Les peuples qui ont mal � leur histoire, dont l�identit� a �t� brouill�e par les sch�matismes et les manich�ismes d�inspiration id�ologique, comme le n�tre, ont besoin des historiens. Pas de ceux qui n�ont d�historien que le titre et de savoir que les directives des pouvoirs politiques. Non ! Ceux-l� sont pires que le mal ! Mais des historiens qui se sont fix� pour mission le sacerdoce de la v�rit�, soucieux de la trouver et de la transmettre, quoi qu�elle bouleverse, et quoi qu�elle co�te. Mohammed Harbi est de ceux-l�. Il en est m�me un pionnier. Un d�fricheur. Aujourd�hui ses travaux sur l�histoire du mouvement national et celle du FLN font autorit� dans le monde entier. Ils ont ouvert la voie � une approche plus froide, moins passionnelle, plus d�complex�e, du fait nationaliste mais aussi � l��tude sereine autant que faire se peut de la colonisation et de la d�colonisation. Il montre aux jeunes historiens comment on peut analyser le comportement des colonisateurs sans diaboliser quiconque et le combat des colonis�s sans id�aliser personne. Chercher du sens, froidement, sereinement, philosophiquement, en toute situation, c�est le credo de l�historien conscient de l�importance de ses responsabilit�s �thiques et de la noblesse de sa d�marche intellectuelle. Quand il est arriv�, Mohammed Harbi a trouv� l�histoire dans un �tat quasi caricatural. Du c�t� alg�rien, celui qui nous int�resse d�abord, l�histoire du mouvement national se r�sumait � la glorification des actes lib�rateurs et � l�h�ro�sation facile des acteurs de la r�sistance dans une esp�ce d��pop�e qui ressemble plus � un conte qu�� une histoire �crite par des hommes. Le travail de Mohammed Harbi sur la d�construction des mythes qui tenaient lieu d�histoire du FLN est comme une s�cularisation d�un r�cit � dessein sacralis�, culminant dans la mystique. On sait que le fait d�histoire oint de l�gende acquiert comme une impalpabilit� religieuse qui le rend commode pour l�usage manipulatoire. Mohammed Harbi a �t� novateur dans ce travail de d�sacralisation. Il a commenc� par d�pouiller le r�cit national des guirlandes de l�imagination et de l�exaltation romantique pour lui faire recouvrer les traits et les contradictions des hommes happ�s par les circonstances du r�el pour les jeter dans la tourmente d�un combat d�cisif pour le destin de l�Alg�rie. Que ces hommes et ces femmes aient agi ou pas agi dans le contexte de lib�ration nationale avec tout ce que leurs origines sociales, culturelles, r�gionales, mais aussi leurs int�r�ts leur permettaient et leur dictaient est une �vidence qui ne saurait masquer l�uniformisation factice qu�on a voulu imprimer � l�histoire. Mohammed Harbi a comme ferm�, si j�ose la parabole, un mus�e du moudjahid o� seraient expos�s des faits de gloire divins, indiscutables, et des images d�hommes p�trifi�es dans une sorte de saintet� impossible pour qui ferraille avec les assauts d�une r�volution pour ouvrir un grand livre d�interrogations, rempli des chicanes emprunt�es par les parcours individuels et des comportements issus de d�terminismes divers. Impossible, en un mot, d�avoir un front d�anges d�un c�t� et, en face, un autre de d�mons, toutes les causes ne se valant pas par ailleurs. Son audace � d�manteler les statues au pied d�argile pour planter � leur place les n�cessit�s et les exigences des sciences sociales demandait de la transcendance. On imagine le travail sur soi qui lui fallut pour s�extraire de sa passion d�acteur au profit de sa conscience d�historien inaugurant une approche apais�e et d�colonis�e du mouvement dont il a fait partie et auquel il reste fid�le. En effet, c�est par esprit de r�sistance que le jeune Mohammed Harbi con�oit d�entr�e son immersion dans la lutte pour la lib�ration nationale. Sa fid�lit� � l�esprit de la r�sistance, et pas n�importe laquelle, celle fa�onn�e par une conscience politique de gauche, marque non seulement son itin�raire mais �galement sa