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FLN, le moment du départ ?
Publié dans Le Soir d'Algérie le 26 - 03 - 2019

Vendredi 22 mars, des multitudes de manifestants ont crié, à gorges déployées : FLN dégage !
J'ai eu mal, très mal... Un choc reçu en pleine face. Un KO debout et une forte secousse qui a fait vibrer tout mon être... Ce cri lancé par les jeunes Algériens et leurs aînés, bien au fait de la situation présente, situation dans laquelle se noie notre glorieux FLN, et cette clameur à l'échelle d'un pays-continent, dirigée vers les tenants du pouvoir, incontestablement, qui se sont joués de tous les Algériens et de l'Histoire.
En effet, ce cri m'a fait très mal – moi l'enfant du FLN originel –, ce FLN dans lequel j'ai fait mes premiers pas en politique, dans lequel j'ai grandi, dans lequel j'ai appris les bonnes manières et les valeurs les meilleures...
Mais, entendons-nous bien... Lorsque je dis que j'ai eu très mal – au point d'en pleurer à chaudes larmes – ce n'est pas parce que les manifestants, surtout les jeunes, ont scandé cette infortunée sentence «FLN dégage !», mais parce que cela a réveillé en moi tous les démons de cette période de triste mémoire, où l'Histoire, les valeurs et les principes fondamentaux du pays ont été bafoués. Et cette période, malheureusement, persiste à nous pourrir l'existence en tentant de nous avilir, puisque confisquée par de sinistres individus aux actes malfaisants que la morale réprouve. Ainsi, comment ne pas pleurer, comment ne pas avoir mal, quand un parti créé par des Géants est foulé aux pieds par des minus, des avortons, des gueux, ... et je mesure mes mots.
Oui, je n'en veux pas à la jeunesse d'avoir contesté, abhorré et vilipendé le FLN ; elle a tous les droits parce qu'on lui a présenté un FLN de «baltadjia», de pilleurs de terrains, de malfrats expérimentés dans les affaires louches, des amateurs de «la chkara», enfin de ceux qui ont troqué un immense capital moral contre un capital bassement matériel... J'en veux au pouvoir, de ces vingt années écoulées, qui n'a pas respecté l'Histoire, les idéaux du 1er Novembre, les hommes qui ont présidé au déclenchement de la lutte de Libération nationale et à tous ceux qui ont arrosé cette terre de leur sang pur, pour que vive l'Algérie...
J'en veux à ceux-là, les tenants de ce pouvoir, qui n'ont pas révéré le martyre des Ben M'hidi, Ben Boulaïd, Amirouche, Zabana, Lotfi, Hassiba Ben Bouali, Malika Gaïd, Zouleikha Oudaï, et des centaines de milliers d'autres qui se sont engagés dans la bataille du destin sous l'emblème du FLN. Je leur en veux également de n'avoir pas respecté l'engagement, la détermination et l'honnêteté des vrais militants novembristes et des authentiques leaders du FLN qui se sont succédé, depuis l'indépendance jusqu'à Octobre 1988 : Mohamed Khider, Kaïd Ahmed, Mohamed-Chérif Messaâdia, Abdelhamid Mehri, pour nous imposer des responsables autoproclamés, qui l'ont traîné dans la boue. Je leur en veux de nous avoir imposé ces hommes «réduits bon gré mal gré à la condition de potiches de décorum» pour régenter, à leur guise, ce FLN qui ne s'est jamais autant «mal porté» que pendant cette période, à cause de leur pusillanimité, de leur servilité à toute épreuve pour combler les desiderata du maître de céans et de l'absence de programme résumé en un slogan passe-partout : «Le programme de Fakhamatouhou.»
Oui, je n'en veux pas à la jeunesse qui, encore une fois, a raison de scander «FLN dégage !», parce qu'en fait, il s'agit d'un FLN qui, selon les exigences de la démocratie, ne s'achemine pas – mais absolument pas – vers une quelconque amélioration, au regard du choix des hommes et de ses méthodes de travail.
