S'adressant à Kaïd Ahmed, à Si Slimane, comme l'appelaient tous les militants, l'auteur écrit d'emblée, dans son hommage posthume : «Aujourd'hui, j'ai décidé d'écrire pour(te) faire revivre aux bons souvenirs de nos militants, mais surtout pour instruire la jeunesse qui ne t'a pas connu, l'Homme que tu étais, à travers une restitution du passé que je voudrais ordonnée de parties fondées, sur la réalité, l'authenticité et la sincérité dans le propos, à la mesure de ta grandeur, pardon, de tes grands sentiments envers le peuple et la patrie…»Cela promet, se disait-on, avant de rentrer dans les profondeurs de plus de 500 pages, même si l'on sait que la valeur d'un ouvrage n'est pas dans son volume. Mais après avoir pris connaissance des principaux chapitres et lu attentivement les bonnes feuilles, nous sommes contraints de reconnaître cette particularité de la présente livraison de Kamel Bouchama, qui se situe dans l'authenticité et la pertinence des faits et des événements qui sont relatés dans l'ouvrage. Il est certain que ce travail est le produit qui couronne un temps appréciable d'études et de recherches autour de la personnalité de celui pour qui l'auteur avait une vive admiration et auquel il vouait un respect inimaginable. Pourquoi donc ce choix…, si l'on s'essaye à lui poser cette question ? «Parce que le personnage est un Homme qui fait partie de ceux qui ont écrit l'Histoire et parce que ce choix, celui de le revisiter dans cet ouvrage, découle de cette intrigue jamais révélée en notre pays, au sujet de ce compagnon de route, au sommet de l'Etat, qui a été méticuleusement occulté après sa mort, après avoir été combattu de la façon la plus vile», vous répondra-t-il avec autant d'assurance que de sincérité. Alors, Kamel Bouchama va dans cette franchise qui lui est connue et nous assène, comme il le fait dans ses nombreux écrits : «Nous savons tous que dans l'Histoire, il y a de belles choses, mais il y a aussi de moins belles… Il faut les dire. Il faut s'assumer.» Un livre pour ouvrir un large débat sur l'histoire Cet ouvrage va éclaircir des zones d'ombre et susciter beaucoup de commentaires. C'est aussi son but premier, qui vient au moment opportun, pour soulever un débat - un grand débat certainement - que nous souhaitons large, loyal, franc, serein et fructueux. C'est dire que cet ouvrage, qui ne fait pas office de tribunal, se veut un espace de réflexion dans un esprit de droiture et de Il appelle à un débat, dit l'auteur, que je souhaiterai fécond et profitable à la mémoire de Si Slimane et par extension à la mémoire collective si malmenée lorsqu'il s'agit d'établir ou rétablir l'histoire des Hommes qui ont été les pionniers dans la construction du pays, qui ont fait la grandeur de notre Révolution.». justice. Et Kaïd Ahmed mérite bien cela, lui qui a marqué son temps par de belles expressions, de judicieuses sentences, d'importants discours, de pertinentes explications et de réels débats. Restons dans les débats. N'encourageait-il pas «ces débats faits de critique objective et responsable et d'autocritique courageuse, ne s'attaquant pas à la dignité des hommes en tant que tels mais aux aspects négatifs de leurs activités, de leur gestion, de leurs conceptions inadéquates, de leurs mauvais rapports sur le plan humain…» ? C'est exactement ce qu'il exigeait des responsables du parti dans toutes ses interventions. l a même envoyé une directive dans ce sens à toutes les instances du FLN. Alors, Kamel Bouchama n'a pas présenté un plaidoyer, encore moins un brûlot pour accuser les uns et condamner les autres, il a écrit un ouvrage pour rétablir la vérité sur l'Homme. Il estime que cela est son droit, le plus absolu, en tant (que) militant du FLN, un vrai, qui a gravi les échelons de la responsabilité, palier par palier. En effet, c'est un droit et un devoir d'aller vers cette dimension nécessaire, voire