r�flexion et son travail d�historien qui le pousse, dans les pires des blocages, � chercher des issues r�volutionnaires. R�sistant, et de gauche, il a, en d�pit ou � cause de cette appartenance revendiqu�e et assum�e, toujours eu � c�ur de privil�gier la v�rit�. Mohammed Harbi a adh�r� au PPA � l��ge de 15 ans. N� le 16 juin 1933 � El-Harrouch (Skikda), il est tomb� dans le nationalisme tr�s jeune. Depuis, son parcours le m�nera � diverses responsabilit�s au sein du FLN et du GPRA mais aussi en prison, en r�sidence surveill�e puis en exil. En 1954, il est secr�taire g�n�ral de l�Association des �tudiants nord-africains. En 1957, il est membre de la direction de la F�d�ration de France du FLN. En 1959- 1960, il est directeur du cabinet civil du ministre des Forces arm�es. Ambassadeur en Guin�e en 1961, il participe en mai de cette ann�e-l� en tant qu�expert aux premi�res n�gociations des accords d�Evian. De septembre 1961 � octobre 1962, Mohammed Harbi est secr�taire g�n�ral au minist�re des Affaires ext�rieures puis d�avril 1963 � 1965, conseiller sp�cial � la pr�sidence de la R�publique. Il dirigea l�hebdomadaire R�volution africaine de 1963 � 1964. Il est arr�t� pour cause de fondation, avec d�autres, de l�Organisation de la r�sistance populaire (ORP), oppos�e au coup d�Etat de Boumedi�ne du 19 juin 1965. D�tenu pendant cinq ans sans jugement, il va de prison en r�sidence surveill�e. En 1973, il est exil� en France et commence � publier des livres qui vont modifier progressivement l�angle d�appr�hension de l�histoire du FLN et ouvrir des possibilit�s insoup�onn�es aux jeunes chercheurs. Mohammed Harbi est l�auteur de nombreux ouvrages dont les principaux sont : Aux origines du FLN. Le populisme r�volutionnaire en Alg�rie (Christian Bourgois, 1975), Le FLN, mirage et r�alit�s. Des origines � la prise de pouvoir (1945-1962), (Editions Jeune Afrique, Paris 1980 et Naqd-Enal Alger en 1983), Les archives de la R�volution alg�rienne (Editions Jeune Afrique, 1981), La guerre commence en Alg�rie (Editions Complexe Bruxelles, 1984), L�Alg�rie et son destin. Croyants ou citoyens (Arcant�re, Paris, 1992). Il a publi� un livre de m�moires politiques : Une vie debout (La d�couverte, 2001). Ce qui frappe chez cet intellectuel et ce chercheur d�exp�rience, c�est sa simplicit� et son �coute des autres. Il confirme qu�un des signes renvers�s de la grandeur, c�est l�humilit� devant autrui, quel qu�il soit. Discuter avec lui est une le�on de m�thode. Mohammed Harbi n�avance jamais rien s�il n�en d�tient pas des documents consultables. A. M. Interview r�alis�e par Arezki Metref
Le Soir d�Alg�rie : Nous sommes le 5 juillet, anniversaire de l�Ind�pendance de l�Alg�rie. Celle-ci devait survenir le 3 et non le 5 juillet 1962. Qui a pris la d�cision du report de deux jours et pourquoi ? Mohammed Harbi : Cette d�cision a �merg� dans les conditions de la crise du FLN au cours de l��t� 1962. Rappelons le contexte en nous appuyant sur la chronologie des faits. Conform�ment aux accords d�Evian, le vote d�autod�termination eut lieu le 1er juillet. Le pr�sident de la R�publique fran�aise, le g�n�ral de Gaulle, proclama le 3 juillet � 10h30 l�ind�pendance de l�Alg�rie pendant qu�� Alger le haut commissaire fran�ais Christian Fouchet transmettait ses pouvoirs � l�ex�cutif provisoire, seul organisme l�galement reconnu par la France. Ce m�me jour, c�est-�-dire le 3 juillet 1962, le GPRA, signataire des accords d�Evian, s�installe � Alger apr�s avoir �t� accueilli par le colonel Mohand Oulhadj et le commandant Azzedine Zerari. Ben Bella et Khider ne sont pas rentr�s avec leurs coll�gues du gouvernement et les chefs de la Wilaya IV n��taient pas � l�a�roport pour recevoir le GPRA. L�ind�pendance fut c�l�br�e officiellement � Alger dans une atmosph�re d�ivresse g�n�rale le 5 juillet et dura plusieurs jours. L�initiative revient au GPRA et � ses partisans. Une c�r�monie fut organis�e � Sidi-Fredj, l� o� ont