Ainsi, me concernant, je continue à affirmer mes sentiments à l'égard de cette belle œuvre de l'Histoire, parce que j'en ai le droit, en tant que militant et responsable depuis ma prime jeunesse – ayant été le plus jeune des commissaires nationaux du Parti et de la direction politique du pays – , et ayant déjà produit 6 ouvrages le concernant : Le FLN, instrument et alibi du pouvoir, en 1992, Le FLN, a-t-il jamais eu le pouvoir ?, en 1995, La JFLN, un passé glorieux, un avenir interrompu en 1997, Le FLN, la refondation ou le musée», en 2008, «Mohamed-Cherif Messaâdia, l'homme que j'ai connu, en 2005 et Kaïd Ahmed, l'homme d'Etat, en 2011.
Tous ces écrits me donnent cette possibilité d'expliquer davantage l'état du FLN et ses rapports avec le pouvoir, les institutions et les citoyens. Ainsi, j'avais répondu franchement, comme à l'accoutumée, à un quotidien national, en février 2013, quant à la question : «que pensez-vous de la situation actuelle du parti du FLN...» Eh bien, je suis allé droit au but, sans l'usage de la langue de bois à laquelle nous sommes tant habitués, pour lui dire la vérité que n'osaient approcher d'aucuns parmi de nombreux anciens responsables, qui ne souhaitaient pas se mouiller, caressant le secret espoir d'un retour au bercail du pouvoir. Je disais que le FLN, avec ses pratiques d'aujourd'hui – nous étions en 2013 – est en train de se faire très mal, peut-être même de vivre, malheureusement, ses derniers moments, si l'on considère le vent de réformes qui souffle dans le monde. J'affirmais cela, en son temps, parce que le FLN, principale formation de notre paysage politique, n'a pas su évaluer, juste après Octobre 88, les exigences des temps nouveaux, c'est-à-dire qu'il n'a pas su adapter son discours et ses pratiques pour accompagner le vrai changement, tant attendu par le peuple et, principalement, la jeunesse qui ne se reconnaît pas depuis des lustres, dans son fonctionnement et dans sa gestion des événements qui se sont succédé dans le pays. Et là, j'avais réitéré clairement mes affirmations contenues dans mon dernier ouvrage sur le FLN, intitulé : «Le FLN, la refondation ou… le musée.» Je disais, en un mot, que le FLN était dans l'obligation historique de faire un inventaire, un état des lieux pour «se repenser» entièrement, non seulement sur le plan structurel ou organique, mais particulièrement, sur le plan politique, en clair qu'il devienne un parti au pouvoir s'il en a les moyens, sinon, un parti de l'opposition… constructive et donc positive. Appelons-le comme on veut.
En effet, parce que le FLN a grandement changé après les événements d'Octobre 88. Il a vécu une série d'évènements, aussi malheureux les uns que les autres. Il a vécu le départ de Abdelhamid Mehri après le «coup d'Etat scientifique» diligenté d'«en haut», parce que ce dernier s'était «aventuré» à positionner le FLN en véritable parti , maître de ses décisions et non en un parti alibi, rôle joué, à son corps défendant, depuis l'indépendance du pays jusqu'à l'explosion d'Octobre 88.
Il a vu également le départ de Boualem Benhamouda. Celui-ci s'en est allé parce qu'il ne pouvait composer avec une équipe qui lui avait été imposée, toujours d'«en haut», une équipe disparate d'apparatchiks sans âme et sans détermination. Pouvait-il, même s'il le voulait, déloger cette dynastie de bureaucrates ankylosés et lutter contre la corrosion qui affectait son parti ? Il ne voulait pas être victime d'un changement «nécessaire» après l'arrivée de Bouteflika, ce changement qui réponde à des «raisons impérieuses» ou, d'un autre «coup d'Etat scientifique», puisque nous sommes coutumiers de ce genre de pratiques moyenâgeuses.
Enfin, le départ de Ali Benflis. Dans quelles conditions ! Une coalition exceptionnelle contre cet «impertinent» qui, pensant faire bouger les lignes et instaurer progressivement les fondements d'une démocratie véritable en Algérie, s'en est allé à l'assaut de la citadelle en se présentant à l'élection présidentielle face au candidat du pouvoir, Bouteflika. Sacrilège..., lui a-t-on répondu! Et la justice de nuit a fonctionné... Ainsi, ce «pronunciamiento juridique» ne pouvait atténuer les rancœurs même si les militants, par trop disciplinés, assistaient indifférents ou humiliés à cette guerre fratricide qui les dépassait.