indispensable, celle qui permet de parler de ces rapports humains où il existe beaucoup de mensonges, de menteurs et de fausses reconstructions de ce qui était, de ce qui est… Car tout ce qui présente «ce qui n'est pas ou n'a jamais été» comme « ce qui est et ce qui s'est véritablement passé» entraîne l'injustice, selon Mubabinge Bilolo, le philosophe africain.L'auteur tient à cette vérité. On le sent à travers ses pages écrites avec passion quelquefois, mais toujours avec circonspection et lucidité. Un style qui lui sort des entrailles, pourrait-on le qualifier. Ajoutant à son livre, dans ce contexte, il nous déclare : «Je l'ai écrit, également, pour crier, haut et fort, non et non !... Kaïd Ahmed n'avait pas le profil de celui qu'on a accusé perfidement, de plusieurs transgressions. Une grande distance le séparait de toute cette agitation, faite d'anecdotes, de murmures, de ragots, de contrevérités, comme je l'ai soutenu, tout au long de ces chapitres, sachant qu'il était facile, en ce temps-là, de frapper d'anathème ceux qui se dressaient avec ténacité contre des fonctionnements anarchiques ou des pratiques malpropres qui choquaient la société. C'est en fait les points sur lesquels je me suis appesanti.» Quand l'Homme est desservi par ses qualités C'est pour toutes ces raisons que ce travail est venu témoigner de la grandeur des Hommes - qu'on écrit avec un grand H - de notre chère Algérie, ceux qui nous ont donné la chance de vivre des moments passionnants où le travail, le sacrifice et le rendement étaient les maîtres mots de notre participation, à leurs côtés et sous leur autorité, au développement national de notre pays. Et comment ne pas s'évertuer à présenter un témoignage pareil quand l'auteur, tout jeune, qui a connu Si Slimane, a vite compris qu'il faisait partie de ceux qui avaient non seulement l'esprit, «mais qui joignaient à leur esprit l'énergie du caractère», comme disait le moraliste, poète et journaliste, Nicolas de Chamfort.En effet, sa grandeur résidait dans ce qu'il était et, ainsi, il disposait de cette vaste culture et de ces vertus cardinales qui le faisaient celui que d'aucuns ne pouvaient être ,lui… Alors, même si durant sa vie de militant nationaliste ces qualités ne l'ont pas bien servi, à cause de l'ignorance de certains, de l'absurdité et du ressentiment des autres à son égard, elles le rendent aujourd'hui, incontestablement, mémorable… après sa mort.Il y a des vérités dans cet ouvrage, le moins que l'on puisse dire. Et ceux qui ont été crédules à la suite de cette monstrueuse manipulation concernant la «position de Kaïd Ahmed» vis-à-vis de la Révolution agraire et qui n'ont jamais essayé d'aller plus loin dans la recherche de la vérité, sauront qu'effectivement celle-ci était là, palpable, celle d'un homme noble, mais de condition modeste, au sein d'une famille en deçà de la moyenne sur le plan pécuniaire, tout le contraire du nabab, jouisseur, attiré par la magnificence démesurée.De là, écrit Kamel Bouchama, il faut avoir cette aise pour crier à la face des impénitents diffamateurs et de tous les hommes sans caractère, qui n'ont pas eu le courage de dire la vérité, alors qu'ils la connaissaient : Chapeau bas ! pour la famille Kaïd qui a supporté imperturbablement cette malveillance et ce persiflage honteux, dans un climat de délire collectif où la méchanceté et la rancune prenaient le pas sur les bonnes manières d'antan, quand l'Algérien était plus noble dans ses positions.Cette mise au point, du moins cette réplique nécessaire, ne nous permettra jamais de manifester «Gloire au marquis de Carabas !», mais de dire, tout simplement, que Kaïd Ahmed n'a jamais été le marquis de Carabas…, termine-t-il ainsi pour ce chapitre. En héritage, un mémorandum faisant office de «feuille de route» Après tant d'autres vérités, l'auteur ne termine pas son ouvrage sans se référer à ce «fameux Mémorandum», un