d�barqu� les troupes fran�aises. Le geste avait un caract�re symbolique. Pour l�historien soucieux de v�rit�, ni Ben Bella ni Khider n��taient � ce moment pr�sents en Alg�rie. Le 5, Ben Bella �tait au Caire. Il est rentr� en Alg�rie dans la nuit du 10 juillet en passant par Maghnia avant de se rendre � Tlemcen. Son gouvernement, form� le 20 septembre, a consacr� le 5 juillet f�te officielle. La d�cision initiale ne lui appartenait pas. Opposant au GPRA, il ne l�avait pas contest�e comme cela a �t� le cas pour d�autres initiatives. Il a consid�r�, comme l�ensemble de la r�sistance � cette �poque, que le choix de la date du 5 juillet rachetait l�honneur de l�Alg�rie terni par la capitulation du dey et de la caste ottomane qui gouvernait le pays. La seule forme de patriotisme, voire de nationalisme que l�on observe, � l�exclusion de toutes les autres, c�est aussi la plus superficielle : une sorte de ferveur confinant � l�irrationnel autour de l��quipe nationale de football. Quels sont les �l�ments qui ont contribu� � d�valuer une certaine fiert� d�appartenir �au pays des martyrs� ? L�engouement pour l��quipe de football m�appara�t � la fois comme l�expression d�un attachement au territoire et un moyen de sortir de l�enfermement et de retrouver cette atmosph�re de communion collective, avec cette sp�cificit� alg�rienne, c�est que dans l�espace public, la soci�t� f�minine en est massivement partie prenante. Doit-on l�interpr�ter comme une d�valuation de la fiert� d�appartenir au pays des martyrs ? je n�en suis pas s�r. L�engouement pour le football et ses affinit�s avec les chauvinismes nationaux est devenu malheureusement un ph�nom�ne universel. Vous �tes le premier historien � avoir d�mythifi� le FLN en �tudiant ses contradictions et ses d�rapages. Y-a-t-il une filiation in�luctable entre le FLN qui a conduit � l�ind�pendance de l�Alg�rie et le syst�me qui s�vit depuis l�ind�pendance avec des variantes humaines et parfois politiques plus ou moins notables ? Une observation pr�liminaire sur la premi�re phrase de ta question. Mon travail est p�tri de fid�lit� � la r�sistance et s�inscrit dans le d�bat qui se jouait au sein de la gauche r�volutionnaire et dont l�objet est de rouvrir un avenir � la r�volution. C�est aussi une r�action contre les apologies qui masquaient l��mergence de nouveaux groupes sociaux, d�une lumpen bourgeoisie dont l�Etat est le producteur. La gen�se de l�Etat alg�rien a, en gros, correspondu � ce que Gramsci qualifie dans ses travaux sur le Risorgimento de r�volution passive, c�est-�-dire �une r�volution conduite selon des modalit�s faisant obstacle � la formation d�une conscience populaire nationale, r�pandue et op�rante�. Dans cette probl�matique, les �lites dirigeantes s�appuient sur le peuple mais sans que le peuple p�se sur les moyens et les objectifs du mouvement. Cela dit, l�analyse de la trajectoire politique ne doit pas s�attacher exclusivement aux continuit�s comme on le fait trop souvent, h�las. La mise en place du r�gime militaire s�est op�r�e au sein d�une soci�t� en pleine mutation, non pas fig�e dans ses cloisonnements mais travers�e par des dynamiques riches et touch�e par les dynamiques de la modernit�. Les �volutions que nous connaissons n��taient pas in�luctables. L�Alg�rie est un pays frustr� d�une exp�rience nationale populaire. Le conflit avec la France a entra�n� l��limination ou la neutralisation de personnalit�s et de secteurs civils qui ont tent� de construire des espaces d�mocratiques dans les interstices laiss�es par le syst�me colonial. Des dirigeants du FLN ont essay� de construire des instances de repr�sentation et de m�diation entre la soci�t� et l�Etat en marche. Les obstacles � leur entreprise ne sont pas seulement int�rieurs, ils sont aussi ext�rieurs. Cela ne nous emp�che pas de chercher du c�t� des initiatives du FLN, de son recours apr�s 1957 � des relations informelles aux d�pens de l�institutionnalisation. C�est