Non, le problème du FLN était et demeure «le problème du pouvoir», qui ne lui a jamais cédé ne serait-ce qu'une parcelle de son territoire, voire de son autorité ! Alors, tout ce que nous pouvons entrevoir après, c'est du domaine de la prospective, des analyses d'intellectuels qui peuvent échapper, souvent, à la réalité vécue «intra-muros». Il est vrai que le FLN, j'allais dire le FLN «originel», avait des capacités et des hommes, mais le FLN actuel, celui des cérémonies et du culte de la personnalité, celui de la vénération de «fakhamatouhou», a perdu de sa consistance, abandonnant ainsi sa «virilité». En d'autres termes, il s'est dépouillé progressivement de ce qui faisait sa force, sa qualité première, le sens du sacrifice au service de la Nation. Il s'est émoussé et ne possède plus cette vigueur pour réaliser des actions d'envergure qui lui donnaient, jadis, même sans pouvoir réel, plus de crédibilité et de respect des citoyens. Comment s'effectuera donc le changement dans ces conditions ? Je vous le demande !
Ce que j'écris là n'est pas un constat sévère, moins encore un discours défaitiste. Car, le FLN, qui aurait dû être le symbole, la fierté de tous les Algériens, ceux de la génération de la Révolution, ceux de la génération postindépendance et ceux des générations futures, a été dévoyé à des fins inavouables. Je ne fais nullement le procès au FLN qui a permis à ce pays de se libérer, de s'émanciper, d'éduquer des millions de jeunes, de s'imposer sur la scène internationale. Je ne fais que réitérer, par contre, ce que j'avais écrit dans mes ouvrages et qui s'adresse à tous ceux qui l'ont dirigé et n'ont pas su le diriger… et là, j'affirme que mon pessimisme est justifié, quand je parle du programme du FLN et que l'on me rétorque hautement, vaillamment, que son programme est celui du Président. Alors je pose la question suivante : est-ce son programme de réaliser l'autoroute Est-Ouest, les prochaines tranches du Métro d'Alger – s'il y a d'autres tranches –, les aéroports, les barrages, les infrastructures économiques, sociales et culturelles ? Sa mission, comme celle de tous les partis du monde, n'est-elle pas l'éducation et la formation de l'homme sur le plan politique, moral et patriotique ? Une mission qui lui sied, et qui fait de lui un des éléments essentiels et complémentaires de la mise en œuvre de ce vaste programme national de développement ? N'est-ce pas là son rôle, plutôt que de déclarer, toute honte bue, et de façon démagogique, «notre programme est le programme de Monsieur le Président de la République» ?
A travers cela, je ne peux qu'exprimer ma vive déception, puisque aujourd'hui force est de constater qu'il est réduit à un simple organe stérile, intermittent, dont la vie est rythmée par les élections et les prébendes y afférentes. De même qu'il se trouve présentement, lui qui jadis produisait des idées et des élites, prisonnier de quelques coteries, sans aucune légitimité, si ce n'est des alliages plus que des alliances qui, comme tout alliage, ne résiste pas à la chaleur… des épreuves et des événements.
Ainsi, les jeunes ont raison de scander «FLN dégage !» car, il s'agit de ce FLN qu'ils veulent voir partir... Alors, laissons-le partir, qu'il aille au diable ! Mais pour ce qui nous concerne, mettons le vrai, le FLN de Novembre «là où il doit reposer», après que des tempêtes violentes lui eurent «ravi» son prestige, le réduisant à un rôle subalterne, indigne de ce géant de l'histoire contemporaine de notre pays.
Oui, laissons partir ce FLN «nouveau», entre les mains de ceux qui l'ont pollué et l'ont plongé dans un tourbillon de scandales, de déshonneur de ses hommes qui lui ont fait du mal autant que les pionniers l'avaient paré de noblesse.Mais laissons immaculé le nôtre, le FLN de Novembre, pour nous enorgueillir de la mémoire de ces centaines de milliers de chouhada qui, œuvrant sous son égide, parce que convaincus de la justesse de sa cause, ont versé leur sang pur.
