Fin d'une époque : Abdelaziz Bouteflika quitte définitivement le pouvoir, en notifiant officiellement au Conseil constitutionnel sa décision «de mettre fin à son mandat», ce mardi 2 avril 2019, en début de soirée. Une démission définitive qui met fin à un règne de vingt ans , le plus long de toute l'histoire de l'Algérie indépendante et qui n'aura été interrompu que par une historique révolution populaire. Kamel Amarni - Alger (Le Soir) - Une révolution populaire qui, depuis le 22 février dernier, «soufflera», d'abord, le projet du cinquième mandat , puis la tentative de prolongement du quatrième que Bouteflika voulait imposer de fait, en procédant à l'annulation de la présidentielle initialement prévue pour le 18 avril, puis, l'ultime tentative encore d'aller jusqu'au bout de son mandat expirant le 28 avril. Lundi dernier, il annonçait, à travers un communiqué de la présidence de la République, sa décision de déposer sa démission «avant le 28 avril» mais aussi, au préalable, «des mesures importantes», en vue de préparer la transition. En somme, il aura tout fait pour ne jamais quitter le pouvoir, lui qui, à 82 ans, postulait encore à un cinquième mandat, alors qu'il avait accompli le quatrième et même la fin du troisième, dans des conditions pénibles et inédites pour un chef d'Etat complètement abattu par l'AVC du 27 avril 2013 dont il ne s'est jamais relevé. Complètement affaibli par la maladie, il régnait tout de même en maître absolu, sur le pays depuis six ans. Comme en 2004, en 2009 et en 2014, Bouteflika et, à travers lui, l'ensemble du pouvoir ont tout préparé pour engager un autre mandat. Tout a été prévu dans ce sens et tout l'arsenal de l'Etat avait été engagé pour la cause du cinquième mandat. Comme d'habitude. Sauf que tout ce beau monde, le pouvoir dans toutes ses composantes, mais aussi toute la classe politique sera rattrapé par ce big bang citoyen qu'aucune partie, absolument personne n'avait prévu. Sous la terrible pression de la rue, Bouteflika multipliera concession sur concession et, en cours de route, se verra lâché et abandonné par toute l'armada qui l'entourait : partis, organisations de masse, personnalités, « amis », et, enfin, le coup de grâce : le lâchage de l'armée. Hier mardi, dans l'après-midi, l'on assistait, en effet, à un vrai « coup d'Etat pacifique », avec une réunion de l'ensemble de la composante du Haut Commandement militaire, que présidait, au ministère de la Défense nationale, le vice-ministre de la Défense nationale, chef de l'état-major de l'Armée nationale populaire, le général de corps d'armée Ahmed Gaïd Salah. Entouré de l'ensemble des membres de l'état-major, des commandants de forces, des chefs de Régions, le chef de l'armée signifiera clairement que l'institution militaire ne reconnaissait plus ni Abdelaziz Bouteflika, ni encore moins ses décisions, désormais. «Alors que le peuple algérien attendait avec impatience la satisfaction de ses revendications légitimes, parut le 1er avril un communiqué attribué au président de la République, alors qu'en réalité il émanait d'entités non-constitutionnelles et non habilitées, ayant trait à la prise de décisions importantes concernant la phase de transition. Dans ce contexte particulier, nous confirmons que toute décision prise en dehors du cadre constitutionnel est considérée comme nulle et non avenue ». Cette phrase n'est pas celle d'un opposant farouche, comme Ali Benflis mais celle d'un des plus proches de Bouteflika depuis 2004, l'homme sans qui le quatrième mandat n'aurait jamais pu avoir lieu, l'un des rares à avoir accès au désormais ex-patron, le chef d'état-major et l'homme fort de l'armée. Gaïd Salah reprend même la terminologie des manifestants et de l'opposition lorsqu'il désigne le proche entourage de Bouteflika, par le terme « bande». Le message était très clair et Bouteflika répondra à peine une heure plus tard à ce qui est , en somme, une vraie injonction ! De fait, la démission de Abdelaziz Bouteflika enclenche l'application de l'article 102 de la Constitution, comme réclamé par Gaïd Salah depuis le 26 mars dernier puis, carrément exigé hier mardi. «Une solution qui doit s'inscrire exclusivement dans le cadre de la Constitution» insistera-t-il à chaque fois. Et c'est désormais le cas puis cette démission « sans préavis», et en l'état actuel des choses, à savoir tel que laissé par cette démission, le Conseil constitutionnel doit d'abord constater la vacance du poste de Président et saisir les deux Chambres du Parlement qui se réunira de plein droit pour constater à son tour cette vacance. Dès lors, le président du Conseil de la Nation est chargé automatiquement d'assurer l'intérim du poste de président de la République pour une durée de trois mois au bout de laquelle il sera procédé à l'organisation d'une élection présidentielle. Ceci s'agissant de l'article 102. Tandis que l'article 104 de la Constitution stipule que «le gouvernement en fonction au moment de l'empêchement, du décès ou de la démission du président de la République ne peut être démis ou remanié jusqu'à l'entrée en fonction du nouveau président de la République». Une configuration qui donne, sur le terrain, une présidence intérimaire assurée par Abdelkader Bensalah ou, en cas «d'empêchement», Tayeb Belaïz, et un gouvernement, celui annoncé dimanche dernier et conduit par Noureddine Bedoui et ce, jusqu'à l'élection du prochain Président. C'est ce que stipule la «solution exclusivement constitutionnelle» réclamée et exigée par Gaïd Salah. Sera-t-elle acceptée par la rue ? C'est tout l'enjeu de la nouvelle situation engendrée par la démission de Bouteflika… K. A.