pourquoi la rupture au profit d�un monde plus moderne n�a pas pu se r�aliser et qu�il y a eu retour de repr�sentations et de pratiques de notre pass�. Depuis une dizaine d�ann�es en France comme en Alg�rie, il y a un aiguisement de la guerre des m�moires autour de la colonisation et de la guerre d�ind�pendance. Ces pol�miques sont-elles utiles et en quoi ? Pourquoi surgissent-elles 40 ans apr�s les ind�pendances ? La transformation des moyens de communication moderne a facilit� l�intensification des flux d�informations, leur diffusion et leur captation par des Etats, des groupes politiques et des particuliers. Les fronti�res du monde sont de moins en moins nationales. La singularit� du jud�ocide avec toutes les revendications qui l�accompagnent est contest�e. L�id�e s�est impos�e dans le Tiers- Monde principalement que toutes les victimes se valent et qu�elles m�ritent une �gale attention et r�paration. Emergent alors les contentieux sur le pass� colonial. Des conflits d�identification avec leur cort�ge : les usages politiques qu�on peut en faire dans les relations diplomatiques comme dans les enjeux politiques int�rieurs. La concurrence des victimes, la s�lectivit� de l�information, la guerre des m�moires, et j�en passe. Ces controverses sont-elles utiles ? Oui si elles ont pour finalit� le rapprochement entre les peuples et la normalisation des rapports d�Etat � Etat. Non si leur objectif est de d�velopper le chauvinisme pour masquer des contradictions internes et dresser dans ce but un peuple contre l�autre. Personnellement, je pense que la situation coloniale n�a pas la simplicit� que lui donnent les nationalistes chauvins des deux rives de la M�diterran�e. La vision des rapports franco-alg�riens en blanc et noir �vacue la complexit� du ph�nom�ne colonial. Car les souffrances du peuple alg�rien et de la minorit� de Fran�ais qui se sont rang�s � ses c�t�s m�ritent mieux. N�avons-nous pas int�r�t, au lieu de multiplier des discours qui nous masquent l�ennemi intime qu�il y a en nous, � jeter un regard froid sur la pens�e d�colonis�e et � examiner avec courage les trois s�quences de notre �volution, celles de la soci�t� pr�coloniale, de la soci�t� coloniale et de la soci�t� postcoloniale. Le conflit entre historiens et politiques, avec � la cl� l�ind�pendance de la recherche et une rupture entre histoire et politique, s�exacerbe. Sur quoi les historiens devraient-ils porter leurs efforts pour sortir de ces entraves ? Tu poses une question d�actualit� examin�e d�une mani�re r�currente dans les congr�s des historiens africains, confront�s au principe autoritaire dans leurs soci�t�s. Le Camerounais Achille M�bembe, aujourd�hui professeur dans une universit� sud-africaine, leur a apport� une r�ponse que je fais mienne. �Il (l�Etat) pr�tend d�tenir la v�rit� au sujet de nommer le monde africain et son histoire, de le codifier, de d�couper l�espace, de l�unifier et de le diviser. L�Etat th�ologien, (�), c�est celui qui aspire explicitement � d�finir, pour les agents sociaux, la mani�re dont ils doivent se voir, s�interpr�ter et interpr�ter le monde.� Malgr� tous les changements intervenus en Alg�rie, on en est toujours l�. A quand donc le multipartisme ? Quelle est la place des ouvrages �crits par des non-historiens (m�moires d�acteurs des �v�nements, essais, romans inspir�s de faits historiques, etc.) dans le r�cit sur le mouvement national et l�ind�pendance de l�Alg�rie ? D�une mani�re g�n�rale, ces ouvrages ont un avantage, celui de rendre compte de tout l��ventail des itin�raires individuels tout en int�grant les t�moignages des acteurs historiques qui ont servi de source aux travaux des historiens. A leur lecture, on d�c�le un inconv�nient : celui de diluer en un grand nombre d�itin�raires individuels tout ce spectre, sans que l�on puisse d�gager de fil directeur dans ce foisonnement d��crits, d�o� la n�cessit� d�un recours aux sciences sociales pour esquisser une