document inédit que Kaïd a envoyé aux membres du Conseil de la Révolution en décembre 1972, avant de quitter la scène politique. Fameux, et l'adjectif est à sa place, car il fait office de «feuille de route» qui n'a rien perdu de sa pertinence, même si aujourd'hui d'autres équations nationales et internationales se sont greffées aux questions de fond, et que, toutes les avancées réalisées ici et là, en près d'un demi-siècle d'indépendance, n'ont réussi ni à éluder ni à travestir et, encore moins à dissoudre dans le tourbillon du temps, des époques et des hommes.Déjà, en 1972, Kaïd Ahmed proposait une Assemblée constituante. N'allez-vous pas dire, certainement, que le Mémorandum de Kaïd Ahmed n'a pas eu une seule ride après quarante ans ? En effet, il est toujours d'actualité puisque un des «Historiques», en la personne de Aït Ahmed, et plusieurs autres anciens responsables, prônent en cette année 2011, au vue de la situation politique, économique et sociale de notre pays, une «refondation institutionnelle» basée sur une Constitution digne de ce nom et issue d'une Assemblée constituante «librement élue».L'auteur Kamel Bouchama écrit dans ce cadre-là, que «la question des libertés fondamentales, la légitimité des institutions et des hommes, la culture et la pratique démocratique sont des problématiques auxquelles Kaïd Ahmed attachait une importance singulière qui n'était pas «négociable» et sur laquelle il ne transigeait pas. La preuve de la pertinence de ses propositions de reconstruction de l'édifice politique et institutionnel est que le pays n'a pas encore su ou pu dépasser et transcender ses contradictions et ses inerties pour se hisser à des niveaux d'émancipation politique, économique et sociale, dignes des sacrifices consenties et des potentialités plurielles de l'Algérie.»En tout cas, l'ouvrage est une suite de défense et d'explications, tant par ce qu'écrit l'auteur avec conviction, que par les nombreuses interventions et citations de Kaïd Ahmed qui viennent bien à propos pour décliner toute sa responsabilité du marasme qu'a connu le pays. C'est vrai, confirme Kamel Bouchama, «qu'on l'a pilonné de rumeurs, évidemment sans fondement pour les «initiés» du système, ces dires malveillants qui allaient leur petit bonhomme de chemin au milieu de gens qui achetaient au comptant tout ce qu'on leur présentait au marché du tumulte. Parce qu'ils ont, chez nous comme partout ailleurs, cette capacité de transformer le mensonge en réalité». Ainsi, selon l'auteur, «jeter le discrédit sur des hommes d'Etat, d'une probité reconnue, découlait d'une logique satanique qui trouvait ses origines dans une stratégie de déstabilisation, dûment arrangée et coordonnée par des porte-voix qui s'en donnaient à cœur joie pour créer les dissensions et la confusion dans le pays». Et aux termes de son ouvrage, l'auteur s'adresse à celui qu'il défend avec passion et conviction…, il s'adresse à lui, à titre posthume, pour lui dire : tu n'es pas comme ceux que décrivait le duc de la Rochefoucauld dans ses Maximes, quand il affirmait qu'«il y a des gens qui ressemblent aux vaudevilles, qu'on ne chante qu'un certain temps»… Toi, par contre, tu te situais à l'avant-garde d'une école qui enseignait la probité et l'intégrité, qui bravait le mal, l'injustice, la rapine, les passe-droits, le népotisme, enfin qui se trouvait devant le feu où s'attisaient les passions et se nouaient des alliances souvent… contre nature. Toi, en parlant de tes valeurs, je suis en train de faire œuvre utile parce que je rends un grand service à la jeunesse.Un ouvrage à lire absolument car il nous transporte dans le monde des vérités, dans ce monde qui doit être revisité, surtout à travers les honorables parcours de gens honnêtes, sincères et capables que l'Histoire, la vraie, reconnaît comme étant les siens. R. I. Kaïd Ahmed, homme d'Etat. Editions Juba. 516 pages