Le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique a lancé, depuis jeudi, un sondage en ligne pour prendre l'avis de la communauté universitaire et des Algériens sur le renforcement de la langue anglaise à l'université. Ce projet peut-il aboutir ? Abdelmalek Azzi, coordinateur du Cnes, estime que dans l'état actuel, il est impossible de concrétiser ce projet. Meziane Meriane, pédagogue, dit que «l'on court droit vers l'échec ». Le professeur Dourari, qui s'interroge si le ministre de tutelle possède les moyens de sa politique, estime qu'il s'agit «d'un crime contre la Nation et une atteinte à l'élite francophone ». Salima Akkouche - Alger (Le Soir) - Le professeur Dourari, professeur des sciences de langues et de traduction, estime que les paramètres dont doit disposer le ministre de l'Enseignement supérieur pour exposer un tel projet, c'est d'abord de dire s'il existe un dispositif d'encadrement en nombre suffisant. «Le ministre de l'Enseignement supérieur doit nous dire combien de professeurs en rangs professoral et magistral peut-il réunir par discipline ? De combien d'enseignants du rang professoral et magistral dispose-t-il dans les disciplines des sciences sociales et humaines ? Et combien de publications en langue anglaise et en langues française d'un niveau international apparaissent annuellement en Algérie ? s'interroge le professeur. Le système éducatif, dit-il, a déjà reconnu qu'il n'a pas les moyens d'assurer l'enseignement en langue anglaise. Selon ce professeur, il faudra 50 ans pour pouvoir substituer l'anglais au français. Entre-temps, dit-il, «la Nation sera absente pendant 50 ans, le temps d'essayer de faire une nouvelle élite anglophone». Il s'agit, selon lui, d'une « atteinte à l'élite francophone ». Pis, il qualifie cette proposition d'une « véritable imposture et d'un crime contre la Nation». Le professeur Dourari estime que l'urgence qui doit figurer sur l'agenda du ministère de l'Enseignement supérieur pour 2020 c'est la maîtrise des trois langues, à savoir l'arabe, le français et l'anglais. Il dit qu'il faudra penser à ajouter des langues comme l'espagnol qui est classé deuxième langue au niveau mondial ou le chinois. «Il ne s'agit pas, bien sûr, d'enseigner avec ces langues mais de jeter les bonnes bases pour accéder aux nouvelles technologies», dit-il. Par ailleurs, M. Azzi explique que les revues et les publications internationales apparaissent en langue anglaise. Les enseignants et les étudiants se documentent donc en anglais. Beaucoup de choses, dit-il, notamment les branches techniques sont enseignées en anglais aussi. Est-il pour autant possible de généraliser l'utilisation de l'anglais à l'université ? « Le renforcement de l'anglais à l'université est une bonne chose, mais nous ne sommes pas près de le faire dans l'immédiat notamment pour les branches des sciences humaines et sociales», reconnaît le coordinateur du Cnes. Et pour cause, dit-il, le niveau d'anglais des enseignants et des étudiants ne le permet pas. M. Azzi propose donc de commencer par réfléchir à mettre en place des cours de formation en anglais au profit des enseignants et des étudiants. D'ailleurs, dit-il, il faut améliorer le niveau de la langue anglaise à partir du cycle primaire. Justement, le bagage d'anglais des élèves, avec un volume horaire très faible, leur permettra-t-il, une fois étudiants, de suivre un cursus universitaire dans cette langue ? Meziane Meriane, pédagogue et coordinateur du Snapest, a rappelé que ce n'est pas la première fois qu'on évoque ce projet de substitution du français par l'anglais. Il y a quelques années, dit-il, ce projet avait été soulevé mais un spécialiste anglophone leur a déconseillé cette option. Selon lui « la langue française est un butin de guerre, on ne décide pas de la remplacer du jour au lendemain ou de la déraciner car la langue ce n'est pas seulement ce qu'elle véhicule mais c'est tout un environnement ». M. Meriane estime que la décision de remplacer le français par l'anglais «est un échec programmé qui répond à une idéologie revancharde. Cette décision n'est pas dans l'intérêt de l'Algérie mais elle répond à un intérêt idéologique et on court droit vers l'échec, car on veut le faire dans la précipitation et c'est de la démagogie». S. A.