Laissons-le probe pour respecter ces centaines de responsables et ces milliers d'authentiques militants qui ont hissé l'emblème de ce parti haut, très haut, dans la voie de la participation au développement national, armés de leur conviction d´abord et avant tout, leur engagement total et dévouement permanent ainsi que leurs sacrifices sincères.
Laissons-le propre, loin de ces «conservateurs» et de ces «redresseurs», tristes appellations qui ont caché en réalité des jeux malsains et des alliances contre nature, amplifiant ainsi les divisions et la colère qui grondait… !
Laissons-le enfin, au-dessus de la mêlée, hors d'atteinte de cette faune d´étranges «militants» qui ne vivent que d´abjection, de rapines et de servilité, afin de plaire au maître du moment.
Alors, revenons au musée, ce lieu mythique des nobles.
Dans un entretien, publié le jeudi 15 août 2013, j'avais expliqué au quotidien qui m'avait accordé ses pages, la raison de mon insistance, développée dans mon ouvrage : «Le FLN, la refondation ou le musée...», au sujet de la refonte de notre FLN, une œuvre, un défi qui se veulent une réorganisation et une réorientation totale pour qu'il soit «en harmonie avec les exigences des temps nouveaux et surtout avec les besoins de la jeunesse algérienne qui a mûri et évolué». Ensuite, j'avais déclaré, sur un ton amer, mais avec une conscience apaisée, que le FLN aille au musée au lieu de continuer à jouer le rôle de l'«auguste zouave» du pouvoir, et servir de monture à de nombreux opportunistes pour traverser des distances et assouvir leurs ambitions débridées.
Alors, le musée est l'unique lieu pour sanctuariser le FLN et le préserver de l'acharnement des gens du pouvoir, constant et obstiné, pour étancher leur soif inextinguible qui, pour investir leurs comparses de l'historique responsabilité de la «rue du Stade» ne reculent devant rien, quitte à immoler les plus méritants au profit de pleutres et minables.
Et là, cette réalité nous est réfléchie par le ridicule et la honte qui font le bonheur de ces hordes de charognards de l'Histoire qui, placés dans les structures du FLN, font que la chaîne des vertus se volatilise, pour se transformer en chaîne de voleurs de valeurs morales. Alors, il est temps que le FLN aille au musée ; je le dis avec une conscience apaisée, avec lucidité et calme, puisque nous sommes obligés d´accepter un tel destin. Ses véritables enfants, pas «les intrus et les parachutés», comprendront que ce sera assurément le seul endroit qui lui permettra de panser les blessures qui lui ont été infligées par le temps et par les hommes.
Et puis, bon sang ! Le musée n'est-il pas le lieu où sont rassemblées les belles œuvres en général et de l'Histoire en particulier ? Le FLN, en effet, doit aller là où on saura le conserver jalousement, le distinguer et le hisser haut, très haut, parce qu'il appartient à la mémoire collective des Algériens, il est ce bien immatériel le mieux partagé par tous les enfants de ce pays, pour avoir arraché la patrie de la longue nuit coloniale dans laquelle elle était asservie. C'est pour cela que le musée n'est pas un dépit. Ce n'est pas également une requête indécente que l'on formule candidement, loin s'en faut.
Dans ses déboires avec le pouvoir de l'époque, en raison, entre autres, du rôle et de la place du FLN dans l'architecture institutionnelle du pays, Kaïd Ahmed, alors dirigeant du Parti, installé en qualité de «responsable du FLN », pour devenir quelques mois plus tard «responsable de l'appareil du parti», n'avait-il pas déclaré, avec le sens de la formule dont il avait le secret : « S'il s'agit d'enterrer le glorieux FLN, il faudrait à tout le moins lui organiser un enterrement de première classe .» Tout est dit dans cette sentence prémonitoire.
De grâce, épargnons ce patrimoine commun, symbole immortel de notre fierté. Mais au fait, n'est-il pas déjà en bonne place, dans notre hymne national, quand nous le célébrons chaque fois que nous entonnons à pleine voix «Kassamen» ?...
K. B.


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