Un violent incendie a ravagé des dizaines d'hectares de la pittoresque et séculaire palmeraie d'El-Kantara (Biskra) la semaine écoulée, réduisant à néant les efforts surhumains de ses bâtisseurs et leur rêve d'en faire un havre nourricier, de solidarité et de convivialité. Attisées par des rafales de siroco, les flammes se sont rapidement étendues à une grande partie des jardins d'El Djiza sur la rive droite de l'oued El Hai et ont fini par embraser le ciel de toute la vieille ville, une nuit durant. Il faut d'emblée préciser que l'état d'assèchement presque total de la palmeraie a largement contribué à la propagation du feu. Et pour cause, cela fait plus de deux ans que la canalisation qui irriguait tant bien que mal ces jardins a été délibérément rompue par l'entreprise publique en charge du fameux projet de dédoublement de la RN3 et précisément de l'ouvrage d'art en cours de réalisation au niveau des gorges mêmes. Les promesses de ses responsables de la rétablir n'ont pas hélas été tenues. A cela s'ajoutent la négligence des autorités locales et l'indifférence ou le peu d'intérêt des descendants des propriétaires et de leurs héritiers. L'erreur des uns, la négligence des autres Autant dire que ce drame était prévisible, voire même attendu, compte tenu de la situation de dégradation totale dans laquelle se trouve particulièrement cette partie de la palmeraie d'El-Kantara. Abandonnée par ses tuteurs qui tentaient, vaille que vaille, de l'entretenir et de perpétuer une tradition, elle s'est transformée, au fil du temps, en un lieu de débauche et, du reste, certains riverains ont vite pointé du doigt ces nouveaux occupants qui n'auraient pas correctement éteint le feu utilisé pour la préparation de leur pitance. Et en raison de l'inexistence d'accès pour les véhicules des sapeurs-pompiers, la lutte contre cet incendie n'a été possible que grâce à une mobilisation importante de tous, riverains, pompiers et surtout les jeunes qui ont usé de tous les moyens du bord pour limiter les dégâts et éviter que les flammes n'atteignent les habitations limitrophes. Des moteurs ont été utilisés pour pomper l'eau depuis des retenues dans l'oued et l'acheminer tout au long du dédale de séguias séculaires, mais asséchées, serpentant à travers les jardins et assurant ainsi aux sauveteurs une disponibilité de ce moyen précieux à proximité des foyers d'incendie. Cette catastrophe n'est malheureusement pas la première, puisqu'il y a eu, par le passé récent, d'autres dégâts par le feu mais de moindre importance. Un poumon oxygénant en état d'atrophie avancée Ce nouvel épisode incendiaire, sans précédent, est sans aucun doute le plus déterminant pour la pérennité de cet espace de verdure et de fraîcheur et surtout un poumon oxygénant pour les habitants. Un écosystème s'est constitué et consolidé au fil du temps à travers une flore et faune spécifiques à ce type de région. Des palmiers dattiers altiers et séculaires, estimés à plus de 50 000, étendent leurs palmes pour former une couverture naturelle contre les rayons brûlants du soleil et offrant, de la sorte, l'ombrage vivifiant à un sous-bois luxuriant constitué de diverses essences végétales, arbres fruitiers : grenadier, figuier, abricotier, amandier, prunier, vigne, pommier, poirier, citronnier et autant de plantes sauvages, laurier aux couleurs chatoyantes, rosiers, jujubier, etc. Des effluves de senteurs variées envahissent les allées de la palmeraie et le silence enivrant n'est perturbé que par le doux murmure de l'eau dans les séguias et les tristes complaintes ou chants du terroir entonnés par les agriculteurs tout en vaquant à leurs occupations. Du paradis à la désolation Un paradis sur terre longtemps évoqué et diversement décrit par les écrivains, les poètes et les artistes-peintres du monde entier qui n'ont pas pu résister au charme indescriptible de ces lieux féeriques. Aujourd'hui, de cette image, désormais du passé, il n'en subsistera qu'une désolation aux couleurs de la cendre, des troncs de palmiers ravagés par les flammes, des clôtures en pierre et pisé détruites, des jardins définitivement disparus, une vue horriblement dégagée… et le souvenir pesant de ceux qui se sont sacrifiés pour en faire une véritable œuvre artistique. Plus qu'une simple palmeraie, c'est un authentique monument naturel et touristique du riche patrimoine d'El-Kantara qui est entrain de dépérir lentement et inexorablement. Le sursaut salutaire et exemplaire de la population face à ce drame devrait attirer l'attention des autorités locales et de wilaya sur les dangers qui guettent ces espaces naturels et permettre, tout au moins, la reconstruction de la canalisation d'eau rompue volontairement et le rétablissement de l'irrigation des rares espaces encore viables et sauver ce qui reste de la palmeraie. En tout état de cause, ce ne sera qu'un hommage rendu à ses valeureux pionniers. B. Bellil