Il nous a manqu� un jour d'humilit� pour arroser le laurier et un instant de m�moire pour r�parer la lampe du muletier. Cinq rue des Abderames... Il n'y a plus d'heure dans nos pendules apr�s l'heure ultime. La derni�re sommation, le regard solitaire de Ali, l'ultime caresse � P'tit Omar et le cri d�chirant de Bab Edzira... A l�heure du match, tout le monde avait oubli� le film. Seul le supporter grincheux se parlait � lui-m�me : �Il nous a manqu� un jour d�humilit�J'ai perdu, fils, l'heure o� se f�conda notre honneur, Comment te dire le ventre qui enfanta nos r�ves ? Hassiba, j'ai march� hier dans ta nouvelle rue Pour marchander ma part d'�ternit� Et j'ai �gar� mon nom dans ton obscurit� : Hassiba, ne pourrais-tu, un jour Allumer un r�verb�re sur nos doutes Qu'on donne un �ge � nos fiert�s, Un visage � nos illusions Et un nom � nos m�res ?