typologie, �tablir un classement, dater les faits, etc. d�o� l�importance des archives. Je trouve qu�on n�y accorde pas l�importance requise. Je me souviens lors d�un s�minaire Oran, j�ai trouv� des chercheurs qui se r�jouissaient de l�initiative prise par le d�funt Ali Tounsi de d�truire le fichier concernant des personnes sous pr�texte que les renseignements qu�il contenait �taient calomnieux et mensongers. Je leur ai fait part de mon �tonnement. Ce geste dont l�intention est sans doute louable cr�ait un blanc dans l��tude de la construction de l�institution polici�re. Ils n�y avaient pas song�. A quoi est due, aux yeux des jeunes, la d�l�gitimation des combats de leurs a�n�s et le fait qu�en Alg�rie, l�histoire de la guerre de lib�ration soit devenue davantage un �repoussoir� qu�une fiert�, comme au Vietnam, par exemple ? Je ne crois pas que le terme de repoussoir convienne pour caract�riser le sentiment � l��gard de la r�sistance. Celle-ci a d�abord connu un processus de glorification mais au fur et � mesure que le pass� s��loigne, on assiste � un vacillement de la flamme chez les g�n�rations qui n�ont pas connu la colonisation et qui sont frapp�es par le cordon ombilical qui lie le pouvoir politique et les r�sistants b�n�ficiaires de privil�ges. N�e d�un refus d�une domination �trang�re, refus fond� sur l�honneur et l��thique, la r�sistance est confondue dans ses sommets avec une nouvelle domination, arbitraire, arrogante et frapp�e d�autisme, autant de traits qui rappellent le pass� aussi bien pr�colonial que colonial. La confusion entre privil�ge, enrichissement et r�sistance concerne une minorit�. Il serait injuste de l��tendre � l�ensemble de la r�sistance. Ce que les jeunes condamnent, c�est la continuit� de la domination. Comment devrait-on enseigner l�Histoire � l��cole alg�rienne ? Qu�en est-il aujourd�hui ? Je reviendrai longuement sur ce sujet un autre jour. Dans l�imm�diat, il me semble urgent de repenser le �roman national�. Sur quelle vision de l�histoire doit-il reposer ? Celle d�une Alg�rie, accomplie d�finitivement en 1830, ou celle d�une Alg�rie arabo-berb�re riche de sa diversit� culturelle et ouverte sur l�avenir. Pour repenser cette histoire, il faut d�construire les sch�mas interpr�tatifs �labor�s dans les ann�es 1930. L�introduction de la berb�rit� dans la Constitution est une avanc�e incontestable. Il reste � en tirer toutes les cons�quences pour donner sens � une Alg�rie aux racines multiples, berb�res, arabes et africaines. N�oublions pas nos compatriotes noirs et le racisme dont ils sont ici et l� l�objet. Quelles le�ons l�historien que vous �tes peut-il tirer des pol�miques actuelles en Alg�rie sur l�histoire de la guerre de lib�ration ? Elles ne s�appuient pas sur une analyse sociologique s�rieuse du principe autoritaire et de la personnalisation de la relation politique. Par ailleurs, loin d��tre un bloc, la r�volution fut v�cue diff�remment selon les groupes humains et les individus. Elle fut vari�e selon les r�gions qui r�agirent selon leurs structures et leur singularit�. On a souvent occult� ce fait attentatoire au jacobinisme national par crainte de la vuln�rabilit� du pays. Il y eut aussi des massacres inutiles li�s aux contradictions sociales et id�ologiques de la r�volution anticoloniale et � sa tendance � r�soudre les probl�mes par la r�pression. N�oublions donc pas que la r�volution fut aussi une ma�tresse de violence. Le peuple y fit son �ducation politique ind�pendamment de toute libert� d�opinion. La r�f�rence au principe n�emp�chait pas la non-observance de son exercice. Malgr� ses fautes et ses limites, on ne peut oublier qu�elle se situe � nos origines. Une nouvelle vision du pass�, plus respectueuse des contradictions individuelles, sociales et id�ologiques, nous rouvrirait sans aucun doute un avenir. Cette r�vision est indispensable pour en finir avec les outrances de ses d�tracteurs en France surtout, en Alg�rie aussi.